Baudelaire,en homme d'esprit et de talent,avait
entièrement renouvelé les thèmes romantiques,qu'il avait
sciemment dédaignés en raison de leurs banalités et de
leurs pleurnicheries outrancières...
Le thème de l'amour,qui avait été pour les
romantiques,le thème central de toute création
poétique,n'était plus désormais pour Baudelaire qu'une
notion vaporeuse et vide de tout sens logique...
Ainsi au lieu de suivre les traces des maîtres du
romantisme,en traitant l'amour sous son aspect sentimental et courtois,comme un
stimulant énergique,des bas instincts ou comme un élément
secondaire des désirs charnels refoulés,Baudelaire traita l'amour
comme un phénomène dépouillé de tout
sentimentalisme pur et hypocrite,susceptible non pas de revigorer les
esprits,selon les prétentions mesquines des romantiques,mais de jeter
l'homme dans un tourbillon d'illusions,de doutes et de mystifications
fallacieuses...
l'amour,pour Baudelaire,comme pour son fervent disciple
Mallarmé,était donc une imposture flagrante,une horrible
tromperie,un acte mensonger,enfin un prétexte trivial investi d'une
ombre de sortilège et d'aliénation arbitraire..
Le pessimisme mortel,effarant et sombre,dans la vie d'ici-bas,ce
pessimisme que l'on rencontre dans chaque vers de ce grand
réformateur,n'était pas en réalité dû
à sa haine du sexe faible,provoquée par le remariage de sa
mère après la mort subite de son père,c'était
plutôt une des conséquences de sa vie d'enfant orphelin,qui
semblait même regretter sa venue en ce monde de pourriture et de
débauche,c'était encore dû à l'environnement social
qu'il répugnait et l'effarouchait terriblement..
Ce pessimisme,en apparence distillé par une poésie
pure,mais chaotique,un coeur déchiré ,torturé et meurtri
par la déception de la vie,en un mot,son expression scintillante se
dissipe peu à peu derrière le voile de l'amertume et de la
douleur..
Mallarmé,pour qui les « Fleurs du
Mal » était la seule et unique source
d'inspiration,s'aperçut cependant qu'il y avait eu une étonnante
affinité,une communion profonde entre lui et son
maître,rapprochement au niveau des aspirations,comme au niveau de la
pensée et de la technique poétique..
Et pourtant,la contemplation de la nature moribonde ou de la
nature en pleine floraison,l'enthousiasme euphorique que l'on éprouve
en face de la beauté ou de chaque objet inanimé ou
animé,la satisfaction intérieure et la joie sublime qui font
reculer les frontières de la vie,le bonheur divin et intarissable que
l'on puise même dans le sein de la nature..tout cela est resté
dans l'ombre ou à peu près dans la poésie
baudelairienne ; ;rien de tout cela ou presque n'a
été scruté par la plume -si pleine pourtant de fiel et
d'angoisse-de Baudelaire :rien n'a été peint suivant
la manière des romantiques qui n'avaient pas cessé en fait
d'exalter la nature hospitalière et immortelle..
Mais,par contre,l'angoisse devant la mort,l'agonie des valeurs
humaines,l'ennui hideux que respire chaque chose de la vie,le règne du
mal et de la souffrance humaine,voilà les thèmes favoris de
Baudelaire et par là même,ceux que Mallarmé,avec un
génie tout particulier et un don original,a dû exploiter avec
vigueur et une verve inépuisable..
Mallarmé,attaché toujours au pas du
Maître,acheva,selon la conception artistique de ce dernier,de très
courtes piéces que l'on a jugées à juste titre comme
étant impeccablement travaillées..
les thèmes du Maître,toujours présents dans
l'esprit de Mallarmé,nourrissaient et galvanisaient constamment toutes
ses productions poétques.ýDe plus la technique du vers,qui
était le point essentiel et la régle fondamentale de ses
productions en matère poétique,est toujours celle du
Maître,sans jamais avoir le courage de s'en émanciper..du moins
pour un temps..considérant de bonne foi que c'est en effet la raison
d'être notamment de tous les poétes encore au seuil de leur
carrière... !
IV
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