1.2.2- Les travaux centrés sur la prohibition des
punitions corporelles à l'école
Dans ce registre, nous avons consulté les travaux de
Neill, de Kodjo Messan, de Désarmais et Gineste, de Chatelain, de
Bernard Douet, de Jeanne Contou pour ne citer que ceux-là. Les travaux
de ce registre essaient de faire le lien entre les punitions et la violence et
démontrent donc le fait que la punition ne soit pas nécessaire en
éducation. Par ailleurs, ils fustigent l'autorité/discipline
verticale, unilatérale et excessive au profit d'une
autorité/discipline concerté et autonome.
Déjà au Moyen Age (XVème siècle),
Montaigne dénonçait l'usage des punitions corporelles en
éducation. Cette pratique disciplinaire que Montaigne qualifiait de
« discipline de fer et de sang » lui
apparaît comme une barbarie. Dans les Essais, il s'exclamait en
ces termes :
« Cette police (ce système de punition) de la
plupart de nos collèges m'a toujours déplu : on eût
failli [...], moins dommageablement, s'inclinant vers l'indulgence. C'est une
vraie geôle de jeunesse captive : on les rend
débauchée, l'en punissant avant qu'elle le soit. Arrivez-y sur le
point de leur office (à l'heure du travail) : vous n'oyez que cris
et d'enfants suppliciés et de maîtres enivrés en leur
colère. Quelle manière, pour éveiller l'appétit
envers leur leçon [...], les mains armées de fouets ! Inique
et pernicieuse forme ! » (Montaigne, cité par Coudray,
1989 :21).
A titre de travail empirique, Jeanne Contou (1980), dans sa
thèse de troisième cycle a dénoncé le
système punitif en France. C'est un système dur, barbare et cruel
puisque les punitions avaient pour seul but de combattre l'enfance. Tout ceci
découle des conceptions de l'enfance. Cette période est
diabolisée puisque l'enfant est considéré comme un
être léger, inintelligent, malléable, paresseux d'esprit,
impur, non mûr, corrompu, impitoyable par rapport à l'adulte,
méchant et sadique. La conclusion à laquelle aboutit Contou est
claire : le système punitif sévère, sadique,
oppressif et répressif conduit inéluctablement l'enfant à
la résignation, à l'obéissance aveugle, au conformisme, au
pessimisme bref à l'apathie qui rend l'enfant cruel,
révolté, lâche et menteur. Il nourrit de la haine envers le
travail. Et la conséquence directe n'est que les mauvaises performances,
ce qui se solde par l'échec scolaire. Contou a principalement axé
ses travaux sur les punitions symboliques. En définitive, pour lui, les
punitions n'ont pas de place dans l'éducation scolaire.
Abondant dans le même fil, Bernard Douet (1987) a
mené des enquêtes dans les écoles primaires et maternelles
qui lui ont confirmé que les punitions sont inefficaces. Bien souvent,
les enfants ne mettent pas la différence entre l'intention
éducative et l'acte agressif. Donc, pour eux, être puni, c'est
être agressé. Les investigations de Douet ont confirmé que
les élèves développent les sentiments d'opposition et de
révolte si on les punit de trop. Pour Douet, les punitions sont
inutiles, inefficaces voire dangereuses. Il a donc préconisé que
la discipline soit bienveillante et l'autorité non excessive. Il faut
rechercher les vraies causes de l'indiscipline pour user de la thérapie
la plus convenable au lieu de s'enfermer dans un système de punition
aveugle voire néfaste. En clair, selon Douet, les punitions surtout
corporelles doivent être abolies.
Quant à A. S. Neill (1970), celui-ci aborde le
problème d'une manière encore plus radicale. Pour Neill, le
système de punition est mauvais. La punition est toujours un acte de
haine. Elle forme un cercle vicieux. A Summerhill, les cours sont facultatifs.
Les élèves les suivent s'ils veulent. Les élèves
vivent dans une totale liberté. Et pourtant on y travaille beaucoup.
Donc, pour l'initiateur et le directeur de l'école de Summerhill,
l'enfant libre, autonome n'a pas besoin de punition pour travailler. Puisque la
punition lui enlève tout esprit de responsabilité, d'autonomie et
d'indépendance. La punition sème dans le coeur de l'enfant la
crainte. Or « personne ne peut aimer ce qu'il
craint ».
Telle est aussi la position de Chatelain (1952) qui à
son compte s'insurge contre les pédagogies traditionnelles,
basées sur la punition. Pour celui-ci, l'usage des punitions conduit
à former des enfants trop dociles, craintifs, indifférents, voire
déloyaux, agressifs ou sournois. En d'autres termes, la punition produit
plus de mal que de bien. Les élèves n'en ont pas besoin pour
travailler.
