Section B : Pratique et évolution de la
politique étrangère américaine durant la Guerre Froide
Un contexte international contraignant : la Guerre Froide
et ses doctrines
Le contexte international particulier que fut celui de la «
Guerre Froide » contraignit fortement la politique étrangère
américaine. En effet, l'URSS et l'idéologie communiste
représentaient le pendant du modèle américain. A la fin de
la Seconde Guerre Mondiale, l'URSS émergea comme seconde grande
puissance après les Etats-Unis. Elle profita des bouleversements de
l'après-guerre pour imposer son modèle en Europe orientale et en
Asie. L'animosité et l'affrontement étaient inévitables
entre les deux puissances qui jouèrent de leurs moyens militaires et
financiers pour faire avancer leurs pions.
La théorie de politique étrangère qui domina
et déclencha la Guerre Froide était la politique dite de
« l'endiguement », ou « Containment ».
Elle fut formulée ainsi par George Kennan en 1947, dans
un article publié dans Foreign Affairs : « Le
principal élément de toute politique des Etats-Unis
vis-à-vis de l'URSS doit être un endiguement des tendances
expansives de la Russie, à long terme, avec patience, mais
fermeté et vigilance ».
Cette politique fut appliquée par le président
Truman (1945-1953) qui devait assurer la transition d'une politique wilsonienne
à une politique réaliste. Le plan Marshall, prévoyant une
aide économique importante pour les pays exsangues d'Europe occidentale,
en fut l'outil le plus important : en effet, il permit de conserver dans le
giron des démocraties libérales ces pays sans ressources suite
à la guerre. Lorsque les moyens financiers ne suffisaient pas à
trancher, les deux puissances s'affrontèrent militairement, comme ce fut
le cas durant la guerre de Corée de 1950-1953. Dans ce contexte, les
réalistes furent prépondérants et
développèrent des théories solides sur lesquelles devait
reposer l'action politique, comme celle que formula Morgenthau en 1948 : une
vision réaliste doit impliquer que la stabilité internationale
repose sur l'équilibre des forces, toute tentation de recourir à
la violence devant être désamorcée par la menace
crédible d'une contre-violence. La diplomatie mise en oeuvre fut donc
celle de la dissuasion.
Les démocrates wilsoniens dans la guerre
froide
Rapidement, l'acquisition par l'URSS de l'arme atomique rendit
improbable un affrontement frontal, car un tel conflit aurait mené
à une destruction mutuelle des belligérants. C'est
l'équilibre de la terreur qui contraignit les présidents
américains à pratiquer une politique étrangère
pragmatique :
- John F. Kennedy (1961-1963), démocrate
wilsonien, créa les « Peace corps », corps de volontaires pour
le développement, la préservation de la paix et la diffusion des
valeurs américaines. Mais confronté à la crise des
fusées de Cuba en 1962, il appliqua une « realpolitik » face
à l'URSS. De plus, face à l'avancée du communisme au
Vietnam, il y envoya les premières troupes
américaines. - Son successeur, Lyndon Johnson
(1963-1969), mena une politique libérale au plan
intérieur (abolition de la ségrégation raciale en 1964),
mais s'enfonça maladroitement au Vietnam en engageant de plus en plus de
troupes.
La guerre de Vietnam initie une nouvelle ligne de partage des
politiques : les « faucons », partisans du prolongement de
l'engagement américain, et les « colombes » qui souhaitent la
paix.
La rupture néo-réaliste du tandem
Nixon-Kissinger (1969-1974)
« L'équilibre des puissances et non
la paix est l'objectif de tout homme d'Etat qui doit être pragmatique et
réaliste et prêt au compromis en évitant des objectifs
idéologiques ». Henry Kissinger.
Lors de son arrivée au pouvoir en 1969, le
républicain Nixon appela l'expert en politique étrangère
Henry Kissinger au poste d'assistant pour les affaires de
sécurité nationale. Ce duo mena la politique la plus
réaliste (et la moins idéologique) de l'histoire des Etats-Unis.
Kissinger renouait avec le réalisme traditionnel de Roosevelt en le
modernisant, Nixon partageant cette vision du monde : le duo poursuivit certes
la politique d'endiguement vis à vis de l'URSS, mais il porta un regard
froid sur cette lutte en refusant de prendre en compte le facteur
idéologique.
Nixon et Kissinger considérèrent la Guerre Froide
comme un affrontement entre deux grandes puissances dont les
intérêts étaient concurrents. La mise en sourdine de la
lutte idéologique permit à Nixon de se retirer du Vietnam en 1973
et de fonder une alliance stratégique avec l'autre grand pays communiste
qu'était la Chine. Ce revirement inattendu constitua un véritable
« coup de poker » du duo qui se révéla être un
grand succès diplomatique, menant à la « détente
» (accords avec l'URSS sur la limitation des armes stratégiques,
SALT I en 1972 et SALT II en 1974). Pourtant les Etats-Unis se fourvoyaient
dans des alliances avec des états autoritaires, participant au
renversement de Salvador Allende par le Général Pinochet au
Chili, en 1973. Après la démission de Nixon suite au scandale du
Watergate, Gerald Ford (1974-1977) reprit le flambeau présidentiel en
conservant Kissinger à la tête de la politique
étrangère du pays. La continuation de la politique
précédente aboutit à la signature des accords d'Helsinki
en 1975, fondant la CSCE (Conférence sur la Sécurité et la
coopération en Europe, avec participation de l'URSS et des USA).
