B) Nouveau visage, nouveau regard
Toute photographie suppose deux choses :
- une mise en phase (préparation de l'espace), - un regard
qui coordonne.
En effet, l'activité photographique dévoile la
personnalité du photographe, puisque toute photographie est subjective,
dans le sens où, elle est préparée consciemment par
l'artiste. De ce fait, il semble nécessaire d'analyser leur parcours
professionnel afin de pouvoir retracer la « carte d'identité »
de cette nouvelle génération d'artiste.
Dans le but d'être le plus précis possible, nous
rappelons que les données sont basées sur l'étude de 37
artistes répartis comme suit :
- 26 artistes dans la catégorie « Sélection du
jury artistique »
- 8 artistes dans la catégorie « Nouvelles images
»
- 1 artiste dans la catégorie « Monographie »
- 2 artistes dans la catégorie « Hommages »
Ces 37 individus sont les principaux représentants de
la 7ème Rencontre du festival de Bamako.
24%
Sexe
76%
Homme Femme
Dans un premier temps, nous nous sommes
intéressés au sexe et à l'âge des artistes. Il
s'avère que 76% sont des hommes, contre 24%
de femmes. La présence des femmes dans la sélection est
un marqueur de modernité puisque dans toutes recherches et lectures que
nous avons pu effectuer sur les photographes africains, il a
toujours été question d'hommes.
35
Malheureusement, aucune analyse n'a été
effectuée sur le sujet, par conséquent, nous ne pouvons pas
proposer de donnée chiffrée afin de comparer et d'appuyer notre
constat.
36
Néanmoins, il est important de signaler qu'environ un
quart des participants représentés est reconnus au festival sont
des femmes.
De même, d'après nos analyses, cette nouvelle
génération d'artistes est relativement
jeune, pour la plupart (32%) elle se situe
entre 30 et 35 ans. Cela signifie qu'elle a connu les transformations au niveau
de la société et de la pratique photographique et qu'ils ont
réussi à renouveler ses travaux et à trouver sa place dans
le nouveau panorama culturel. Néanmoins, on notera une présence
relativement importante des 35/40 ans, à hauteur de
22%, 14% ont entre 40 et 45 ans, et les
artistes de 45 et plus représentent 24%. Par rapport
aux tranches
24%
14%
5%
3%
22%
Age
32%
25 - 30 30 - 35 35 - 40 40 - 45 45 +
Décédé
d'âges, ces artistes sont, en réalité, les
anciens apprentis des studios photo. D'ailleurs, après la lecture des
interviews ou biographies, on s'aperçoit qu'environ 75%
de ces artistes ont travaillé dans un studio photo et dans
certains cas, en possèdent encore.
Ces données illustrent parfaitement nos propos, sont la
réorientation des studiotistes, qui après les années 1980,
sont obligés de travailler indépendamment et de suivre dans un
système social où l'argent et la rentabilité
économique régissent le travail.
Seul 3% représentent la
catégorie la plus jeune (25/30 ans). Cette différence qui existe
avec les autres données s'explique par les formations souvent
universitaires que les jeunes artistes suivent aujourd'hui, avant de devenir
professionnel. En effet, comme nous l'avons déjà expliquer dans
le premier chapitre, les Africains optaient pour ce métier par
défaut et ne souhaitaient pas avoir la qualification d'artistes, qui
était souvent associée au titre d'expert professionnel.
37
Afin de mieux évaluer la différence et
l'évolution du statut de ces artistes, nous proposons de regarder
quelques chiffres tirés des recherches Jean-Bernard Ouédraogo sur
les les photographies de studio au Burkina Faso 22. En effet, son
étude traitant de la question des usages sociaux de la photographie de
studio en Afrique, peut nous aider dans la compréhension de nos
données actuelles. Sa méthode a été de questionner
19 studios au Burkina Faso et de construire des interviews approfondies des
studiotistes afin de pouvoir : - proposer une articulation entre
économie, technique, esthétique et la photographie de studio,
vues comme révélateur de la société.
- analyser la production d'oeuvres et sa réception en
cherchant sa source dans le social,
- tenter de comprendre et d'expliquer comment par l'image et
dans l'image une société se construit, se pense et se
transforme.
Cet ouvrage étant assez proche de nos actuelles
recherches, nous pouvons extraire quelques données sociologiques afin de
mieux comprendre nos propres données.
De ce fait, selon les analyses de Jean-Bernard
Ouédraogo, dans la plupart des cas, c'était l'origine sociale qui
était décisive, au détriment d'un choix personnel ou de
l'école. A 77% des cas, le recrutement de l'apprenti
dans les studios photo se faisait par voie familiale (frères), contre
9% de relations professionnelles. A l'époque, le
parcours scolaire n'était pas fréquent chez les apprentis :
- environ 37,7% étaient
analphabètes
- 89,74% sont allés à
l'école (attention ce chiffre s'explique parce que le métier
d'apprentis était considéré comme une technique
d'apprentissage scolaire)
- 5,12% ont suivi le parcours scolaire
jusqu'à l'université
Ces informations sont révélatrices d'un mode de
fonctionnement ancien, où l'apprentissage d'un travail très
jeune, prime sur un parcours scolaire, voir universitaire. Comme nous l'avons
expliqué auparavant, le métier de photographe n'était pas
reconnu. La création du festival de Bamako a bouleversé ce statut
en apportant une reconnaissance et une valorisation du métier de
photographe. De ce fait, pour devenir photographe, les Africains vont
dorénavant devoir étudier. En effet, selon nos analyses sur les
37 individus, environ 76% d'entres eux ont obtenu un
diplôme universitaire contre 24% qui se
prétendent autodidactes.
