I
Le poéte face à son destin ;
Le poéte,pour Mallarmé,est un messager,un
prophète venu en ce monde pour bénir la race humaine et lui
communiquer le message de la paix et de l'amour..
mais,en dépit de sa grande mission,le poéte s'est
trouvé de tout temps confronté à de graves
désappointements :l'incompréhension de la masse,son
ingratitude flagrante et cruelle,et surtout le dénigrement dont il
était l'objet,étaient de nature à provoquer en lui de
vraies crises de désespoir..
Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le
change ;
Le poéte suscite avec un glaive nu,
Son siécle épouvanté de n'avoir pas
connu,
Que la mort triomphait dans cette voix étrange :
calme bloc ici-bas chu d'un désasre obscur.
Le profond respect,pour ne pas dire l'extrême
dévotion,que Mallaermé nourrissait pour le grand maître de
tous les poétes contemporains,ne faisait que s'accroître au fur et
à mesure qu'i découvrait et s'enfonçait dans le profond
génie d'Edgar Poe
ce sentiment de respect et d'admiration s'était en effet
exprimé dans ces vers revélateurs oû l'on voyait le
poéte s'évertuer pour arracher son siécle à la la
léthargie et pour se reposer à jamais dans le sein de
l'éternité,oublié de son vivant mais glorieux aprés
sa mort
L'insuccés du poéte auprès d'un public
souvent ignare et hostile est un fait incontestable,car,comme l'a si bien
souligné J.Moréas.
Ma gloire est aux ingrats ;ma graine est aux corbeaux,
Sans récolter jamais,je laboure et je sème..
Le poéte se saigne ainsi jusqu'au sang,se meurtris,se
tourmente mortellement pour secouer le joug de cette humanité
d&jà clouée au poteau des traditions archaïques et de
son arriérisme séculaire.Mais tous ses efforts sont d'ores et
déjà voués à l'échec.
C'est à voix basse qu'on enchante
Sous la cendre d'hiver
coeur,pareil au feu couvert,
Qui se consume et chante.
J.P.Toulet.
C'est en vain que le poéte cherche à égayer
le monde d'ici-bas..
et Mallarmé,malgré ses efforts pour
réjouir,non pas la masse à laquelle d'ailleurs il avait interdit
l'accés de sa poésie,mais une catégorie de gens
initiés à la pratique et à la magie mallarméenne.Or
Mallarmé ,en procédant ainsi, n'a pas failli à son devoir
qui est de produire une oeuvre authetique digne de la
postérité,comme l'a bien souligné à juste titre un
des passionnés du poéte de Hérodiade :
Qui sont de grands poétes
Ils se savent prédestinés
A briller plus que ces planètes.
G.Apollinaire
La joie intérieure qu'éprouvait le
poéte,cette joie infiniment exaltante,ne se dissipait pas de
sitôt.Et Mallarmé,après la découverte du sublime,du
beau et du surnaturel,s'extasie devant sa propre création :
Ainsi,quand des raisins j'ai sucé la
clarté
Pour bannir un regret par ma fuite
écarté ;
Rieur,j'élève au ciel d'été la
grappe vide,
Et,soufflant dans ses peaux lumineuses,avide
D'ivresse,jusqu'au soir je regarde au travers..
loin de la masse et de ses tracasseries,loin de tous les soucis
terrestres,Mallarmé fiévreusement s'absorbait dans la
satisfaction de soi...le soulagement physique ressenti après une
conquête diificile,à savoir sucer jusqu'à
l'épuisement total le suc de la poésie pure,après
quoi,qu'importe l'infâmie de l'oubli ou même encore le
mèpris de la masse.
Sans plus il faut dormir en l'oubli du
blasphème
Sur le sable altéré,gisant et comme
j'aime
Ouvrir ma bouche à l'astre efficace des
vins..
Le poéte est victime,non pas de l'oubli de ce monde
ingrat,mais aussi de graves injustices qu'il tolérait pourtant
patiemment depuis des siécles..comme l'atteste bien ce distique de
Tristan Corbière,dèjà arrachée à la vie
encore tout pétillant de jeunesse.
Vois-le,poéte tondu,sans aile,
Rossignol de la boue--Horreur !
Ainsi ce pauvre Corbière était en effet de ceux qui
n'avaient pa connu le goût de la vie et étaient morts fort
jeunes,après avoir épuisé le bout de temps qui
était échu par leur destinée..D'ailleurs il n'était
pas le seul à savoir que le poéte,un être méconnu
et honni,n'avait pas de place dans ce monde cruel :Baudelaire,le
grand,l'inimitable,le génial Baudelaire,lui-même
en avait fait l'expérience,puisque plus d'une fois,on lui
avait infusé dans les veines le vénin du blasphème et de
la malédiction :
De féroces oiseaux perchés sur leur
mature Détruisaient avec rage un pendu déjà
mûr,
Chacun plantant ,comme un outil,son bec impur,
Dans tous les coins saignants de cette pourriture
Les yeux étaient deux trous et au ventre
effondré
Les intestins pesants lui coulaient sur les
cuisses,
Et ses bourreaux,gorgés de hideuses
délices,
l'avaient à coups de becs absolument
châtré.
Cette image effroyable du poéte martyrisé par ses
bourreaux,s'estompait dans les souvenirs que nous avions recuillis tout au long
de notre étude sur les poétes que nous avions tant aimés
et chéris jusqu'à l'idolâtrie et qui,à travers mains
vicissitudes et revers de fortune,avaient regagné le sommet de
l'apothéose..Et Th.de Banville,dans un moment de fierté et
d'enthousiasme,exulta :
Il s'élevait à des hauteurs
Telles,que les autres sauteurs
Se consumaient en luttes vaines.
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