Contribution à l'étude des origines de la poésie mallarméenne( Télécharger le fichier original )par Mohamed Dr Sellam Université de Bordeaux - Doctorat 1981 |
Mais si cette authenticité vous excite ainsi d'une manière si imprévisible,si elle vous plonge en quelque soirte dans un ébahissement verigineux,elle n'en est pas moins cependant déconcertante et singulière,d'une singularité plus qu'étrange,terriblement embarrassante..Car le lecteur,par cette caractéristique spécifique,qui le met dans un état perplexe,s'absorbe éperdûment dans la pénètration du sens de cette poésie abstruse...Et effectivement d'ailleurs ce n'est pas donné à n'importe quel lecteur de déchiffrer ce type de poésie,si pleine de contours complexes et de tournures plus impénètrables.Et c'est en effet par cette impossibilité à pouvoir pénètrer dans le monde complexe de la poésie mallarméenne que constitue en premier lieu l'originalité véritable du poéte d'«Un coup de dès jamais n'abolira le hasard ; »69(*) Lamartine,Musset ou même V.Hugo,en pratiquant une poésie facile et au charme saisissable au premier venu,ont réalisé incontestablement une certaine réputation durable dans l'univers de la poésie.Les parnassiesns,tels que Leconte de Lisle,Banville ou même F.Coppée entrent dans l'histoire des lettres,grâce à leur talent d'enchanter le lecteur sur le plan esthétique et l'exactitude d'un style plus que parfait,que la postérité ne manquera pas encore de reconnaître avec la même ferveur que les générations passées.. Tandis que Mallarmé,Rimbaud,lesquels,après Baudelaire,seront à coup sûr des figures impérissables,tant par leur originalité profonde que par la subtilité extraordinaire de leur poésie,qui les mettent en quelque sorte en marge de leur temps et en avance sur tous les temps.. IVLa poésie mallarméenne,miroir de l'esprit et du coeur.La poésie pure flatte l'âme et adoucit le coeur :c'est une poésie faite non pas pour exprimer un message particulier,transmettre une idée,ou peindre des sentiments,elle est faite,grâce à son harmonie pure,à sa nuance accentuée et la chaîne vibratoire de ses mots,uniquement pour être chantée d'une voix au timbre sonore et cristallin.. «J'ai été,déclara Mallarmé dans une de ses nombreuses lettres sur Hérodiade,j'ai été assez heuereux la nuit dernière pour revoir mon poéme dans sa nudité,et je veux tenter l'oeuvre ce soir.Il m'est si difficile de m'isoler assez de la vie pour sentir sans efforts,les impressions extraterrestres,et nécessairement harmonieuses que je veux donner,que je m'étudie jusqu'à une prudence qui ressemble à la manie . » La poésie à laquelle s'exerçait inlassablement Mallarmé,est une poésie qui sort non pas d'une combinaison mécanique ou factice des mots entre eux,bien au contraire,c'est une poésie dont la cohérence au niveau du sens ingénieusement achevée,s'extirpe de ce qui est banal,monotone et lamentablement nul,pour venir réjouir suprêmement à la fois l'âme et le coeur : Ainsi,pris du dégoût de l'homme à l'âme dure, Vautré dans le bonheur,oû ses seuls appétits Mangent,et qui s'entête à chercher cette ordure Pour l'offrir à la femme allaitant ses petits.. A la lumière de cette simple strophe,nous remarquons que la poésie mallarméenne,avec son caractère fuyant et fluide,s'exprime elle-même,sans le secours de l'esprit...Ce n'est donc pas,comme on a pu l'insinuer,un amas de mots vagues,mis en vrac,dans une incohérence absolue,c'est une poésie,née dans le coeur et exprimée au moyen d'un génie peu ordinaire,soumise au pouvoir d'un art qui « telle la musique,ne représente pas,mais simplement présente une émotion. » ou comme il l'a affirmé hardiment dans une lettre à son fidèle ami Cazalis,lui parlant de son poéme « Apparition » .