1.2- Revue critique de la littérature
Ce qui saute aux yeux dans la littérature est cette
contradiction radicale qui oppose les auteurs qui ainsi se divisent en deux
camps rivaux : d'un côté, les partisans de l'éducation
traditionnelle qui font l'éloge des punitions et plaident pour leur
maintien et de l'autre, les partisans des écoles "nouvelles" ou
"actives" qui critiquent ces punitions en disant que les élèves
peuvent performer et obtenir de bons résultats scolaires sans elles.
Pour les premiers, l'élève ne pourra pas apprendre et
réussir en l'absence des punitions. La délicatesse de la mission
qui est confiée à l'enseignant l'autorise à user de tous
les moyens, les punitions corporelles inclu, pour parvenir à un bon
résultat. Pour les seconds, les élèves peuvent se
discipliner eux-mêmes si on fait confiance en eux.
1.2.1- Les travaux centrés sur la défense de
l'usage des punitions en éducation scolaire
Beaucoup de travaux défendent l'usage des punitions
corporelles en milieu scolaire. Entre autres, nous avons recensé les
travaux de Ségbo, d'Alain, de Mosse-Bastide, de Tchaménon. Le
dénominateur commun de tous ces travaux est qu'ils soulèvent la
question de la nécessité de la punition en éducation en
général et à l'école en particulier.
Selon Koffi Ségbo (2007) qui s'inscrivait dans la
logique du « qui aime bien châtie
bien », la punition est un remède contre la paresse. Elle
aide les élèves à obtenir de meilleurs résultats
scolaires. Rapportant les résultats d'une enquête menée par
Yawovi Tchamenon (1984) auprès des enseignants et des parents
d'élèves, il en vient à dire que la non utilisation du
bâton derrière les élèves est à l'origine de
leurs échecs. Pour cela, il prône l'usage des punitions
corporelles. « L'enseignant qui aime ses élèves,
dit-il, et qui veut la réussite de ceux-ci [...] doit pouvoir
sanctionner par des punitions corporelles » (Ségbo,
2007 : 32). En d'autres termes, la punition réveille en l'enfant le
sentiment du travail. L'élève sait qu'il y aura des coups
humiliants et douloureux lorsqu'il manque de faire son travail. Cela voudra
dire que selon Ségbo, l'application de la prohibition des punitions
corporelles à l'école sera source d'échec. C'est cette
vision qui l'amène à défendre l'usage des punitions
corporelles à l'école.
Selon Léandre Coudray (1989), après la
période de la "vieille Grèce", la correction corporelle reste
courante dans les écoles primaires. Ces punitions permettaient au
magister d'instaurer une discipline, nécessaire pour le bon
fonctionnement des activités pédagogiques. Il citait Saint
Augustin qui nous présente une pédagogie de sévère
contrainte corporelle et morale dont il fait l'éloge en ces
termes :
« ...On me mit à l'école pour
apprendre mes lettres ; pauvre que j'étais, je ne voyais pas
à quoi cela servait, et pourtant, quand je me montrais paresseux
à apprendre, je recevais des coups. Les grandes personnes trouvaient
cela parfait. Nos nombreux devanciers dans la vie nous avaient
préparé ces sentiers douloureux par où il nous fallait
passer, au prix d'un surcroit de labeur et de souffrance pour les enfants
d'Adam... » (Saint Augustin, cité par Coudray,
1989 :20)
Pour Saint Augustin, le bâton permet à
l'enseignant d'obtenir le goût de l'effort auprès de
l'élève, de l'amener à apprendre. Les punitions
corporelles permettent à l'élève de reconnaître ce
qui lui est utile et de faire l'effort pour le réaliser. Vu le moyen
pédagogique que constitue la punition corporelle, l'enseignant ne pourra
donc pas s'en passer.
D'autres auteurs abordent le thème sous le narthex de
l'autorité. C'est dans ce canal que s'inscrit Marcel Postic.
En effet, pour Postic (1974), l'autorité du
maître est incontournable et est la seule condition de la réussite
de l'apprentissage. Selon lui, l'autorité est un pouvoir permettant
à l'enseignant d'asseoir l'ordre, le respect, la concorde mutuelle, en
un mot la discipline. L'enseignant doit être en mesure d'appliquer les
sanctions avec fermeté pour se faire respecter. Citant G. Ferry et R.
Cousinet, il disait que l'autorité est nécessaire en
éducation et doit caractériser toute relation éducative.
Il faut que les élèves se considèrent toujours comme
« inférieurs » et sachent donc qu'ils
dépendent de l'autorité d'un adulte (l'enseignant) qui lui, se
considère toujours
comme « supérieur ».
Pour Mosse Bastide (1966), l'autorité du maître
répond aux nécessités de l'apprentissage, ainsi qu'aux
objectifs à atteindre. En effet, Mosse Bastide défend
l'autorité comme un moyen efficace de formation, un moyen pour assurer
la transmission maximale et une réussite du processus d'enseignement. Il
se défendait en ces mots :
« L'enseignement est la tentative audacieuse [...]
de chercher à conduire tous les enfants à ces sommets qu'ont
gravis les seules grandes personnalités, en leur apprenant en vingt ans
vingt-cinq siècles de découvertes [...]. Ne faut-il pas les
obliger à devenir des hommes ? [...] Ne faut-il pas lutter contre
le plaisir immédiat, la paresse souciante de l'animal ? »
(Mosse Bastide, cité par Douet, 1987 : 33)
Ce sont là des questions qui ne laissent pas le choix
à l'enseignant même en face de la réglementation.
