3. Photographie subjective
Notre analyse sur les techniques utilisées par ces
jeunes photographes marque une grande rupture dans la manière
d'appréhender la photographie. Cette approche est devenue non plus
objective mais totalement subjective. Afin de compléter notre recherche,
cette sous-partie sera axée sur cette manière
d'appréhender chaque travail photographique qui va révéler
les origines sociales de l'individu.
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Il faut savoir que depuis une trentaine d'année, la
pratique photographique en Occident s'est rapprochée du milieu des arts
plastiques, au point de devenir l'un des domaines où sont
abordées les problématiques artistiques les plus pertinentes par
rapport au monde actuel.
La photographie contemporaine se distingue d'une pratique de
la photographie classique par de nombreux aspects. En particulier, elle a su se
libérer des « deux alibis » que dénonçait Roland
Barthes dans un article de 1977 : « tantôt on sublime [la
photographie] sous les espèces de la "photographie d'art" qui
dénie précisément la photographie comme art ; tantôt
on la virilise sous les espèces de la photo de reportage, qui tire son
prestige de l'objet qu'elle a capturé ». La photographie
intéressait pour des qualités issues de
l'ingéniosité du photographe ou en tant que témoignage
héroïque. A partir de la fin des années 70, elle commence
à être utilisée pour ses caractéristiques
propres.
Tout d'abord, elle est pensée comme un outil conceptuel
plutôt que technique. C'est le cas chez Bernd et Hilla
Becher25, souvent apparentés à l'art conceptuel. Ils
photographient de manière systématique des bâtiments
industriels avec une technique traditionnelle, desquels ils dégagent une
approche esthétique et documentaire. Leur enseignement à
Düsseldorf influence toute une génération d'artistes, Thomas
Ruff26 et Andreas Gursky27, entre autres, dont les
25 Bernd et Hilla Becher sont des photographes allemands,
nés en 1931 et 1934.
26 Thomas Ruff est un photographe allemand, né
en 1958.
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photographies monumentales, retravaillées par la
technique numérique, explorent les limites du réalisme. Cindy
Sherman28, quant à elle, interroge les effets de la
multiplication des images, dues aux mass media, sur notre interprétation
du réel et nos comportements. Certains artistes, comme Sophie
Calle29, revendiquent même le fait d'ignorer les
subtilités des manipulations techniques. Ils font appel, le cas
échéant, à des photographes professionnels pour
réaliser leurs clichés. Car l'essentiel de leur travail est
ailleurs, la photographie ne représentant qu'un des
éléments visuels de leur projet. Ce dédain pour la
technique et le métier se manifeste aussi par l'utilisation d'appareils
autofocus et, surtout, de la pellicule couleur qui renvoie à une
pratique grand public. Ainsi, certains photographes s'appuient sur le
modèle de l'album de famille, multipliant les clichés pour
dérouler une narration, souvent intime et autobiographique. Mais la
photographie couleur peut aussi être utilisée pour ses
qualités purement plastiques et jouer avec les composantes de l'image
comme dans une oeuvre picturale. Car, en dernier lieu, un grand nombre de
photographes utilise ce médium pour créer des images autonomes,
de même que les peintres se servent des couleurs pour réaliser
leur tableau. Pour Jeff Wall30, par exemple, si la photographie est
un moyen « up to date » pour créer des images qui s'inscrivent
sans anachronisme dans notre monde moderne, il la conçoit aussi dans le
prolongement des problématiques picturales classiques. De même,
Jean-Marc Bustamante31 cherche à « faire des
photographies qui aient valeur de tableau » et qui proposent des
représentations plutôt que des reproductions.
Trois orientations majeures marquent donc la pratique de la
photographie
contemporaine :
- celle du document qui contrarie ou sublime la
réalité,
- celle de la narration qui se rapproche du cinéma,
- celle de la tradition picturale qui donne à voir des
tableaux.
27 Andreas Gursky est un photographe allemand, né en
1955.
28 Cindy Sherman est une artiste et photographe
américaine, née en 1954.
29 Sophie Calle est une artiste plasticienne, photographe,
écrivaine et réalisatrice française, née en
1953.
30 Jeff Wall est un photographe canadien, né en 1946.
31 Jean-Marc Bustamante est un artiste
français, né en 1952.
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Dans le cadre de notre recherche, nous souhaitons montrer que
les photographies africaines ont été élaborées
selon des démarches et recherches différentes. Cette
définition simplifiée de la pratique contemporaine va nous servir
de base pour étudier quelques exemples et mettre en exergue les
similitudes et différences au moment de la création de l'oeuvre
et du résultat. Néanmoins, même si nous avons tenté
de classifier les photographies, elles peuvent avoir des lectures multiples
selon chaque individu. On peut y voir des photographies documentaires et
esthétiques, puisque une photographie documentaire n'est jamais
perçue uniquement comme archive documentaire. Une photographie a
plusieurs registres de significations et il ne faut pas s'arrêter
à une simple définition de valeur esthétique ou pas, ou
d'une image insignifiante ou insignifiante. Au contraire, l'ensemble des
nuances d'une image documentaire peut caractériser l'image
photographique, de sa production à ses usages sociaux. Ainsi, notre but
ici, n'est pas de cataloguer chaque artiste et de placer sa production dans une
seule catégorie mais de montrer des démarches de travail
différentes.