Nixon et Kissinger, en pratiquant un réalisme poussé qui
n'avait pas été repris depuis Théodore Roosevelt,
bouleversèrent les données de la politique
étrangère américaine pour une courte durée. En
effet, dès 1977, le démocrate Carter, renoua avec la tradition
américaine mêlant morale et politique.
Carter et le retour de la morale (1977-1981)
En 1977, après les présidences républicaines
de Nixon et Ford, le démocrate Carter ré-instaura la morale et le
droit dans la politique américaine, par la promotion et la
défense des droits de l'homme dans le monde. Ce nouveau cheval de
bataille lui permit de continuer à s'opposer à l'URSS sur ce
point tout en nouant des alliances plus morales et moins opportunistes. Cela
permit pour un temps de redonner une « virginité idéologique
» aux USA, qui s'étaient compromis avec des régimes
autoritaires durant les années 1970. Le meilleur exemple en est sans
aucun doute le travail que fit Jimmy Carter pour qu'israéliens et
égyptiens signent un accord de paix. La rencontre de Camp David entre
Anouar el-Sadate, président égyptien, et Menahem Begin, premier
ministre israélien en 1979, fut l'un des faits marquants de la
présidence de Carter. Cependant, l'idée de la
supériorité et de l'exception américaines étaient
toujours présents : « Nous avons notre forme de
gouvernement démocratique que nous pensons être la meilleure. Dans
tout ce que je fais concernant la politique intérieure ou
extérieure, j'essaie de faire en sorte que les gens réalisent que
notre système fonctionne [...] et que cela puisse servir d'exemple
à d'autres. » (Carter, Discours du 2
mai 1977). Souhaitant se rallier d'autres partenaires, les Etats-Unis
pratiquèrent une politique d'ouverture, de séduction et de «
coexistence pacifique » avec l'Union Soviétique notamment.
Pourtant, l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS en 1979 marqua la fin de cette
politique et le retour à la politique de Containment.
La synthèse reaganienne (1981-1989) : la fin
du multilatéralisme ?
Selon plusieurs auteurs, le président Ronald Reagan a
incarné une synthèse presque parfaite des courants
réalistes et idéalistes de la politique étrangère
américaine.
- D'un côté, il entraîna l'URSS dans
la « Guerre des étoiles », projet
titanesque qui contribua en grande partie à grever les finances
déjà vacillantes de l'Union Soviétique, il fit financer et
armer les opposants au communisme dans plusieurs pays (antisandinistes du
Nicaragua, combattants afghans et surtout islamistes en Afghanistan...), et
gagna l'opinion publique à sa politique en la présentant en des
termes manichéens, désignant l'URSS comme « l'Empire du mal
», et s'attaquant déjà à « la
confédération des Etats terroristes » , visant
essentiellement l'Iran et la Libye. (Discours sur l'état de l'Union de
1985). - D'autre part, Reagan se fit le fer de lance de la lutte
pour la diffusion de la démocratie dans le monde. S'appuyant
sur une théorie formulée par Jeanne Kirkpatrick selon laquelle
les dictatures de droite, contrairement à celle de gauche (communisme)
sont capables de s'auto-réformer au point de se transformer en
démocraties libérales, il élargit de façon
conséquente les territoire d'application de la démocratisation et
justifiait l'importance des moyens qu'il désirait consacrer à
cette cause : « Autour du monde aujourd'hui, la révolution
démocratique gagne en force [...]. Nous devons être fermes dans
notre conviction que la liberté n'est pas uniquement la
prérogative de quelques privilégiés mais un droit
inaliénable et universel pour tous les êtres humains
» (Discours du 8 juin 1982).
Mêlant dans ses discours des idées de puissance et
de morale, Reagan réussit ainsi à construire une véritable
« morale stratégique » américaine : combattre pour la
démocratie dans le monde devait permettre la préservation des
intérêts américains en tant que première
démocratie. Agissant selon des pratiques réalistes, il
désirait cependant renverser le statu-quo au profit des Etats-Unis, et
non plus maintenir l'équilibre, comme le fit Nixon. Il utilisait la
démocratie non seulement comme fin, mais également comme moyen
pour arriver à des fins plus pragmatiques : la chute de l'URSS.
Toutefois, il convient de préciser que contrairement aux
wilsoniens qui favorisaient le multilatéralisme, Reagan n'eut aucun
scrupule à agir seul, unilatéralement, dédaignant des
institutions internationales qui avaient intégré depuis les
années 1960-1970 de nombreux pays du Tiers-Monde, peu favorables aux
USA. Ce dédain à l'égard des institutions
internationales allait s'amplifier durant les années 1990 et
suivantes...
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