22 Jean-Bernard Ouédraogo, 2002, p.103.
38
Le premier constat à noter, c'est qu'il existe une
multitude de formations qui sont principalement artistiques. En effet, la
majorité des artistes (30%) ont suivi une formation
liée aux Beaux-Arts. En deuxième position, à hauteur de
14%, on retrouve les formations en photographie, ainsi que les
formations en stage, souvent exercées auprès d'agence de presse
et de studios photo qui vont leur permettre d'apprendre la photographie sur le
terrain. Avec 5%, on retrouve en troisième position les
diplômes universitaires en lettre et sciences humaines, communication et
journalisme, ainsi que économie et finance. On notera, pour finir, les
formations en danse avec 3%.
Diplôme
Licence Lettre / Sciences Humaines
Formation en photographie
Formation en danse
Journalisme / Communication Beaux-arts
Finance / Économie Formation en stage Autodidacte
5%
3%
5%
24%
14%
14%
30%
5%
Ces résultats nous montrent plusieurs choses :
- contrairement aux photographes de studios, cette nouvelle
génération est dotée de formations et diplômes
universitaires (ce qui explique le chiffre de 3% d'artistes
ayant entre 25 et 30 ans puisqu'ils font des études longues),
- la formation en photographie n'est pas la principale voie
d'étude que les artistes ont choisie,
- ils restent une part importante de formation liée au
terrain, ainsi que l'apprentissage seul qui intervient en deuxième
position,
- les études sont principalement artistiques.
39
Ces analyses nous montrent que le métier de photographe
s'est professionnalisé en Afrique. Comme nous l'avons expliqué
auparavant, il n'y avait pas professionnalisation de ce métier. La
modernité du système social a introduit la stabilité
professionnelle avec les diplômes et les formations d'artistes. Le statut
individuel est définitivement installé et les artistes cherchent
leur place dans le nouveau système social moderne. Nous avons en Afrique
des acteurs sociaux conscients.
La modernité a également apporté un
nouveau phénomène en Afrique, qui est la mobilité de la
population. En effet, l'ouverture vers l'international va permettre aux
artistes de voyager et de suivre leur formation en Europe notamment. Ainsi, on
notera que 22% des formations ont été suivies en
Europe. Néanmoins, les photographes de la biennale sont 40%
à avoir obtenu leur diplôme en Afrique. Ce chiffre montre
que l'Afrique a su investir dans des centres de recherches et de formations
modernes, à l'instar de l'Europe. Ce progrès dans les
institutions favorise l'ouverture vers le monde international et par
conséquent, offre la possibilité aux artistes d'étudier et
de prendre conscience des travaux d'autres artistes. Environ 8%
des artistes ont suivi une double formation, une en Afrique et une en
Europe. Une autre donnée est révélatrice de cette
mobilité artistique : environ 25% de ces individus
vivent aujourd'hui en Europe et principalement sur Paris.
Cette mobilité artistique va propulser les artistes
africains sur la scène internationale et bouleverser leur rythme
professionnel en leur permettant de participer à de nombreuses
expositions. Environ 11% d'entres eux ont participé
à des expositions uniquement en Afrique, contre 16% qui
ont participé aux expositions uniquement internationales. En
parallèle, on notera que 57% des artistes ont
participé aux deux types d'expositions. Ce qui montre, encore une fois,
la présence de plus en plus importante des artistes africains dans le
panorama culturel international. Seulement 16% n'ont pas
encore exposé.
Cette popularité naissante va provoquer deux choses :
- 100% des artistes ont écrit ou
participé à l'élaboration d'ouvrages de types
bibliographique ou historique,
- 43% ont déjà été
récompensés par un prix national ou international.
40
***
Comme nous venons de le constater, les photographes africains
d'aujourd'hui présentent de grandes différences avec la
génération des studiotistes. Si on compare les données,
voici ce qui les caractérise aujourd'hui :
- la liberté individuelle permet de choisir le
métier de photographe par passion et non plus par contrainte,
- les études et diplômes sont primordiales afin de
réussir dans ce domaine,
- ils sont mobiles et ouverts vers l'international,
- ils exposent leur oeuvre en dehors du continent et ont
intégré le panorama culturel mondial.
Nous sommes par conséquent en présence d'un
nouveau visage d'artiste, qui grâce à l'apparition de structures
culturelles, tels que le festival de Bamako, va permettre aux photographes de
créer et d'exister. Le métier s'est donc
professionnalisé.
Compte tenu de ces différences entre les deux
générations, il semble important maintenant d'étudier leur
production et de voir si, en terme de technique et d'esthétisme, nous
noterons de telles différences.
6%
21%
Thèmes des photographies
4%
41%
4%
12%
12%
Ville
Urbain - Site industriel Urbain - Bâtiments Urbain -
Individus Rural - Paysage Rural - Individus Photos Studio
41
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