Conclusion partielle
Kourouma est parvenu à produire une écriture
politique, politisée, en faisant la représentation de la
politique dans l'Afrique postcoloniale. D'abord, son action politique se
manifeste à travers la défense et l'illustration de
l'identité culturelle africaine (écriture de l'oralité),
et à travers l'appropriation de la langue française,
donnée comme une libération linguistique et politique. Ainsi,
Kourouma réinvente-t-il le roman négro-africain par des audaces
linguistiques (la malinkisation et l'insécurité linguistique).
L'action politique de Kourouma s'est amplifiée par le procès de
la dictature et l'aspiration à la Démocratie. En effet, Kourouma
s'est exercé à condamner la dictature, à dénoncer
le néocolonialisme tout en proposant l'alternance et le dialogue
démocratiques.
Eu égard à tout cela, nous estimons que le roman
de Kourouma est une oeuvre politique, c'est-à-dire une
littérature qui fait de la politique en tant que littérature. Ce
type d'oeuvre subtilement politisée, que nous pouvons appeler «
roman politique africain postcolonial » propose une analyse
littéraire du politique. Il s'agit là d'un genre nouveau dont
Kourouma est à bien des égards l'inventeur, un genre dont
l'étude conduit à l'appréhension de la dimension
littéraro-politique des écritures postcoloniales.
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84 René DUMONT, Démocratie pour
l'Afrique, Paris, Seuil, Février 1991, p. 250.
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CONCLUSION GENERALE
Le champ de recherche `' littérature et politique»
n'est évidemment pas neuf dans les études littéraires
africaines et francophones, littérature et politique étant en
relation étroite depuis les débuts lointains de la
littérature négro-africaine. « La littérature est
un outil privilégié pour l'analyse politique des violences
africaines de par son obsession des formes »85
écrit Xavier Garnier dans un article intitulé `' Les formes
« dures » du récit : enjeux d'un combat», article
dans lequel il fait comprendre que « La littérature africaine
serait en charpie, éventrée par les bégaiements violents
de l'Histoire »86. La production littéraire
africaine de la période postcoloniale est le témoin des
aberrations des régimes totalitaires postcoloniaux, des guerres civiles
et des désillusions politiques provoquées par le
néocolonialisme.
Ainsi, littérature et politique s'intègre dans
une vaste section concernant non seulement les rapports entre
littérature et politique mais surtout la dimension politique de la
littérature. Si selon Jacques Rancière « L'animal
politique moderne est d'abord un animal littéraire
»87 et que « L'homme est un animal politique
parce qu'il est un animal littéraire, qui se laisse détourner de
sa destination `'naturelle» par le pouvoir des mots
»88, la création littéraire, comme toute
forme d'art, est par évidence une activité sociale qui ne s'isole
pas de l'environnement politique. La représentation de l'environnement
politique dans les romans africains postcoloniaux pose la problématique
de la politicité et de la politisation de
l'écriture. La première partie de notre étude a
porté sur les définitions d'écriture et de politique.
85 Xavier GARNIER, « Les formes
`'dures» du récit : enjeux d'un combat » in Notre
Librairie, Revue des littératures du Sud, « Penser la
violence », n° 148, juillet-septembre 2002, p.54.
86 Ibid., op.cit.
87 Jacques, RANCIERE, La Mésentente,
Politique et philosophie, Paris, Galilée, 1995, p.61.
88 Ibid., Le partage du sensible,
Esthétique et Politique, Paris, La Fabrique, 2000, p.63.
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En effet, toute écriture est foncièrement
politique, c'est-à-dire naturellement liée à la
société, reflétant la réalité organique
même de cette dernière, un peu comme son esprit ; d'ailleurs, il
est facile de lire l'Histoire de la société dans l'histoire des
Signes de la Littérature. Barthes ne dit pas autre chose à ce
propos : « il n'est pas nécessaire de recourir à un
déterminisme direct pour sentir l'Histoire présente dans un
destin des écritures ».89
L'écriture est par nature un produit historique au
travers duquel s'identifie la liberté et la responsabilité de
l'écrivain. Ainsi l'écriture en soi est l'expression d'un acte
politique mais elle peut également devenir une action politique.
