2. La notion d'un art contemporain africain
C'est dans cette période de bouleversement
qu'apparaît la reconnaissance de ces nouveaux artistes par les pays
occidentaux, vus comme des artistes contemporains à part entière.
Comme nous l'avons dit, voilà une vingtaine d'années aujourd'hui
que l'art africain contemporain trouve une audience, un public. Il est devenu
naturel de trouver des artistes issus du continent africain dans les grandes
biennales internationales ou dans les galeries européennes,
américaines ou japonaises.
Des publications telle que Revue noire16,
ont fourni une base théorique dans laquelle les uns et les autres ont pu
puiser la matière qui est venue nourrir une discussion qui a pris son
ampleur à la fin des années 80. Des expositions collectives ont
également tenu leur rôle dans ce qui pourrait apparaître
aujourd'hui comme une reconnaissance. Mais dans le panorama global que le
nouvel ordre économique mondial veut absolument imposer, le rôle
de l'Afrique et de ses artistes reste encore à définir.
L'un des paradoxes qui intervient dans l'élaboration
d'une définition d'un art contemporain africain est qu'elle s'est
déroulée en dehors du continent lui-même. En effet, les
rares manifestations organisées sur le sol africain sont les biennales
de Bamako et de Dakar17. C'est ainsi que les questions qui
sous-tendent la reconnaissance de la production artistique africaine demeurent
: Que reconnaît-on exactement ? Selon quels critères et quelles
stratégies ? Comment se définit sa contemporanéité
?
Il est impossible de qualifier une oeuvre de contemporaine car
la définition même de « contemporain » diffère
selon l'individu. Pour un collectionneur et un marchand d'art, il s'agit du
portrait de studio noir et blanc, dont le plus célèbre des
représentants est Seydou
16 Fondée en 1985, La Revue Noire est née de la
volonté d'une poignée d'amis de rassembler des textes
marqués par le témoignage. Ces témoignages de voyages, de
rencontres, de recherches personnelles traitent des sujets sur l'Afrique dont
la prose, la poésie, l'écriture musicale, le dessin et la
photographie.
17 La Biennale d'art africain contemporain de Dakar au
Sénégal existe depuis 1990. Son rôle est de mettre en avant
la richesse de la création plastique de tout le continent africain, afin
de la valoriser et de le promouvoir.
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Ke ·ta. Pour un critique d'art contemporain, la
photographie contemporaine africaine est celle de Mohamed
Camara18.
L'Afrique n'a pas de courants à proposer, et les
écoles que l'on y dénombra dès les années 1930/1940
furent pour la plupart le fait d'européens exilés. L'histoire de
l'art et la reconnaissance d'un art contemporain africain c'est
développé au travers de chaque exposition qui a suscité un
débat et affirmé son point de vue. C'est ainsi que peu à
peu, le domaine de l'art contemporain africain est devenu un vaste champ de
bataille économique et théorique. Une bataille qui a contraint
ses différents intervenants à avancer des définitions
parfois trop définitives. Le débat a été d'autant
plus passionnel que l'on ne saurait, en Afrique, séparer l'art de ses
conditions d'existence et que, à travers toute tentative
d'appréhender une vérité mouvante, c'est une
définition de l'Afrique et des Africains qui apparaît en
trompe-l'oeil.
En effet, ces interrogations sous-entendent le problème
du regard. Face à une image produite par un Africain, la plupart des
spectateurs occidentaux seront malgré tout, encore et toujours,
imprégnés de certains clichés qu'ils désirent
trouver et qui ne seront pas présents lors d'une exposition. Le regard
du photographe ne sera pas totalement vierge d'une influence occidentale. En
tant que technique, la photographie est déjà un héritage
européen. Les premiers photographes africains ont de ce fait
été en contact avec une manière de travailler, de voir et
de cadrer qu'ils ont appris auprès de leurs homologues européens
dans les centres urbains d'Afrique ou dans les métropoles. La
différence va surtout se marquer dans la sensibilité et
l'empathie face au sujet et notamment dans la relation avec le
modèle.
En outre, les changements des sociétés
africaines et l'émergence d'une individualisation du métier de
photographe dans les années 1980/90 vont s'accompagner d'un nouveau
regard contemporain des spécialistes de l'art en Europe. Ainsi, les
nouvelles photographies proposées par le festival mis en place en 1994,
vont alimenter le débat sur cette définition de l'art africain.
D'un point de vue théorique, on notera deux tendances dans ce que nous
nommons la « création africaine contemporaine ».
18 Né en 1983, Mohamed Camara est un jeune
photographe malien représenté par la galerie parisienne Pierre
Brullé.
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La première est « internationaliste », soutenue
par Revue Noire qui refuse tout exotisme et africanisme triomphant,
traduite dans la collection de l'Allemand Hans Bogatze. La seconde peut
être qualifiée de « authentique », héritée
des Magiciens de la Terre19, et largement
représentée dans une collection comme celle de John Pigozzi.
À partir des Magiciens de la Terre, des
expositions comme Africa Hoy20 ou encore Neue Kunst aus
Afrika21, on préconisé une certaine vision de la
création contemporaine, longtemps opposée à celle des
« internationalistes ». Néanmoins l'art africain est devenu au
cours de ces années-là un véritable sujet de débats
théoriques, illustrés par de nombreuses expositions et la
présence de plus en plus importante du continent africain dans les
grandes manifestations internationales. À cet égard, l'initiation
de la biennale de Dakar, dont l'objet était de se concentrer sur la
création africaine, arriva à point nommé pour jouer un
rôle de repère.
***
Afin de ne pas tomber dans une caricature occidentale, il est
important de considérer l'artiste contemporain africain dans sa
singularité de son aspiration, en dehors de tout contexte que celui qui
le fait être. Par contexte, nous entendons bien ici l'expérience
individuelle. Il semble en effet nécessaire de réfléchir
non plus par rapport à un marché mais de revenir à
l'artiste.
19 L'exposition « Les magiciens de la terre
» s'est tenue du 18 mai 1989 au 14 août 1989 au Centre Georges
Pompidou, commissaire Jean-Hubert Martin.
20 Las Palmas, 1991, commissaire André Magnin.
21 Berlin, 1996, commissaire Alfons Hug.
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