C- expériences Internationales de la
transformation des ONG en microfinance
Les ONG & associations sont nombreuses à
s'être transformées ou à préparer leur
transformation. Parmi les pays phares, on compte des pays d'Amérique
Latine (Bolivie, Pérou, ...), d'Afrique sub-saharienne anglophone
(Ouganda, Kenya) et francophone, du Moyen Orient et d'Asie.
C-1 Le cas "historique" et le plus complet: la double
transformation de PRODEM14
Contexte. Créée en 1986 entre des leaders
économiques boliviens et l'ONG américaine ACCION International,
l'ONG bolivienne PRODEM, exerçant des activités de
microcrédit, se trouvait au début des années 1990
limitée dans son développement par l'incapacité des
bailleurs de fonds à financer sa croissance, par son propre
positionnement institutionnel lui interdisant l'accès aux marchés
financiers, et par l'incapacité de collecter de l'épargne
auprès de sa clientèle de microentrepreneurs, à la fois
pour augmenter ses ressources et pour satisfaire aux attentes de sa
clientèle en matière de services financiers.
Compte tenu des limites inhérentes à son statut
et à son positionnement par rapport à la réglementation
financière, le maintien de la situation institutionnelle ne permettait
plus d'accompagner le développement de l'institution.
L'ONG a donc éprouvé le besoin de « se
transformer» en une institution financière régulée
disposant de la pleine capacité commerciale (collecte d'épargne
et octroi de crédit) et financière (accès aux apporteurs
de capitaux pour renforcer les fonds propres et aux financements des
marchés financiers nationaux et internationaux).
Processus et enjeux:
Le processus est particulièrement instructif et
concentre la plupart des enjeux et problématiques liés à
la transformation d'une ONG (association) en société commerciale,
agréée en tant que banque et/ou en tant que société
de microfinance (dans le cadre d'un créneau réglementaire). Ce
processus s'est déroulé en plusieurs étapes, et a abouti
à la création d'une banque de microfinance (Bancosol) puis d'une
seconde société de microfinance (agréée en tant que
FFP15, PRODEM-FFP).
14 Sur la transformation de PRODEM / Bancosol et
d'autres ONG en institutions financières régulées, voir
notamment Campion Anita et White Victoria, « Institutionnel
metamorphosis : Transformation ofMicrofinance NGOs into Regulated Financial
Institutions», in The microfinance Network Ocasional Papier
N° 4, 1999
15 Cette catégorie a été créée
dans la loi bancaire bolivienne spécifiquement pour les IMF.
Master en banque et finance Université François
Rabelais de tours&IGA 2006/2007 38
La transformation institutionnelle de L'Association AlAmana en
institution bancaire
Compte tenu de l'absence de « créneau
réglementaire» spécifique pour les sociétés de
microfinance en Bolivie en 1992, la seule solution était de demander un
agrément en tant que banque de plein exercice. Un des points les plus
critiques - le déplafonnement des taux d'intérêts - ayant
été auparavant résolu dans le cadre de la
libéralisation du secteur financier, la catégorie « banque
» ne semblait plus rédhibitoire pour exercer des activités
de microfinance 16.
La « transformation» d'une ONG / association, en
société commerciale, par simple modification de la forme
juridique, n'est pas apparu comme un processus:
- possible au regard de la réglementation bolivienne,
- ni souhaitable compte tenu de l'équilibre financier
et commercial de l'opération: en effet, le niveau de
développement du réseau d'agences et la nécessité
de ne transférer à la banque que des guichets déjà
rentables, incitaient à ne transférer dans un premier temps que
les agences arrivées à maturité, puis lors de transferts
successifs, de nouvelles agences.
Economiquement, il y a donc eu lors de la création de
Bancosol et lors des années suivantes, un échange entre des
actions et des agences arrivées au point d'équilibre (incluant le
portefeuille de crédit, les bâtiments et le fonds de commerce
(clientèle). Ce mécanisme a permis à PRODEM ONG de
continuer à développer son réseau d'agences sans les
contraintes de la réglementation bancaire, et avec les facilités
du statut d'ONG.
