C'est pourquoi il serait inconvenant de
prétendre que la poésie mallarméenne est une
poésie irrationnelle,illogique et irréelle,complétement
indifférente aux souffrances de l'humanité et aux affres de la
vie..
Cette prétention,pour injuste qu'elle soit,ne saurait nous
faire oublier la portée éminente de cette poésie qui a eu
le don,ou plutôt le pouvoir de réveiller en nous le désir
de nous connaître et de percer les forces inconnues qui gisent dans le
fond de notre être..
Ainsi,pour Mallarmé,la vérité est
que,plus nous nous cherchons à nous connaître,plus nous
découvrons un monde nouveau,oû la Beauté,cette
lumière divine,occupe le premier rang..et c'est de la connaissance de la
Beauté que relève l'amour de l'humanité..
III
La vie spirituelle de Mallarmé passe par le
culte du Beau.
Plus que Leconte de Lisle,qui s'était énivré
jusqu'à l'extase du charme profond de la Beauté,plus que Charles
Baudelaire,qui,lui aussi,poussé par une force mystérieuse
à sonder les secrets profonds de tout ce qui est beau, s'était
attaché corps et âme durant toute sa vie si exaltante,à
cette création si divine,Mallarmé du fond de sa retraite intime
de la rue de Rome,explorait patiemment le monde envoûtant de la
Beauté.
Ce n'est pas la Beauté des classiques,qui voyaient en
elle d'abord une inspiratrice esclave !Ce n'est pas la beauté des
romantiques,qui,le plus souvent,l'assimilaient à la laideur,la
considérant comme un objet matériel périssable..Ce n'est
pas non plus la beauté des parnassiens,qui,eux,l'assimilaient à
une statue inerte,paralytique ni plus ni moins..
Bref pour Mallarmé la Beauté est un
phénomène divin,que l'on devait entretenir avec une douceur
extrême et une constante sérénité ;la
Beauté est, contrairement aux parnassiens,un être
vivant,agissant,une intelligence lucide et immortelle «la terrible
difficulté de combiner,dans une juste harmonie,l'élément
dramatique hostile à l'idée de poésie pure et
subjective,avec la sérénité et le calme des lignes
nécessaires à la Beauté .»
Le culte de la beauté,comme le culte du bon
goût en poésie,est une nécessité impérative
et absolue.
Car,grâce à elle,la poésie s'achemine de
l'état de néant vers la clarté céleste ,vers les
profondeurs de la présence surnaturelle..vers l'immanence
métaphysique,vers l'Infini et l'immortalité.
Tel un alchimiste habile,qui procède aux transmutations du
fer en or,la Beauté,alliée et fondue dans la
poésie,galvanise davantage cette dernière et réhausse sa
valeur à une création surnaturelle,en lui conférant une
haute portée mystérieuse..
Mallarmé,occupé tout le temps par la magie de cet
être imaginaire mais sublime et au pouvoir suprêmement
incoercible,ne s'est pas empêché de dévoiler hautement le
grand secret de sa vie.«J'ai,écrivait-il dans une des
lettres à Villiers en 1865,le plan de mon oeuvre et sa
théorie pratique sera celle-ci :donner les impressions les plus
étranges,certes mais sans que le lecteur n'oublie pas une minute la
jouissance que lui procurera la Beauté du poéme et le sujet
apparent n'est qu'un prétexte pour aller vers elle.C'est,je crois,le
mot de la poésie. »
D'ailleurs,aucun poéte,depuis l'ére des classiques
jusqu'à celle des symbolistes,en passant par les romantiques,n'avait
adulé,dorloté et adoré jusqu'à l'exreême
folie la Beauté autant que Mallarmé,qui la croyait être le
réceptacle consciencieux de toute sa puissance et de tout son
génie...
La beauté est une flamme qui brûle,qui nuit et qui
dévore,mais elle est aussi un doux zéphyr au coeur de la
canicule,une bouffée de chaleur dans les jours les plus sombres de
l'hiver,enfin la beauté pour Mallarmé est une bouée de
sauvetage au moment crucial du danger,un mécène
éclairé dans ses méditations poétiques.
Mon âme vers ton front oû
rêve,Ô calme sens,
Un automne jonché de taches de rousseur
Et vers le ciel errant de ton oeil
angélique
Monte,comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle,un blanc jet d'eau soupire
l'azur !
Mais la Beauté de Mallarmé,ce n'est pas lui qui la
crée,loin de là,sa Beauté à lui,est née
d'elle-même,immanente,et tel que Dieu,invisible à l'oeil,mais il
l'entrevoit néanmoins à travers le réseau inextricable de
sa pensée et cherche inlassablement à l'atteindre..
Tel un pygmalion,chaque poéte pourtant invente sa
Beauté ;une Beauté qui lui est propre,conforme à son
goût et à ses aspirations,pour vivre intellectuellement avec
elle,qui le réconforte dans ses moments difficiles et lui inculque le
sens de la patience et de la sobriété..
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