« Je ne veux pas faire cela d'inspiration :la turbulence du lyrisme serait indigne de cette chaste apparition que tu aimes.Il faut méditer longtemps ;l'art seul,limpide et impeccable,est assez chaste pour la sculpter religieusement. » Mais l'esprit mallarméen,si insaisissable qu'il soit,ne s'accroche exclusivement pas à un thème ou à une image fixe,invariable,c'est un esprit qui s'est totalement libéré de tout cela et ne produit pas seulement des idées,mais quelque chose d'autre plus sublime,et plus pathétique,à savoir la symphonie continuelle et infinie du coeur : Encor !Que sans répit les tristes cheminées Fument et que de suie une errante prison Eteigne dans l'horreur de ses noires traînées Le soleil se mourant jaunâtre à l'horizon ! La strophe ci-dessus citée nous invite à réfléchir sur le sens de cette chaîne de mots ininterrompus,qui dans leur étalage,expriment tout un mystère infiniment impénètrable,car issu du coeur,c'est-à-dire de l'inconnu,y gît encore pour l'éternité : Ce sépulcre solide où gît tout ce qui nuit, Et l'avare silence et la massive nuit. Mais ce jaillissement s'élabore lentement et progressivement ,à un rythme discordant,et même grinçant,comme une vieille machine dont les rouages manquent une bouffée de graisse et la poésie mallarméenne,de grinçante,de cahotante et de saccadante qu'elle était,elle s'émerge d'elle-mêmedes caveaux obscurs de l'esprit pour s'éclairer par les lumières de la logique et de la raison.. Car j'y veux,puisque enfin ma cervelle vidée, comme le pot de fard gisant au pied d'un mur, N'a plus l'art d'attifer la sanglotante idée Lugubrement baîller vers un trépas obscur70(*).. : La stérilité de l'esprit,comme du coeur,est un fait réel chez les poétes,car plus on y travaille intellectuellement plus l'esprit s'épuise et les idées s'évaporent...Car mallarmé ne produit pas d'inspiration,ce phénomène est absolument étranger pour lui :«J'aimerais infiniment mieux écrire en toute conscience et dans une entière lucidité quelque chose de fidèle,que d'enfanter à la faveur d'une transe et hors de moi-même un chef-d'oeuvre d'entre les plus beaux. » Et pourtant l'esprit mallarméen est un esprit qui ne se fatigue pas car,nanti d'un pouvoir exceptionnel,il explore les faits dans leur nudité,comme dans leur mystère,au prix de durs efforts,des vers profonds comme la mer oû l'on pouvait trouver,si l'on y cherchait,des choses merveilleuses et surnaturelles..«Je n'ai créé mon oeuvre et toute vérité acquise ne naissant que par cette perte,d'une impression qui,ayant étincelé,s'était consumée et me permettait,grâce à ses ténèbres dégagées,d'avancer parfaitement dans la sensation des ténèbres absolues. » La fouille dans les caveaux ténèbreux de l'âme n'est pas facile,et le dépistage anxieux des profondeurs du subconscient ne s'accomplit que par des difficultés insurmontables et de graves sacrifices et cependant cette quête obscure n'aboutit en fin de compte qu'à de minces trouvailles infiniment réduites,de minuscules parcelles tirées d'un vaste océan de fantasmagories étourdissantes.«Nous n'avons aucun moyen d'atteindre exactement en nous ce que nous souhaitons obtenir. » Ainsi fureter dans le creux de l'âme à la découverte de quelque chose d'infinment petit mais infiniment merveilleux ; s'épuiser mélancoliquement dans le dessein de comprendre autre chose que ce qui est visible à l'oeil,c'est-à-dire,la recherche de l'invisible et de l'obscur et pourtant cette quête inlassable et infinie n'est entreprise que pour creuser des « riens » et ces « riens »71(*) ces nullités sont pour nous autant de prodiges,de miracles extraordinaires. «l'art pur,déclarait Valéry dans Variétés II,est de produire quelque chose à partir de « rien » et Mallarmé est vraiment un grand génie dans ce domaine .»car le prodige ne réside pas dans l'action d'émouvoir par des spectacles insolites ou par des tirades lyriques,cela ne relève nullement de la création et de la créativité.