CONCLUSION
A l'issue de cette étude qui nous a permis de mieux
découvrir les Dioula de Darsalamy à travers leurs formules de
salutation, nous ne pouvons pas prétendre avoir perçu toute la
quintessence des salutations. Il reste des points à découvrir ou
à approfondir. Il s'agit notamment des questions liées à
la langue proprement dite, aux terminologies, à certains us et coutumes
qui vont de pair avec les salutations. Egalement dans ces préoccupations
s'inscrivent les pratiques culturelles.
C'est le début d'une étude qui va
s'étendre sur d'autres groupes sociaux en vue d'aboutir à un
cadre formel qui confirmera les formules de salutations comme des
éléments de la littérature orale.
A travers cette étude, nous avons pu découvrir
le village de Darsalamy, les habitants et leurs pratiques. Nous avons appris
que la tradition orale ou la littérature orale dépasse le cadre
habituel identifié par les contes, légendes,
épopées, proverbes, devinettes... pour prendre en charge les
préoccupations de la société. Elle constitue ainsi un
chaînon lié à un ensemble de pratiques socioculturelles.
Du point de vue de la méthodologie, nous avons appris
comment approcher une société. Nous retenons que l'approche de
nos sociétés à tradition orale requiert de la patience et
de la courtoisie surtout quand on a à faire à des personnes
âgées ou illettrées. Patience dans la mesure où les
informations livrées peuvent subir des influences ou des modifications
d'un informateur à l'autre. Et nous avons appris à nos
dépends que seul le recul permet une analyse efficace et efficiente des
sociétés africaines qui subissent au quotidien des mutations.
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Notre analyse s'est étendue sur trois chapitres. Dans
le premier chapitre nous nous sommes intéressé à la
présentation du terrain. En effet, ce chapitre a pris en compte
l'origine des Dioula, leurs pratiques et activités, et leur religion.
Les dioula de Darsalamy sont venus de Kong (Côte d'Ivoire) et se sont
installés là au 19ème siècle. Sur le
plan social, ils sont organisés en deux grands groupes à savoir :
les Barro qui détiennent la chefferie traditionnelle (famille royale) et
les Sanogo qui managent le pouvoir religieux (avec l'Imam). Fait marquant, le
village de Darsalamy n'est doté d'aucune structure administrative. La
raison évoquée est que ce village est rattaché à la
commune urbaine de Konsa à Bobo Dioulasso.
Au niveau de l'organisation sociale et familiale, nous
retrouvons le patriarche de la famille qui est le plus ancien,
l'aîné qu'on appelle » ki&m]g]ba '' ;
avec lui une vieille femme qui est »sótigi »
(=» gardienne de la maison » ou '' propriétaire de la maison
»). Chez les Dioula, la notion de famille est importante. Elle est la
cellule sociale. On ne fait pas de différence entre les familles car
tout le village constitue une grande famille du fait de la communauté de
langue.
Quant aux activités, nous avons identifié le
commerce comme activité principale des Dioula ; ensuite nous avons la
consultation du marabout et l'agriculture. L'agriculture est très
récente et est exploitée par les Barro (protecteurs de la
tradition).
L'islam est la religion des Dioula de Darsalmay. Ils sont
à 100% islamisés. Selon nos informateurs, ce sont eux qui ont
amené l'islam en Afrique de l'Ouest.
Nous nous sommes également intéressé
à la place de la parole dans la société à travers
la notion de parole chez les Dioula et les types de paroles qu'on y
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trouve. En effet, elle occupe une place de choix. On la
retrouve à tous les niveaux de la vie sociale. Elle sert de lien social
à travers la communication. Les salutations se fondent sur cette parole
pour être effectives. Nous avons identifié plusieurs paroles en
fonction de leurs contenus : la bonne parole (=»Kóma díman
»), la belle parole (=»Kóma %úman»), la parole de
vérité
ou parole vraie (=»tiy[n kóma»), la parole
sensée (=»hákili Kóma»), la grande parole
(=»Kóma bá »), la parole ancienne ou la vieille parole
(=» Kóma k<r] »), la parole de l'ancien
(=»Ti&m]g]ba Kóma»), la parole d'enfant
(=»dénmis[n Kóma »), la parole importante
(=»náfa Kóma»), la mauvaise parole (=»Kóma
júgu »), le mensonge (= »gálon Kóma»).