Dans la même veine, R. Désarmais et R. Gineste
(1963 : 302) s'écriaient ainsi : « le temps
est révolu où le maître estimait normal d'avoir recours au
châtiment corporel pour maintenir intacte son
autorité ». Selon ces deux inspecteurs, la crainte que
sèment les punitions corporelles n'est pas à même à
favoriser les activités pédagogiques. La relation
éducative se trouvera tendue dans une telle atmosphère rendant
l'activité scolaire inefficace voire impossible. La punition ne peut
donc pas amener les apprenants à améliorer leur travail scolaire
puisqu'elle se matérialise dans un cadre hostile aux activités
pédagogiques.
De l'autre côté de l'échiquier, John
Locke, bien qu'étant du même avis que Neill, paraît plus
prodigue en solutions réalistes. Selon Locke en effet, les punitions
corporelles sont inefficaces puisqu'elles rendent les élèves
anxieux, frustrés et haineux. En général, les
élèves s'acharnent à bien exécuter leur travail
scolaire afin d'échapper à ces punitions qui sont d'ailleurs
impropres à la morale éducative. Pour Locke, lorsque la punition
n'est pas acceptée par l'élève, elle crée un
sentiment de désobéissance entrainant souvent l'abandon ou la
fuite. Pour lui, il faut avoir confiance en l'enfant. Selon le gentleman,
« The sooner you treat him as a man, the sooner he will
begin to be one ». Locke préconise qu'on donne la
liberté à l'enfant afin qu'il soit motivé par le choix
éducatif de ses maîtres. « Changez de
méthode, et vous verrez qu'ils tourneront aussitôt leur
application du côté que vous voudrez. »
Abordant le problème sous l'angle de la discipline,
Chatelain (1952) plaide pour une discipline interne, émanant des
élèves eux-mêmes, une autodiscipline, ce à quoi fut
d'accord Célestin Freinet (1978).
Freinet qui a classé la discipline en trois (3)
catégories, en vient à choisir celle basée sur la
coopération scolaire, l'entraide entre les élèves,
l'autogestion de la vie commune par les élèves eux-mêmes,
etc. Le tout reste possible grâce aux conseils du maître. Le
rôle de l'enseignant est de guider, d'animer, et non de commander. Dans
une classe, selon Freinet, la discipline sera consentie donc naturelle parce
que comprise par tous comme étant nécessaire. C'est cette
discipline qui aide les élèves à bien travailler. De ce
fait, il condamne la punition, car étant conçue comme quelque
chose d'extérieure et d'imposée aux élèves. Ce sont
là des vues plus ouvertes, ce que l'on peut appeler une perspective
centriste.
Kodjo Messan (1992) y trouve place en reconnaissant d'abord,
au-delà de tout, la place des punitions en éducation. Toutefois,
il préconise que l'on fasse usage uniquement que des punitions
symboliques. « Une menace visuelle ou une insulte [...]
valent mieux qu'un coup de bâton sur les
fesses ».Il précise enfin que l'idéal serait de ne
pas punir du tout car il y a un lien important entre la punition et la
violence. Pour Messan, il y a un lien entre les disciplines d'enseignement et
l'usage des punitions à l'école.
C'est cette idée qu'a prolongé Halilou (2000) en
reconnaissant d'abord le système disciplinaire et punitif comme
nécessaire en éducation scolaire. Mais, malgré tout,
dit-il, « elle ne donne pas entièrement
satisfaction ». Il reprend Messan en affirmant que les punitions
symboliques sont les plus appropriées en situation d'apprentissage. Mais
les punitions ne règlent pas les vrais problèmes. Puisqu'elles
enferment le punisseur et le puni dans une sorte de cercle vicieux.
Bien que Freinet, Chatelain et Neill puissent être
classés dans le registre des partisans des écoles nouvelles,
Neill s'éloigne sensiblement des deux premiers en refusant
l'obéissance et la discipline. « Pourquoi un enfant
devrait-il obéir ? »demandait-il. Pour Neill,
l'enfant est par nature bon. C'est donc la discipline qui le corrompt. Il en
donne un exemple probant : « Enchaînez un chien
et de bon chien, il deviendra méchant. Disciplinez un enfant et
cet enfant a priori sociable deviendra mauvais, menteur et
haineux. » (Neill, 1970 :152). Seule la discipline
consentie garantit la liberté de l'enfant et de son être.
Revenant à la vue modérée ou
« centriste », nous préciserons que pour ceux-ci il
ne s'agira pas de rejeter toutes les punitions en bloc (comme le
préconise Neill), mais il faut les utiliser dans des circonstances
précises et vraiment nécessaires et aussi dans des conditions
rationnelles.