« l'art le plus haut,ajoutait encore Paul Valéry dans le même ouvrage, ne peut certainement pas consister à émouvoir par d'émouvants objets.Quoi de plus simple que de faire frémir ou attendrir les gens au moyen de la mort,de la douleur,ou de la tendresse,cela est à peine créer. »Cela est incontestablement vrai dans la mesure oû l'on cherche explicitement à capter,à saisir l'attention et à faire vibrer les ressorts du coeur et oû encore toute tentative de parler à l'esprit est quasiment exclue. «Il est facile,continuait Valéry sur le même ton,de saisir un public par un spectacle ou un discours qui va droit à notre faiblesse,qui torture ou dilate les coeurs,faisant vivre une feinte vie,en jouant des jouissances naîves de la vie.Mais cet art,que l'on dit humain,est donc mensonge. »Alors pour Valéry comme pour Mallarmé,la poésie,produit de l'intellect et rien que de l'intellect,et par conséquent doit nécessairement être comprise par l'intellect ;de plus,la poésie est,et demeure toujours comme disait encore Valéry. «l'essai de représenter ou de restituer par les moyens du langage les choes ou cette chose que tentent obscurément d'exprimer les cris,les larmes,les caresses,les baisers,les soupirs etc et que semblent vouloir exprimer les objets dans ce qu'ils ont d'apparence de vie ou de dessein supposé. ». Valéry72(*),poéte et critique à l'esprit subtil et clairvoyant,fit ce constat avec intelligence et profondeur,comme s'il avait l'intention d'explicier et d'éclaircir l'oeuvre de son vieux Maître..ou même d'en justifier expressement l'obscurité évidente. En somme,la poésie et les arts,ont la sensibilité pour origine et pour terme,mais entre ces deux extrêmes, l'intellect et toutes les ressources de la pensée,peuvent et doivent s'employer,pour atteindre à l'émerveillement sublime et s'arracher au temps pour se diluer dans l'éternité absolue ; ; Quoique Mallarmé ne soit pas nanti du talent de « se jouer des âmes des autres. »cela n'est pas du tout de son ressort,il est néanmoins doué de l'art de produire l'enchantement et « une sensation de ravissement73(*) sans références. » Mallarmé, comme nous l'avions déjà souligné,rejette délibérément l'inspiration émotionnelle qui confère ,selon lui,plus d'importance aux idées,aux situations et aux événements,qu'elle n'en confére aux mots. Car pour Mallarmé,les mots ne sont faits que pour produire de la musique,une musique d'enchantement et d'extase,mais,comme le souligne habilement Brémond, «une chose aussi chétive,quelques vibrations sonores,un peu d'air battu...ne saurait être l'élément principal encore moins unique,d'une expérience oû le plus intime de notre âme se trouve engagé. » Et pourtant,Mallarmé,inventeur de musique et créateur inépuisable de notes prodigieuses,s'est engagé à réaliser l'irréalisable,parlant musicalement à l'esprit sans que les fibres de l'âme entrent dans la fiévre d'une vaine agitation.. * 69 -Cf Mallarme'sun coup de dès an exegesis :excellente thèse de Cohn Robert Greer (Payne and lane 1949).Cf l'excellent essai de Davies Gardner intitulé :Vers une explication rationnelle du coup de dès .Corti 1953; * 70 --Voir pour toutes les pages qui précèdent:Henry Charpentier:réflexions sur l'oeuvre de Mallarmé.(Belles-Lettres,1923).Charles Chassé:Lueurs sur Mallarmé.(Société Archéologique du finistère 1947) * 71 -Cf.Emilie Noulet:vingt poémes de Stéphane Mallarmé.(Minard-Droz.1967) * 72 -Cf.Henri de Régnier:Par valéry vers Mallarmé (Mercure de France,1925) Henri Mondor:L'heureuse rencontre de paul Valéry et Stéphane Mallarmé;(Ed.Clairefontaine.1947) * 73 Cf Joe Bousquet :Mallarmé le sorcier (Les Lettres,1948) voir aussi Maurice Blanchot:La part du feu.(1949,Gallimard) |
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