L'enseignant a des objectifs qu'il doit atteindre. Et ceci n'est guère
mission facile. Il faut parfois « forcer les choses ». La
vision de Mosse Bastide paraît judicieuse mais comment procéder
quand la réglementation explicitement interdit ces pratiques ? Ceci
ne pose-t-il pas un autre problème si l'enseignant enfreint le
règlement ?
D'autres auteurs encore abordent le phénomène
de façon plus générale en utilisant le concept de
"discipline" qui, en fait couvre le champ de la punition et de
l'autorité. La discipline étant l'ordre à établir,
le décorum, elle inclut en son sein même les pratiques punitives,
qui ne sont en principe qu'à son service.
Mosse Bastide (1966) considère la discipline comme le
seul moyen d'amener l'enfant à la connaissance de soi. Pour lui,
l'enfant est le jouet de ses instincts. Il a une nature
« animale », caractérisée par le règne
des pulsions. « Discipliner, disait-il, c'est
dépouiller l'enfant de sa sauvagerie» (Mosse Bastide,
cité par Douet, 1987: 33).
Alain (1948), ardent défenseur de la pédagogie
traditionnelle entre dans ce débat en concevant l'enfance comme une
période d'incapacité et d'agitation. Corollaire : il
prône un système autoritaire et de tradition. Pour lui, l'enfant a
au fond de lui le désir de grandir, de ressembler à un adulte,
d'avoir sa compétence. Cependant ses désirs sont vains car
l'enfant ne peut pas lui-même suivre le chemin qui le conduirait à
réaliser ce but, et c'est le rôle du maître que de l'aider
dans cette tâche en lui imposant la contrainte nécessaire. Pour
Alain, le maître ne doit pas craindre de déplaire à
l'enfant. Et d'ailleurs, il ne doit pas chercher à lui plaire. L'enfant
est un être de plaisir. Alain oppose les notions de travail, de
difficulté à celles du plaisir et de
l'intérêt. « Ce qui intéresse n'instruit
jamais ! ». C'est ce constat qui l'a amené à
défendre la méthode traditionnelle. « Que le
passage de la récréation à la classe soit marquée
et solennel, que la cloche ou le sifflet marque le retour à un ordre
plus sévère »
La discipline, l'autorité sont les seuls garants,
selon Alain, de la réussite du processus d'apprentissage. C'est pour
cela que le maître ne doit pas témoigner de la sympathie à
l'égard de l'élève. Car « bonté de
coeur entraîne paresse, désordre,
laisser-aller... ». C'est cette atmosphère de sympathie
et d'affectivité qui rend l'éducation familiale inefficace et
impossible. Alain se dresse ici, en somme, comme le grand tenant des
méthodes traditionnelles basées sur la répression, la
punition, la discipline stricte et l'autorité.
Même son de cloche pour Emile Durkheim (1903) qui
conçoit la discipline d'une façon sociologique, donc descriptive.
Pour lui, à l'école, la discipline est la
« morale » de la classe. Chaque
société, selon Durkheim, a besoin de fonctionner (ou mieux
fonctionne) sur des règles qui constituent sa morale, sa constitution.
Sans ces règles, la vie sociale est impossible. La classe, ou bien
l'école, étant une « petite
société », elle a besoin de la discipline. En
clair, la discipline a un rôle régulateur. L'élève
en a besoin pour travailler et performer. Pour Durkheim, l'éducation est
une « conformisation » sociale. Elle ne peut donc pas
être un processus dans lequel on peut accorder la liberté à
l'enfant. D'où il faut user de la contrainte et de la discipline. Selon
Durkheim, si la punition ne fait pas l'autorité de la règle, elle
empêche néanmoins la règle de perdre son autorité.
Pour Durkheim, il s'agit des punitions aussi corporelles que symboliques.
Pour Alain et Durkheim, la discipline est conçue comme
un élément imposé. Elle est extérieure. De ce fait,
les élèves peuvent la subir. Mais c'est une discipline qui
assujettit.
Les défenseurs des punitions aussi corporelles que
symboliques à l'école partent de certaines considérations
et s'appuient sur des méthodes pédagogiques, lesquelles font la
cohérence même de leur conception. Par exemple, pour ceux-ci,
l'enseignement est magistral, bipolaire et unidirectionnel. Il y a un
pôle "e" qui est le pôle enseignant et un pôle "a" qui
est le pôle apprenant. Les connaissances sont transmises ou
véhiculées du haut vers le bas et à sens unique. Le
pôle "e" étant le sommet, il dispose de la toute puissance sur le
pôle récepteur. La deuxième considération s'articule
autour des conceptions de l'enfant et de l'enfance.
En clair, les défenseurs de l'usage des punitions
à l'école se situent dans une perspective de la pédagogie
traditionnelle. Mais à ces conceptions, deux inspecteurs malgaches ont
formulé une phrase que l'on pourrait qualifier de
leitmotiv : « Le temps est révolu où le
maître estimait normal d'avoir recours au châtiment corporel pour
maintenir intacte son autorité » (Désarmais et R.
Gineste, 1963 : 302). Si les punitions corporelles sont aujourd'hui
conçues comme instrument de supplice et d'oppression, l'enseignant se
doit de s'en méfier surtout que la législation scolaire
l'interdit explicitement.
|