VII
Grandeur et décadence de la matière
poétique dans l'oeuvre de Mallarmé ;
Dans les stances de « l'après-midi d'un
Faune » la fureur du désir est en quelque sorte
tempérée par une certaine pureté métaphysique et
dans toute la piéce,on y sent malgré tout,le parfum,un parfum
obsédant de sensualité et de luxure,le tout enrobé
cependant dans le voile immaculé d'une
« ingénuité » toute
féminine...«Oui,je le sais,écrivait Mallarmé
à son ami Des Essarts,nous ne sommes que de vaines formes de la
matière,mais bien sublimes pour avoir inventé Dieu et notre
âme,si sublimes,mon ami,que je veux me donner le spectacle de la
matière ayant conscience d'être et,cependant
s'élançant forcénément dans le rêve qu'elle
sait n'être pas,chantant l'âme et toutes les divines impressions
pareilles,qui se sont amassées en nous depuis les premiers âges et
proclament devant Dieu qui est la vérité,les glorieux
mensonges. ».
Transformez l'essence de la matière en quelque
chose de vivant,c'est tuer l'esprit,le vrai esprit, :la matière
reste matière,toujours constante et invariable,fragile et
malléable,soumise à la puissance dominatrice de l'esprit..
L'avenir est à l'esprit et non à la
matière..L'esprit survit à toutes les calamités de la
terre,mais la matière,bien qu'elle renaisse perpétuellement de
ses cendres,finira un jour par s 'éteindre une fois pour
toutes..
Mallarmé a-t-il fait l'éloge de la matière
dans son oeuvre ?Oui,certes,la matière,en tant
qu 'élément vital dans la structure de l'oeuvre
mallarméenne,y occupe la place fondamentale..
La matière en tant que sujet du thème ou
même en tant qu'objet visible,tangible,reconnaissable dans la masse
compacte du poéme,cette matière a commencé à perdre
son privilège,lorsqu'une nouvelle dominante,le rêve pur et
absolu,apparut,pour se substituer de force à la matière
initiale,en faisant reculer les frontières des affres de l'existence ,de
l'agonie de l'âme,de la soif de la chair et du mortel ennui..
La matière et l'esprit,comme le corps et l'âme,deux
grands pôles deux grands piliers confondus eu un qui supportent
éternellement la charpente de l'oeuvre mallarméenne..
En conséquence,plus la matière perd de son prestige
et de son rayonnement,plus l'esprit du vers se dégrade
sensiblement,s'érode,s'élime,s'effiloche comme un morceau
d'étoffe criblé de mites et perd tout sens réel...
C'est évidemment pour cela que,dans l'ensemble de
l'oeuvre,l'on s'est rendu compte plus d'une fois de cet équilibre
génial,qui se trouvait entre la matière d'une part et l'esprit
de l'oeuvre.de l'autre part. «Il n'y a pas de forme qui ne soit
le reflet du fond .» Valéry,avec tact et
sagacité,avait saisi le sens de cette cohésion,de cette
cohérence intime qui constituait en un tout indivisible l'oeuvre de son
Maître..
Mais,si l'on est certain que l'oeuvre est édifiée
selon cet équilibre infaillible,cette union indissoluble et
indissociable ,l'on constate d'un autre côté,en raison de la
complexité des idées et de leur ennchevêtrement
incroyable,impossible en effet à dissocier de l'ensemble monolithique
de l'oeuvre,le régne de la matière,cependant,pouvait dans
certaines limites être réduit pour permettre à l'esprit
d'étendre davantage son envergure.. « Rien n'est
peut-être allé si loin que « l'Après-midi d'un
Faune »dans la poésie pure »A.Thibaudet
était ainsi conscient que plus la matière est
réduite,exiguë et presque nulle,plus la poésie est
pure,claire et fluide et cela nécessite à priori un esprit
profond,abstrait,ouvertement en avance sur le temps..
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