Afin d'obtenir les capitaux propres nécessaires pour
l'obtention d'un agrément en tant que banque, et pour assurer le
développement de celle-ci dans le respect des normes de gestion
(notamment capitalisation), le choix a été opéré
dès la création de Bancosol d'une large ouverture du capital
à des investisseurs privés boliviens ainsi qu'à des
investisseurs internationaux intéressés par la microfinance.
Dès la création de Bancosol (en 92), PRODEM est donc devenu
l'actionnaire fondateur minoritaire de la banque, à hauteur de 29 %, le
capital restant étant réparti entre l'ONG américaine
co-fondatrice de PRODEM (ACCION) à hauteur de 19 %, des investisseurs
privés boliviens (25 %) et internationaux (27 %).
Ultérieurement, la législation bolivienne a
évolué et une nouvelle catégorie
d'établissements de crédit a été
créée dans la loi bancaire: les FFP / Fonds Financiers
Privés, constitués sous forme de société de
capitaux, et habilités à collecter l'épargne du public.
Par ailleurs, les associations / ONG sont habilitées par
cette même loi bancaire à consentir du crédit, sur
autorisation de l'autorité monétaire ; toutefois jamais la
Superintendencia n'a autorisé une ONG à collecter de
l'épargne. PRODEM ONG se
16 Et ce même si la création d'une
«banque de microfinance» a semble-t-il nécessité des
adaptations dans la réglementation technique applicable aux banques
(horaires et jours d'ouverture des guichets, dispositifs de
sécurité des agences, ...). De plus, en tant que première
IMC à demander un agrément en tant que banque pour Bancosol,
PRODEM a du convaincre les autorités monétaires de la
viabilité économique de l'opération, ce qui a
nécessité plusieurs études de faisabilité.
Master en banque et finance Université François
Rabelais de tours&IGA 2006/2007 39
La transformation institutionnelle de L'Association AlAmana en
institution bancaire
trouvait donc freinée dans le développement de ses
agences et a donc créé en 2000 une nouvelle
société, PRODEM FFP, ce qui équivalait à une
seconde transformation. Après cette seconde transformation, l'ONG PRODEM
a cessé d'exercer des activités financières.
Simultanément, les relations entre PRODEM et Bancosol se
sont dégradées, le transfert progressif des agences à une
banque dans laquelle PRODEM était actionnaire minoritaire n'apparaissant
pas comme une solution satisfaisante. Les opérations de transfert
d'agences ont cessé et PRODEM et Bancosol ont fini par se retrouver en
concurrence directe dans certaines zones.
La réglementation financière interdisant aux FFP
d'être actionnaires d'une banque, et PRODEM FFP entrant partiellement en
concurrence avec Bancosol, PRODEM FFP a cédé ses actions de
Bancosol. Ainsi la banque a rompu tout lien, capitalistique et commercial, avec
l'ONG de microcrédit qui était à l'origine de sa
création.
Résultats:
La double transformation par « filialisation» de
l'activité de microcrédit / microfinance a donc abouti:
- à la création de deux IMF partiellement
concurrentes, l'une agréée en tant que banque (Bancosol), l'autre
agréée en tant que FFP dans le cadre de la loi bancaire.
- à la totale séparation entre le « groupe
PRODEM » et Bancosol, tant sur le plan des relations d'affaires que sur le
plan capitalistique.
- à un réel succès sur le plan des
objectifs de pérennité financière et institutionnelle pour
les deux IMF, ayant su surmonter des difficultés conjoncturelles:
o dégradation conjoncturelle de la qualité du
portefeuille à la fin de la décennie 1990, liée à
une phase de surendettement de la clientèle microfinance en Bolivie.
o tensions conjoncturelles liées à la prise de
conscience par PRODEM quant à l'insatisfaction du montage en «
double filialisation minoritaire ».
- au maintien des objectifs de desserte d'une
clientèle de microfinance, et ce même si Bancosol a étendue
sa clientèle et diversifié ses produits.
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