3.5. Bossouma, le président à vie
C'est un personnage burlesque, prototype des chefs d'Etat
postcoloniaux ignares. Il est drolatique. Filou, rustre, barbare, empereur
honteux, libidineux. Un con, un salaud, un simple d'esprit et surtout un
criminel. Il fait boire des urines et manger des excréments à des
prisonniers politiques. (pp. 208-225). Il incarne parfaitement le chef d'Etat
africain postcolonial totalitariste, despotique et tyrannique. Bossouma,
c'est-à-dire le charognard, est aussi l'image du chef d'Etat
clownesque dont tous les actes poussent irrésistiblement au rire. On se
demande comment un chef d'Etat peut être aussi brut devant des jeunes
filles : « Impossible de se retenir, de résister à leur
provocation, à leur appel. L'homme au totem hyène se lance dans
le cercle de danse ; jerke, swingue, et twiste. [...] En direct devant toutes
les télévisions du monde... » (p. 238).
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Bossouma est le prototype des dirigeants «
bêtes sauvages », qui ont poussé leurs aberrations
et bouffonneries politiques jusqu'au comble du cynisme. Monarque et redoutable
ennemi de la démocratie, il s'est autoproclamé «
Empereur », un président à vie.
3.6. L'homme au totem léopard
L'homme au totem léopard apparaît dans l'oeuvre
comme l'opposé de Boussouma. Pour lui, ce dernier fait la honte des
Africains et « ses conneries font du tort à la fonction de chef
d'Etat africain » (p. 240). Cependant, Kourouma nous fait savoir que
ce personnage n'est guère mieux : « L'homme au totem
léopard était un potentat. De la criminelle espèce, de la
pire ». Il a accédé au pouvoir en trahissant le
nationaliste Pace Humba, celui-là même qui l'avait nommé au
grade de général d'armée. Sans programme de gouvernement,
ses ministres comme ceux des autres dictateurs d'ailleurs, ont des postes sans
portefeuille précis (ministre de la Propagande et de l'Orientation
nationale, Conseiller chargé des affaires occultes, par
exemple). A la tête de la République du Grand Fleuve, l'homme au
totem léopard incarne l'échec et le fiasco politiques. L'argent
du peuple sert à payer les marabouts, les féticheurs et les
sorciers. Même un Conseiller des Affaires occultes gèrent les
marabouts qui entourent le dictateur et lui enfilent des bagues et autres
bracelets.
L'échec politico-économique dans la
République du Grand fleuve, est criard et alarmant :
« Le pays n'a ni routes, ni hôpitaux, ni
téléphones, ni avions, ni..., ni..., Les médecins ne
soignent plus faute de médicaments et parce qu'ils ont de nombreux mois
d'arriérés. Les jeunes ne dansent plus, baisent plus parce que
tout le pays est infecté de sida » (p. 252).
Malgré tous ces problèmes
socio-économiques qui accablent son peuple, le dictateur au totem
léopard est l'un des hommes les plus riches de l'univers. Ce paradoxe
est un cas général dans l'Afrique postcoloniale où tous
les dicteurs ont cumulé des décennies de pouvoir avec un bilan
négatif, totalement catastrophique.
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