I- 5- 2. Les différents types de parole
Issue d'une langue, la parole dans son ensemble, se
désigne par l'ensemble de mots et leur sens dans une forme
matérielle donnée (la matière sonore des mots, le
signifiant), à qui est associée une signification
déterminée (le signifié). Chaque mot prononcé ou
écrit, chaque énoncé, chaque texte aurait donc un sens,
celui que fixe le lexique ou que leur assigne leur auteur.
Un tel dispositif fonctionne en signes dont la perception
implique le signifié qu'est la parole. Cet acte emprunte cependant deux
organes que sont la bouche (=''dá '') et la langue
désignée par (='' kán '') et une troisième
réalité, la
voix (=''kán '') qui signifie son ou bruit) obtenu par
activation des cordes et tissus spéciaux. Chez les dioula de Darsalamy,
ces deux notions sont assimilées : ''kán '' (signifie la
''langue'') et (=''voix'').
On parlera de ''jùla kán '' pour signifier ''la
langue jùla'' ; comme dans l'expression
'' kán m& '' : qui signifie ''entendre la voix''.
Donc, dans l'acte de parole, on peut retenir la bouche et la
voix. Par un jeu de métonymie, les langues s'assimilent à ces
éléments dont les champs
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sémantiques explorés révèlent
plusieurs catégories de parole littéraire. Elles sont
marquées par la vérité, l'irréflexion...
Notons que la notion de parole chez les Dioula a
été traitée par Marc NEBIE dans sa thèse de
doctorat.
En ce qui nous concerne, nous donnerons les différentes
paroles que nous avons recueillies auprès de nos informateurs sans
être exhaustif. Certaines pourraient se recouper et d'autres
s'opposent.
a) La bonne parole : » Kóma díman
»
Cette parole est qualifiée de bonne en fonction du
goût qu'elle produit. La parole a une saveur, un goût. Elle porte
la marque de l'intelligence et la mémoire joue un rôle d'adjuvante
de l'intelligence et de l'imagination. La bonne parole a un contenu
agréable qui n'indispose pas l'interlocuteur :
»A ka kóma ka di» (= sa parole est bonne)
b) La belle parole : » Kóma
%úman»
Cette parole est dite belle par rapport à son
énonciation. Ici c'est l'esthétique avec laquelle elle est dite
qui importe. Une belle parole peut être une parole de flatterie, de
tromperie ou de duperie. Du fait qu'elle soit bien dite, on la qualifie de
belle. Cette parole est souvent utilisée par les griots ou des personnes
qui haranguent les foules. A la différence de la bonne parole qui
s'intéresse au goût de la parole. La belle parole, elle, s'oriente
vers la beauté, l'esthétique.
c) 25
La parole de vérité ou parole vraie :
» tíy[n kôma»
Cette parole vraie qui est prononcée est de nature
à convaincre, à traduire une vérité. Elle
s'opposera au mensonge. C'est une parole qui est recommandée à
tout le monde. Elle manifeste souvent l'honnêteté de l'individu,
donne des vérités d'ordre général.
d) La parole sensée : » hákili
Kôma»
Cette parole est de nature à plaire et à mettre
l'interlocuteur dans une bonne disposition. Elle est souvent courte mais pas
frustrante. Elle est riche en signification et agréable à
entendre. Sa compréhension exige souvent une certaine maturité,
une communauté de fonds culturels entre le locuteur et le
récepteur.
e) La »grande parole» : » Kôma
bá »
Cette parole est dite »grande» à cause de sa
durée, de sa longueur et de la densité de sa signification. Elle
énonce une vérité soit relative à l'éthique
de la société, soit universelle. Elle se plie bien facilement
à une datation. Elle ne s'inscrit pas dans un temps donné. C'est
également une parole qui crée de l'engouement de la part de
l'interlocuteur. C'est une parole qui ne se dit pas au hasard. Elle est
maîtrisée par le locuteur qui séduit par
l'énonciation. L'enfant qui dit quelque chose de sensationnel, on dira
que c'est une grande parole. Cette parole émane le plus souvent des
adultes.
f) La parole ancienne ou la vieille parole : »
Kôma kor] »
Elle concerne l'histoire ancienne, les origines, les mythes,
les épopées, tout ce qui a rapport avec le passé. Le plus
souvent, localisée dans le passé, elle prend les
caractères de l'histoire, la légende, le mythe.
L'expérience montre que cette parole voyage dans le temps et même
peut se trouver dans des aires
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géographiques et historiques autres que celles
où elle a vu le jour. Elle est considérée comme une parole
sensée, celle de l'ancien, du sage.