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3.1 Document qui contrarie ou sublime la
réalité
Dans le cadre de la première catégorie de
photographies, nous pouvons citer Sammy Baloji32 qui réalise
des reportages sur la culture du Katanga et l'héritage architectural de
l'époque coloniale. L'ethnographie, l'architecture et l'urbanisme sont
ses différents thèmes exploités. La lecture du
passé congolais au présent n'est qu'une forme d'analyse de
l'identité africaine actuelle après tous les régimes
politiques que cette société a connu. L'identité pourrait
se connoter par l'occupation de l'espace, l'exploitation de son environnement,
les manifestes ou les traces d'une civilisation qui s'est construite avant,
pendant et après la colonisation avant de parler de la mondialisation.
Son travail présenté au festival de Bamako présente une
réflexion autour de la mémoire et des vestiges de cette
colonisation.
Image Gégamines 1 « Mémoire »
2006
Cette image présente un lien direct avec le
passé colonial. Un passé qui a amené à l'existence
des villes de la province du Katanga. Ces villes s'étaient construites
autour des mines. L `image représente les traces d'un passé
proche et un passé présent. Cette photographie n'est pas une
simple prise de vue mais un photomontage alliant à la fois des images
documentaire et des images archives. Cette manière de travailler est le
reflet de ses débuts artistiques. En effet, avant de devenir
photographe, il travaillait dans le secteur de la bande dessinée. Par
conséquent, le photographe réinvente un style documentaire
particulier en superposant deux images, le passé et le présent ce
qui révèle sa volonté de dénoncer les abus qui
existaient et existent encore. Nous avons donc un premier exemple de
photographie à
32 Sammy Baloji est un photographe de la République
Démocratique du Congo, né en 1978.
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vocation documentaire à la fois dénonciatrice et
révélatrice d'une réalité encore présente
dans le paysage culturel du Katanga.
Il existe des photographies où l'intention
esthétique est au centre des oeuvres. Nous pouvons citer par exemple les
travaux de Armand Seth Maksim33 et de Serge Emmanuel
Jongué34. Les deux artistes ont effectué, en marge de
leur activité, des réflexions personnelles qui ont fait passer
l'image du référent direct à une dimension
véritablement artistique. Serge Emmanuel Jongué a crée
dans sa série « La ville rouge » de 2005, des sortes
de paysages mentaux où se mêlent des souvenirs contemporains et
mystiques. C'est ainsi que la ville de Bamako apparaît comme intime et
universelle. Les oeuvres de Armand Seth Makim sont toujours spontanées
et vivantes. Il avait la volonté d'offrir au public les plus belles et
les plus insolites images de Madagascar.
Serge Emmanuel Jongué, extraits de « La ville
rouge », 2005.
33 Armand Steg maksim était un photographe de Madagascar,
1951 - 2006.
34 Serge Emmanuel Jongué est né d'un père
guyanais et d'une mère polonaise, 1951 - 2006.
Armand Seth Maksim, Les enfants aux lampions « autour
des enfants », 2001.
Armand Seth Maksim, La joie des enfants de rue « autour
des enfants », 2002.
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Leurs oeuvres révèlent plusieurs
éléments sur leur formation et leur expérience de la vie.
Avant d'être photographe professionnel, Armand Seth Maksim a longtemps
sillonné la terre Malgache. Il était guide touristique de
l'île et il s'est très vite rendu compte de la gravité de
la situation malgache : déforestation, érosion du sol, pollution,
etc. Devenu photographe, il a souhaité offrir au monde une vision
positive de son pays d'où son intérêt pour les images qui
sont devenues des documents sublimant la réalité. Concernant
Serge Emmanuel Jongué, les images qu'il produisait ne se limitaient pas
à une quelconque représentation. Il usait de son appareil comme
un écrivain, pour décrire un monde intérieur et personnel.
En suivant des études de lettres au Québec il s'est
s'intéressé au rapport entre l'écrit et l'image dans son
doctorat. C'est à cause de ses recherches qu'il a
appréhendé son travail photographique comme documentaire. Chaque
photographie était plus envisagée comme un matériel brut
que comme un référent de la représentation. Son travail
interroge l'espace mental de la trace mentale. Ces clichés sur Bamako
sont vus à la fois comme documentaire, mais aussi comme de la photo
narration, comme les images que propose Jodi Bieder.
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