2-2 Les IFRS : Le nouveau langage du capitalisme
comptable9(*)
L'affaire Enron commence le 16 octobre 2001 lorsque la firme de
Houston annonce une perte de 618 millions de $ pour le 3° trimestre 2001
après constatation d'une charge exceptionnelle de 1 Mds de $. Les
marchés sont pris au dépourvu et le doute s'installe : en 5 jours
l'action chute de 40%. La principale ruse pratiquée par Enron a
consisté à exclure abusivement de son périmètre de
consolidation de nombreuses filiales crées de toute pièce et dans
lesquelles sont logées des dettes et des engagements qu'elles souhaitent
occulter afin d'améliorer l'image de santé financière
donnée par son bilan consolidé. Enron a également
manipulé la comptabilisation des contrats à long terme de
fourniture d'énergie. Par ailleurs en utilisant les marges de manoeuvre
offertes par les règles de comptabilisation des opérations de
négoce (reconnaissance comme chiffre d `affaires soit de l'ensemble des
montants négociés soit de la seule marge de négoce) elle a
artificiellement grossi son chiffre d'affaires. Ce n'est qu'un an après
le déclenchement du scandale Enron que les normes comptables
américaines ont supprimé cette marge
d'interprétation. Il s'agit en réalité d'un
désastre collectif : l'auditeur d'Enron Arthur Andersen, les
banques d'affaires, les sociétés de conseil stratégique
ont été mêlés de près ou de loin aux
manipulations d'Enron...De nombreux comptables, analystes, juristes,
régulateurs et législateurs n'ont pas joué leur rôle
à un degré ou à un autre, pour assurer l'exactitude des
informations financières et le bon acheminement des données
honnêtes et non manipulées sur les marchés.
Cette affaire, n'est que la preuve que L'évolution de
l'information financière n'est en fait qu'un nouvel aspect de la
transformation du capitalisme.
En effet, Les auteurs estiment que la distinction
« classique » entre « capitalisme
rhénan » (avec ses banques omniprésentes) et
« capitalisme anglo-saxon » (avec ses marchés
financiers et son obsession du profit à court terme) n'est plus
pertinente. La distinction proposée par Raghuram Rajan et Luigi
Zingales leur semble davantage convenir à l'époque
actuelle. D'un côté le « Capitalisme
relationnel » dans lequel les relations entre individus,
forgées par exemple au gré d'études communes ou de
proximité sociales ou politiques, jouent un rôle
prépondérant dans l'allocation des financements externes de
l'entreprise. De l'autre côté le
« Capitalisme contractuel » dans lequel les
relations personnelles ne sont pas déterminantes et où les
décisions se prennent de manière « anonyme
». Selon cette grille d'analyse les marchés des capitaux
relèvent du « capitalisme contractuel » alors que
les financements par les banques commerciales, les fonds de l'Etat sont
plutôt caractéristiques du « capitalisme
relationnel ». Dans un contexte d'environnement instable,
créé par l'apparition de nouvelles technologies, le capitalisme
relationnel consacre beaucoup de ressources à la sauvegarde
d'entreprises condamnées alors que le capitalisme contractuel favorise
l'apparition de nouvelles entreprises et de nouvelles
fortunes. L'écosystème financier français
hérité des « Trente glorieuses » accorde une
large place aux relations personnelles pour l'élaboration et la
diffusion de l'information financière. Ainsi les normes comptables
nationales sont en France teintées de considérations fiscales,
statistiques et prudentielles exprimant la prééminence de l'Etat
et des grandes banques par rapport aux autres utilisateurs et notamment aux
actionnaires. L'information financière accessible publiquement
revêt une importance relativement mineure, en comparaison avec un
modèle de capitalisme contractuel appuyé principalement sur les
marchés des capitaux. Ce système semble toutefois en France
être appelé à un remise en cause car la période
actuelle se caractérise par des évolutions profondes du paysage
financier. L'économie française s'est largement ouverte aux
mécanismes du marché depuis le début des années 80.
En moins de 20 ans le nombre d'actionnaires individuels a presque
quadruplé pour atteindre un total proche de 6 000 000, soit 1/10e de la
population. La capitalisation boursière de Paris est passée de 6%
du PIB en 1982 à 28% en 1992 et 94% en 2002. L'actionnariat de l'Etat a
considérablement réduit. Les « noyaux durs »
ont été démantelés et l'actionnariat
étranger s'est spectaculairement accru dans le même temps.
Quelques traits saillants particulièrement importants pour l'avenir de
l'information financière ont attiré l'attention des
auteurs : le développement des fusions acquisitions, l'innovation
technologique et financière et les nouveaux modes de
rémunérations des dirigeants. En effet
l'accélération des changements de périmètre des
groupes due aux fusions et acquisitions (qui rend la lisibilité des
comptes et l'appréciation des performances plus difficiles), l'impact du
développement des nouvelles technologies de la communication sur
l'information financière et les innovations financières tous
azimuts sont quelques uns de ces chocs dont l'effet est une profonde mutation
de l'écosystème financier et qui appellent des mesures urgentes
pour éviter une dérive du système. Le système
financier( insistent les auteurs qui restent malgré tout optimistes)
doit développer des mécanismes de défense par rapport aux
principaux risques de dérives et de fraudes ; en partie de
nouvelles réglementations et en partie un contrôle collectif plus
contraignant sur les agissements des dirigeants
* 9 Nicolas Veron ;
L'Information financière en crise : Comptabilité et
capitalisme;
Editions Odile Jacob ;
2004
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