Chapitre I : Les héritages fondamentaux de
la politique étrangère américaine
Section A : la Destinée manifeste et la
mission des Etats Unis
Aux fondements de la politique étrangère
américaine se trouve le concept de « destinée
manifeste», qui contient un fort héritage religieux. Il faut
se souvenir que la fondation des Etats-Unis est remonte à un groupe de
« pères pèlerins » protestants qui
quittèrent la « vieille Europe » pour mettre en place un
mode de gouvernement « idéal, pur et parfait » sur
les territoires du nouveau monde, considéré comme « la Terre
promise » (vers 1620). Dès le départ, le souci de
créer un état nouveau poussa les fondateurs des États-Unis
à limiter les contacts avec les états européens
considérés comme décadents. Ainsi, George Washington
l'exprima dans son "Testament" (discours d'adieu) en 1796 : c'est la doctrine
du « non-entanglement » (non-engagement), qui fut reprise
par Jefferson (Président de 1801 à 1809) puis par Monroe, qui
s'inspira de ce discours pour sa fameuse doctrine. La doctrine du
« non-entanglement » demeure une référence
pour les tenants de l'isolationnisme américain :
« Notre Grande règle de conduite envers
les nations étrangères est d'étendre nos relations
commerciales afin de n'avoir avec elles qu'aussi peu de liens politiques qu'il
est possible. Autant que nous avons déjà formé des
engagements remplissons-les, avec une parfaite bonne foi. Et tenons-nous en
là.
L'Europe a un ensemble d'intérêts
primordiaux, qui avec nous n'ont aucun rapport, ou alors très lointain.
Par conséquent elle est engagée dans de fréquentes
polémiques, dont les causes sont essentiellement
étrangères à nos soucis. Par conséquent donc il est
imprudent pour nous de s'impliquer, à cause de liens artificiels, dans
les vicissitudes ordinaires de sa politique, ou les combinaisons et les
conflits ordinaires de ses amitiés ou de ses inimitiés. [...]
Pourquoi renoncer aux avantages d'une situation si particulière ?
Pourquoi quitter notre propre sol pour se tenir sur une terre
étrangère ? Pourquoi, en entrelaçant notre destin avec
celui d'une quelconque part de l'Europe, empêtrer notre paix et notre
prospérité dans les labeurs des ambitions, rivalités,
intérêts, humeurs ou caprices européens ? C'est notre
politique véritable d'avancer exempt d'Alliances permanentes avec
n'importe quelle partie du Monde étranger - Aussi loin, veux-je dire,
que nous sommes maintenant capables de le faire - ne me croyez pas capable de
recommander d'être infidèle aux engagements existants, (je
soutiens la maxime non moins applicable aux affaires publiques que
privées, que l'honnêteté est toujours la meilleur
politique) - Je le répète donc, continuez à appliquer ces
engagements dans leur sens véritable. Mais à mon avis, il est
inutile et serait imprudent de les étendre.
» (Extrait du "Testament", ou discours d'adieu de George Washington, le
19 septembre 1796)
« J'ai toujours considéré comme
fondamental pour les Etats-Unis de ne jamais prendre part aux querelles
européennes. Leurs intérêts politiques sont
entièrement différents des nôtres. Leurs jalousies
mutuelles, leur équilibre des puissances (forces), leurs alliances
compliquées, leurs principes et formes de gouvernement, ils nous sont
tous étrangers. Ce sont des nations condamnées à la guerre
éternelle. Toutes leurs énergies sont dévolues à la
destruction du travail, de la propriété et des vies de leurs
peuples. » (Thomas Jefferson à James Monroe,
1823)
« Rien n'est plus important que
l'Amérique reste séparée des systèmes
européens, et en établisse un original. Notre situation, nos
objectifs, nos intérêts sont différents. Il doit en
être de même pour les principes de notre politique. Tout engagement
avec ce région du monde doit être évitée si nous
voulons que la paix et la justice soient les (objectifs,
caractéristiques) de la société américaine.
» (Thomas Jefferson à J. Correa de Serra,
1820)
Dans la même lignée, en 1823, le Président
Monroe (1817-1825) formula sa doctrine de « l'Amérique aux
Américains » : Les Etats-Unis promettaient de ne pas s'engager dans
les affaires européennes, alors qu'ils regardaient toute intervention
des Etats européens sur le continent américain comme une
agression. (cette clause était prévue pour protéger les
états indépendants d'Amérique Latine des visées
coloniales des états européens). Jefferson comme Monroe se
firent ainsi les fondateurs et défenseurs de l'isolationnisme
américain, véritable courant de pensée défendu
jusqu'à aujourd'hui en matière de politique
étrangère américaine
Cette conception « d'exceptionnalisme »
américain, qui représenterait le gouvernement le plus abouti et
le plus parfait, justifiait l'idée d'une « destinée
manifeste » des Etats-Unis, consistant à diffuser son
système de valeurs et de gouvernement à travers le monde, afin de
le faire progresser à son image.
L'idée d'une mission civilisatrice des Etats-Unis,
justifiée par leur modèle de développement infaillible
basé sur la démocratie libérale et la foi
chrétienne, se forma autour des années 1845, avec la
création du concept de Destinées Manifeste : l'auteur de la
formule, le publiciste John O'Sullivan, directeur de la Democratic Review, en
formulait ainsi les implications : « Notre Destinée
Manifeste [consiste] à nous étendre sur tout le continent que
nous a alloué la Providence pour le libre développement de nos
millions d'habitants qui se multiplient chaque année
»
Pour le géopoliticien Yves Lacoste, la « manifest
destiny », c'est : « [le] destin, [le] rôle que
Dieu aurait manifestement confié à l'Amérique de
développer les valeurs de liberté, de justice et de
progrès, de les étendre le plus possible et de les
défendre contre toute tyrannie »
Vers 1890, les frontières étasuniennes étant
fixées, les Etats-Unis étendirent au-delà de celles-ci
leur « mission civilisatrice ». Pourtant, en tant
qu'ancienne colonie britannique qui avait combattu pour son
indépendance, les Etats-Unis ne pouvaient adopter la forme de
colonialisme des états européens. C'est pourquoi, à part
quelques cas (Philippines, 1898), le mode d'impérialisme
américain fut fondé sur l'exportation de valeurs, aussi bien
marchandes que culturelles, et ne provoqua pas une perte de souveraineté
des pays. Les Etats-Unis, contrairement aux états européens
pratiquèrent un expansionnisme économique, commercial et
culturel, qui ne reposa pas sur la fondation de colonies (c'est à dire
la confiscation de la souveraineté d'un Etat pour le contrôler).
La mission des Etats-Unis devait être de « civiliser » le
monde, le rendre à son image, pour faire littéralement le bonheur
des autres états malgré eux.
Ce principe de « destinée manifeste » se
conjugua de façon différente selon les deux grandes orientations
- réalistes ou idéalistes - qui allèrent former
le socle de la politique étrangère américaine.
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