Désamais R. et Gineste R. (1963 : 303) pour
qui « ce n'est pas par la crainte, (mais) c'est par
l'affection que le maître obtient le travail le plus régulier et
le plus productif », après avoir montré
l'intention positive qui anime la discipline, parlent de la discipline
libérale, de liberté organisée. Pour eux,
l'éducation traditionnelle n'amène pas l'enfant à
l'acquisition de l'autonomie. L'enseignant doit s'efforcer de trouver une
solution d'équilibre entre la discipline stricte et la liberté
absolue. L'enseignant doit donc s'efforcer de concilier discipline et
liberté. Il parviendra ainsi à la discipline
libérale :
- En faisant preuve d'une grande compréhension à
l'égard des élèves ;
- En participant à toutes leurs activités,
à leurs jeux ;
- En créant un esprit d'équipe par des
réalisations communes en tout domaine ;
- En développant l'amour de
l'élève ;
- En « sublimant » les instincts
d'opposition ou de destruction des agités et des meneurs ;
- En secouant les « indifférents et les
amorphes » ;
- En faisant régner un esprit d'équipe, de
confiance et de camaraderie ;
- En ayant recours que tout à fait exceptionnellement
aux punitions ;
- En n'infligeant pas des punitions collectives.
Cette solution se trouve encore plus réaliste puisque
dire simplement qu'il faut supprimer les punitions en éducation
scolaire, c'est comme si l'on revenait à une société sans
règle et sans « morale » (Durkheim), à une
forme de libertinage, de licence ou d'anarchie, de laisser-aller (Saint
Augustin). Ce qui est certain, c'est le risque y est grand.
Sur le plan psychologique, le débat reste le même
mais un peu plus spécifié. Les théories de l'apprentissage
entre autres le renforcement se sont penchés sur ce thème et en
ont fait une préoccupation brillante et focale.
La théorie des renforcements a pour pionnier Skinner.
Celui-ci distingue les renforcements négatifs de nature aversive
(punition) des renforcements positifs de nature attractive (récompense).
Pour Skinner (1968), la punition est sans doute un renforçateur
privilégié. Mais, en étudiant plus minutieusement
l'influence des renforcements dans les phénomènes
d'apprentissage, il en vient à condamner les renforcements
négatifs dans sa théorie. Pour Skinner (1968), la
pédagogie traditionnelle n'utilise souvent que les
procédés aversifs, c'est-à-dire les punitions mais aussi
de façon maladroite. « Il pouvait y avoir des
renforcements positifs (récompenses, plaisir d'apprendre), mais d'une
manière générale, l'enfant apprenait pour échapper
à la punition. » Pour lui, c'est un système
à condamner car générant
« anxiété, ennui, agressivité,
culpabilité, voire terreur » et conduit à
« l'échec de l'enseignement que l'on
constate ».
Skinner s'aligne derrière les renforcements positifs
qui, selon lui sont les seuls à même d'amener les
élèves à améliorer leur travail scolaire. C'est
cette optique que défend aussi Le Ny (1974) pour qui, la punition
appartient au passé et qu'il faut la remplacer par la
récompense.
Pour Cornman (1973), le dressage, c'est-à-dire
l'imposition pure et simple de la punition ne peut être utilisée
que durant les deux premières années en raison de
l'impossibilité à faire appel à la réflexion ou
à la conscience morale de l'enfant qui n'existe pas encore. Les
punitions sont donc nécessaires à cette époque de la vie.
Il s'agit alors d' « éduquer les réflexes de
l'enfant en lui donnant des automatismes, des habitudes »
(Cornman, 1973 : 253). Dès que l'enfant acquiert une certaine
conscience morale (de 4 à 5ans), le dressage peut laisser place à
la contrainte morale tenue par le langage donc basée sur la condamnation
morale.
Ce parcours de la revue de littérature nous a permis de
recenser les études traitant des pratiques punitives. Chacun des travaux
a étudié les retombées de l'usage des punitions en
éducation scolaire. Beaucoup de ces auteurs sont arrivés à
la conclusion qu'il faut supprimer les punitions surtout corporelles en
éducation et pourquoi il faut les supprimer. Mais il est à noter
qu'il n'y pas d'étude consacrée systématiquement à
l'usage des punitions corporelles en milieu scolaire au Togo et ce, sous
l'angle spécifique de leur prohibition. C'est dans cette perspective que
nous avons repositionné le problème sur les facteurs qui
expliquent la non application de la prohibition des punitions corporelles dans
le système scolaire togolais et ce, pour combler ce vide. En outre,
notre étude trouve là une pertinence focale.
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