C) Technique et esthétique
Dans ce contexte d'éclatement artistique et de
modernité, nous devons déterminer s'il existe des « habitus
» au niveau technique et esthétique de ces artistes contemporains.
En se différenciant du parcours « non-professionnel » des
photographes de studios, on peut penser que la technique et l'esthétisme
ont changé. En effet, la perception du monde n'est plus la même,
ces nouveaux artistes sont amenés à explorer de nouveaux horizons
et à enrichir leur expérience sociale personnelle.
***
1. Archive de l'espace et du temps
D'un point de vue général, nos données se
basent toujours sur les 37 artistes précédents et leurs 144
photographies proposées sous 49 thèmes. Après avoir
répertorié les photographies, nous avons étudié
chaque thème abordé par les photographes qui tourne autour de la
ville et des périphéries (puisque nous le rappelons, le
thème d'étude de cette 7ème édition du
festival portait sur la vision que l'artiste a des villes et de ses alentours).
Une photographie délimite toujours un espace, qui soit urbain ou rural,
et se positionne dans un axe spatial qui englobe la ville ou la campagne.
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Ainsi, après une première lecture, nous pouvons
constater que chaque artiste a abordé le thème global avec
beaucoup de différence. En effet, les sujets sont variés et
portent principalement sur le monde urbain. Environ 69% des
photographies retenues nous offrent une vision de la ville contre 27%
qui représentent sur le monde rural. Les 4%
restants correspondent aux photographies de Samuel Fosso23
prises dans un studio photo.
Parmi les photographies portant sur le milieu urbain, on peut
différencier plusieurs catégories : les photographies
présentant la ville en général (environ
12%), les sites industriels (4%), les
photographies des bâtiments (12%) et les citadins
(41%). On peut constater que les photographes se sont
davantage focalisés sur les individus que sur les autres sujets que peut
offrir la ville. Ceci dit, il faut relativiser ce chiffre puisque dans chaque
photographie dont le sujet principal est l'homme, nous pouvons voir des
détails de la ville en arrière plan. En ce qui concerne les
photographies rurales, le sujet principal est également l'homme (environ
21%) contre 6% de photographies portant
exclusivement sur le paysage rural.
Ces premiers chiffres nous permettent de constater deux choses
:
- les photographes ont chacun leur propre vision artistique et
abordent le thème de la ville et des périphéries de
façon différente,
- l'espace photographié est complexe et nous offre
plusieurs éléments à analyser et comprendre.
Sans revenir sur les photographies de studio, nous sommes
contraints de constater que ces photographies marquent une rupture avec les
précédentes. Premièrement, hormis les clichés de
Samuel Fosso, elles sont toutes prises à l'extérieur. Cette
différence montre bien le changement de mentalité dans la
recherche esthétique et technique. La vision ancienne qui
privilégie la tradition, la composition, la place de l'individu, les
costumes, etc. n'est plus le critère recherché par la nouvelle
génération.
À cause de leur passé et leurs
expériences professionnelles, nous avons des sujets sociaux conscients
qui ont leur propre vision du monde et qui cherchent à l'exploiter avec
de nouvelles techniques et une sensibilité artistique qui leur est
propre. Par conséquent, les
23 Samuel Fosso est né en 1962 au Cameroun.
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photographies présentées sont très
différentes les unes des autres. Néanmoins, on notera qu'à
96%, elles représentent les villes ou campagnes du présent contre
4% qui sont tournées vers le passé. Ces chiffres ne sont pas
étonnants quand on sait que les quatre premières éditions
du festival avaient pour but de faire le bilan sur la création africaine
depuis quelques années. Aujourd'hui, les éditions ne sont plus
tournées vers le passé mais le présent et l'avenir. Ainsi,
le visage urbain et rural de l'Afrique étant en pleine mutation, les
photographes ont photographié ce qu'ils voyaient sans chercher à
analyser le passé.
C'est pourquoi la plupart des photographies sont
réalistes. En effet, environ 90% des clichés
représentent la réalité des villes ou des campagnes.
Seulement 10% des photographies sont empreintes à la fois
d'éléments réels et abstraits. Ces chiffres nous
révèlent l'orientation esthétique des photographes. En
effet, en considérant que chaque photographie est une « archive de
l'espace »24 urbain ou rural, cela suppose que les photographes
ont pour volonté de garder ou de sauvegarder des monuments, des lieux,
des paysages, des individus, etc. afin que le souvenir perdure à la
destruction du temps.
À partir de ces critères, les photographies du
festival de Bamako ne répondent pas uniquement qu'à des
critères esthétiques, mais bien plus, elles sont comme des
archives documentaires du continent, des villes, des gens, des costumes, etc.
Néanmoins, la photographie documentaire n'est jamais perçue
uniquement comme archive documentaire. Sa production et sa réception se
fondent à une appartenance à plusieurs registres de signification
à différents critères de définition de
l'événement.
24 Terme inventé par Pierre-Louis Spadone dans
l'introduction sa thèse, Une traversée de l'espace urbain :
la Paris Humaniste de la photographie, décembre 1995. Pour lui, une
photographie se présente comme un ensemble complexe de signification.
C'est cet ensemble qu'il convient étudier, pour saisir le sens d'une
composition photographique et qu'il définit en termes d'espace
photographique de l'archive.
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