IV
Tentative et essai poétique.
Mallarmé,dans son modeste logis de la rue de Rome,se
souvenait avec délices les nuits fécondes oû il
écrivait des poémes sur des thèmes pour le moins
fantaisistes..Il se rappelait ces circonstances oû il accomplissait
gaiement des petits voyages dans son imagination et exprimait les effets de
l'amour et de la nature dans des termes pleins de sens et
d'ingéniosité..
Il a déjà collaboré au Parnasse
Contemporain,mais ses poémes n'avaient fait l'objet d'aucune
curiosité,ils étaient plutôt passés inaperçus
parmi tout une kyrielle de poémes divers,écrits pourtant avec le
même ton et le même esprit,comme s'ils étaient conçus
par le même poéte...
Aujourd'hui,dans cette sorte de bonbonnière solitaire et
froide,par cette nuit hivernale du mois de janvier 1874,il s'est mis
paresseusement à griffonner des poémes ,tout en méditant
sérieusement sur la valeur de ce qu'il est en train
d'écrire..Pourtant pour lui écrire de la poésie est
délassement avant tout,une manière d'évasion loin du
poids des soucis matériels qui ne cessèrent de le harceler,en
dépit de la tempérance et de la frugalité oû il se
refugiait pour éviter de se faire accabler davantage par des dettes
qu'il ne pouvait jamais honorer...
Mais il écrit pourtant..et c 'est avec une
réelle passion..un goût et une persévérance
étonnants..
..Dans chaque vers qu'il traçait sur la feuille
vierge,il criyait y avoir mis une petite tranche de lui-même..il croyait
y avoir enfermé ses propres tribulations,les tiraillements atroces de
son coeur,déjà assoiffé d'espace et de
liberté...Tout en écrivant avec émotion,mais avec une
humilté apparente,il se sentait comme libérer des entraves de la
vie et planer dans un ciel lointain,en regard des paysages immenses et radieux
et une nature qui nage dans une splendeur divine....
Ainsi pour lui,en cette période d'hiver,oû la pluie
tambourinait légèrement sur les vitres et faisait un bruit doux
s'accordant avec les saccades de ses idées..la poésie est le
parfum,le baume qui revigore et galvanise son âme meurtrie dans une
société qui brandit l'opulence et la richesse comme le symbole
exclusif de la réussite...
Après avoir vidé son coeur dans des poémes
à thèmes divers et soulagé sa soif ardente dans des
explorations infinies au fond de son âme déchirée,il se mit
encore à refléchir sur la nécessité de tout ce
travail..de tout ce flux d'émotions et de pensées
étalées sur ces papiers fragiles..Mais n'ayant pas trouvé
d'issue à toute cette méditation,qu'il jugeait justement frivole
et enfantine,tout en regardant les rideaux plissés aux festons
entrecroisés qui lui cachaient la vue de la rue de Rome,il s'approcha
à pas lents,tellement ses jambes étaient légèrement
engourdies,d'un petit guéridon installé dans un coin de la petite
salle et prit une photo en miniature,une photo qu'il avait trouvé un
jour chez un libraire célèbre et qu'il avait,moyennant une somme
modique,achetée et installée là sur ce guéridon,en
guise de relique précieux...
Avec des yeux pleins d'émotions,il s'est mis à
contempler cette photo,déjà à bordures
élimées et en partie noircie par un long usage,floue et sans
aucun attrait.Emu jusqu'aux larmes,il la faisait tourner dans sa main avec une
extrême douceur,puis humblement il la remit à sa place et s'en
retourna se coucher....
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