Prise dans le présent, elle devient témoignage
sur le passé et un exemple à suivre ou à éviter.
Cette parole peut être considérée également comme
une école où la société peut s'informer et se
former. Elle se fait souple et s'adapte, obligée de rendre compte du
passé et du présent pour les générations
futures.
g) La parole de l'ancien : » Ti&m]g]ba
Kóma »
C'est la parole du sage, utilisée par les anciens qui
l'ont reçue et conservée. Dire cette parole confère une
certaine notoriété, une classe sociale, le respect et surtout
l'admiration. C'est à travers l'usage de ces paroles de sagesse
(proverbes, sentences, maximes...) que l'on qualifierait une personne
âgée d'ancien. Ce ne sont pas tous les anciens qui
possèdent la parole de l'ancien ; des enfants peuvent, par le biais de
la transmission, avoir ces paroles de sagesse.
h) La parole d'enfant : » dénmis[n
Kóma »
A côté de la parole de l'ancien on retrouve la
parole d'enfant. C'est une parole qui ne requiert pas de sagesse. Elle est une
parole d'amusement, de distraction, souvent sans sérieux, peu
considérée. Quand l'on dit une parole sans importance ou sans
valeur considérable, on la qualifie de parole d'enfant.
i) La parole importante : » náfa
Kóma »
C'est une parole qui se réfère à la vie
sacrée, liturgique. Elle traduit souvent les désirs et les
aspirations de l'homme. La profération de cette parole s'observe
particulièrement au cours des manifestations publiques ou
privées,
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religieuses, funéraires ; au cours des manifestations
inhérentes à des relations sociales, dans lesquelles on fait
recours à Dieu. Ce sont souvent les prières, les
bénédictions, les invocations...
C'est une parole liturgique, solennelle, qui constitue un
signe de gratification de l'ancien à l'endroit du jeune. Les
prières et les bénédictions constituent une quête de
bonheur à travers la conservation de la personne et sa protection. On y
retrouve la dénomination généalogique. En effet, donner un
nom à un enfant est un acte par lequel on fixe le passé, le
présent et on envisage l'avenir.
Très proche de la parole de l'ancien, la parole
importante par son extrême brièveté s'en démarque
à bien d'égards, mais surtout par sa fixation sur le temps. C'est
l'expression de vérités universelles, guides de la vie.
j) La mauvaise parole : » Kóma júgu
»
C'est une parole qui n'est pas la bonne parole. Elle est un
mélange d'intelligence et d'irréflexion. Cette parole provoque
des sentiments divers sur le récepteur : le dégoût, la
colère, le mépris, la surprise... Cette parole qui s'oppose
à la bonne parole (»Kóma díman»), est encore
appelée »Kóma
júguman» (=parole méchante),
»Kóma kúnaman» (=»parole amère»),
»Kóma kólon» (=la parole vide).
C'est le contenu qui rend le qualificatif » mauvais
» à cette parole. Elle s'illustre dans les injures ou les insultes,
les malédictions. On qualifie de mauvaise parole tout propos qui vient
rompre l'accord et l'entente préétablis ou qu'un groupe tente
d'instaurer. C'est donc une parole déplacée, hors contexte
parfois, mais perçue comme significative ici et maintenant.
Pour certain, elle est souvent la manifestation de la
bêtise dans ce sens qu'on peut dire des mots qui ne tiennent pas compte
de l'individu, des paroles idiotes. On dit souvent que cette parole est
amère »Kóma kúnaman» dans la
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mesure où elle s'oppose à »Kóma
díman». Elle est vide à cause de sa forme directe,
libérée de toute considération éthique, des termes
crus
k) Le mensonge : » gálon
Kóma»
Cette parole est souvent perçue comme une parole
mauvaise. En effet, il existe deux types de mensonges :
- le mensonge négatif » gálon
Kúntan» qui est une délation, un faux témoignage, du
rapport. Ce type de mensonge est mal vu, voire déprécié
par la société. On peut classer cette parole dans les propos
insensés, liés au bavardage congénital ;
- le mensonge didactique »gálon %úman
», est le propre du beau parleur, du diseur de bonnes aventures. Cet homme
à l'esprit inventif et ingénieux est un virtuose et professionnel
de la parole. Il peut monter séance tenante et en donnant pour vraie, un
mensonge inspiré d'une légende des temps modernes. Souvent on
invente des mensonges pour échapper à une situation dangereuse ou
difficile ou pour sauver une situation. Ce mensonge est fait dans un bon sens ;
il peut également vouloir distraire.
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