A partir de la parole, nous avons abordé les textes
oraux qui sont en usage dans cette communauté. Il s'agit des textes
connus et utilisés par la population : le conte (= le
»tálen»), la légende (= le »kóma
k<r]»), la
devinette (= le »tálen k<r]b]»), le
proverbe (= le »kóma k<r]tig[») , le chant (= le
»d<nkiri»), les paroles des jeux de
plaisanterie(=»sináguya»), les
salutations(=»fóri»), ...
Dans le deuxième chapitre, qui traite des salutations,
nous avons évoqué la langue chez les Dioula, les systèmes
de transcription et de traduction avant de présenter les formules de
salutation. Nous avons également abordé la définition de
la salutation et sa place dans la société.
La salutation est un facteur social qui permet aux hommes
d'échanger. Elle est capitale.
S'agissant des formules, nous avons identifié deux
catégories : les formules en fonction du temps de la journée
(matin, midi et soir) et les formules en fonction des événements
(baptême, mariage, visite d'un étranger, les funérailles,
les fêtes).
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Dans la présentation des formules, nous avons d'abord
donné la transcription phonétique, ensuite la traduction
juxtalinéaire, enfin la traduction littéraire suivi d'un
commentaire.
Il ressort de cette analyse qu'à travers ces
différentes formules de salutation transparaissent les
préoccupations de la société. Au delà du »
bonjour » ou du '' bonsoir », c'est toute une représentation
de la société qui se manifeste : le bien-être, la paix, la
santé, les activités, la famille, le rang social, le respect, la
compassion, la joie, l'harmonie...
A ce niveau, on a une certaine catégorisation dans les
salutations. En effet, un enfant ne salue pas de la même manière
qu'un adulte, une femme ne salue pas de la même manière que
l'enfant ou l'homme. Chacun a sa manière proprement dite que la
société établit et transmet d'âge en âge par
le biais de la parole. Ces formules recouvrent des notions diversifiées
et propres à la société (paix, santé, douleur, joie
et peines...).
A travers les souhaits, les bénédictions, les
formules prennent en compte les valeurs sociales, culturelles et même
religieuses. Dieu est au coeur des salutations. Tout cela s'accompagne de la
parole, de la langue. La particularité de la langue confère aux
formules une spécificité, faisant d'elles le signe distinctif de
la communauté dioula de Darsalamy avec les autres.
Notre troisième chapitre a consisté à
montrer en quoi ces formules de salutations sont de la littérature. A
partir des différentes définitions de la littérature
orale, nous avons identifié des facteurs textuels et des aspects
sociologiques pour aborder la littérarité des formules de
salutation.
S'agissant des éléments textuels, nous avons
constaté que la longueur des formules a pour but de favoriser
l'interaction dans l'échange.
La place des mots dans les salutations est remarquable. En
effet, les salutations débutent par l'interpellation de celui à
qui on s'adresse (Papa, père, maman...). C'est le signe du respect, de
la politesse et même d'une certaine
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sympathie, car on ne saurait saluer par '' Papa'' quelqu'un
qu'on ne connaît pas.
Ensuite nous avons le deuxième mot qui est la marque du
temps ou de l'événement. Cela traduit les habitudes de la
population.
L'affirmation de la foi, la croyance en l'islam se trouvent
dans les bénédictions où la principale
référence est ''Dieu'' (=''Allah '').
Au niveau des métaphores, on peut retenir que la
longévité domine les salutations à travers les souhaits de
paix, de santé...
Des mots et réseaux de sens sont perceptibles. Nous
avons '' díyÐ '' et ''
#úman ''. Au- delà de leur sens habituel de
''bien, bon'', ils renvoient à une multitude de sens orientés
vers les préoccupations sociales.
En ce qui concerne les éléments sociologiques,
nous avons identifié la structure sociale : l'individu, la famille.
Chacun occupe une place précise et sait comment se comporter ; la
répartition du temps et des activités dans la salutation,
l'origine des salutations et le protocole des salutations. Le découpage
du temps des salutations est le suivant : matin, midi et soir. Nous avons
également découvert qu'elles expriment les activités de la
communauté. En formulant un souhait par la salutation ou lorsque des
adultes se saluent, au delà de la paix et de la santé, ils
évoquent les activités, la famille. Cela montre jusqu'à
quel point les salutations prennent en compte les préoccupations
sociales.
La présence de ces éléments textuels et
sociologiques prouve que les formules de salutation sont littéraires.
Cette étude des formules de salutation est valable pour
une communauté donnée, celle des Dioula de Darsalamy. On pourrait
l'étendre à d'autres sociétés pour en savoir
davantage sur les préoccupations sociales et les aspects
littéraires liés aux salutations.
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