Particulière et complexe, l'écriture kouroumalienne
présente les caractéristiques des écritures postcoloniales
dont les formes nouvelles traduisent clairement le fond. On y rencontre une
problématique énonciatoire axée sur la polyphonie
discursive, le dialogisme, et un `'Je» au pluriel. Il s'agit d'une
écriture violente où mêlent transgressions, conciliations
ou altérité générique et linguistique. De cet
engagement formel, Kourouma arrive à l'engagement politique. En effet,
le roman, En attendant le vote des bêtes sauvages, est
fondamentalement une oeuvre idéologique (l'idéologie de la forme)
et politique, c'est-à-dire une oeuvre qui fait la peinture de la
cité des hommes. Ce faisant, l'oeuvre de Kourouma est une
représentation de la politique dans l'Afrique postcoloniale. C'est
à cela que nous avons consacré la seconde partie de notre
travail.
En étudiant comment à travers le récit
épique, Kourouma présente d'abord les prouesses politiques avant
de les tourner en dérision par l'ironisation des bouffonneries des
personnages, et comment il présente les instabilités politiques
à travers la déstabilisation sémantique par la
conciliation de l'écriture et de l'oralité, nous osons dire que
le roman, En attendant le vote des bêtes, est une
représentation de la politique dans l'Afrique postcoloniale.
L'onomastique, la thématique et l'étude des personnages nous ont
été aussi utiles pour mieux
89 Roland BARTHES, op. cit., p. 9-10.
113
mettre en évidence les réalités
politiques. Si pour Madame de Staël, la littérature est la peinture
de la société, En attendant le vote des bêtes est
à bien des égards une représentation de l'histoire de la
société africaine, de la conférence de Berlin à la
fin de la guerre froide. Il montre, comme un miroir que l'on promène, la
naissance de l'Etat africain postcolonial et les aberrations des nouveaux
dirigeants venus au pouvoir par des coups d'Etat. L'Etat africain postcolonial
est fondé sur la violence, la sorcellerie et la magie, le
détournement d'argent, le militarisme, en un mot, il s'agit de puissants
régimes dictatoriaux.
Or, Kourouma ne saurait décrire la politique sans
produire une écriture politique, c'est-à-dire une écriture
politisée et idéologique. C'est ce qui a fait l'objet de la
troisième et dernière partie de notre mémoire.
Nous avons vu que Kourouma est parvenu à produire une
écriture politique, politisée, en faisant la
représentation de la politique dans l'Afrique postcoloniale. D'abord,
son action politique se manifeste à travers la défense et
l'illustration de l'identité culturelle africaine (écriture de
l'oralité), et à travers l'appropriation de la langue
française, donnée comme une libération linguistique et
politique. Aussi Kourouma réinvente-t-il le roman négro-africain
par des audaces linguistiques (la malinkisation et l'insécurité
linguistique). L'action politique de Kourouma s'est amplifiée par le
procès de la dictature et l'aspiration à la Démocratie. En
effet, Kourouma s'est exercé à condamner la dictature, à
dénoncer le néocolonialisme tout en proposant l'alternance et le
dialogue démocratiques.
Eu égard à tout cela, nous estimons que le roman
de Kourouma est une oeuvre politique, c'est-à-dire une
littérature qui fait de la politique en tant que littérature. Ce
type d'oeuvre subtilement politisée, que nous pouvons appeler «
roman politique africain postcolonial » propose une analyse
littéraire du politique. Il s'agit là d'un genre nouveau dont
Kourouma est à bien des égards l'inventeur, un genre dont
l'étude conduit à l'appréhension de la dimension
littéraro-politique des écritures postcoloniales.
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Pour des recherches futures, nous estimons que les
littératures africaines et francophones constituent un terrain
d'observation par excellence pour l'étude de la relation entre
littérature et politique. C'est parce que les littératures
africaines et francophones sont fondamentalement marquées par l'histoire
de la politique, dès leur naissance. Quand nous pensons à tous
les débats autour de la Négritude (Orphée noir de
Jean-Paul Sartre), il s'agit à l'évidence d'un terrain
très politique : affrontement autour de la question coloniale, question
de la critique de l'européocentrisme, problème des dictatures
postcoloniales.
Pour finir, nous osons conclure que l'étude du
thème : « Ecriture et Politique dans En attendant le vote des
bêtes sauvages » nous a permis de réaliser, que ce roman
est une évocation réaliste du régime Eyadéma, et
une mise en scène des liturgies politiques de l'Etat postcolonial. Qu'il
s'agisse de Koyaga ou d'Eyadéma - peu importe la précision
désormais-les cauris sont jetés : le jour a triomphé de la
nuit. L'espoir reste permis. Comme le promet ce proverbe qui ferme le roman:
« Au bout de la patience, il y a le ciel.
La nuit dure longtemps, mais le jour finit par arriver
».
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