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Des identités de papier à  l'identité biométrique

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par David Samson
Ecole des hautes études en sciences sociales - Master 2 de théorie et analyse du droit 2009
  

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CHAPITRE II: LE RÊVE

BIOMÉTRIQUE CONFRONTÉ AUX

DÉFIS TECHNOLOGIQUES

Le fantasme de l'identification certaine est un leitmotiv dans l'histoire de la police depuis le XVIIIe siècle. Identifier les individus de manière précise voire « scientifique » est en effet l'un des enjeux centraux dans l' « étreinte » (erfassen) de la société et des individus par l'Etat, en permettant non seulement de contrôler leurs déplacements93, mais aussi leurs prétentions à exercer certains droits et à bénéficier de certaines formes de protections (sociale, diplomatique, etc.). Conjugué à une forme, sinon de scientisme, du moins de technophilie, ce rêve policier s'exacerbe au contact des technologies biométriques. Pourtant, l'examen détaillé de ces technologies et de leur mode de fonctionnement contraint à se confronter au réel et à ses imperfections. La biométrie, malgré les publicités, positives ou négatives, qui lui sont faite, n'est pas parfaite. Comme toute technologie de l'identification, elle porte avec elle ses failles et ses défauts94. L'examen, toutefois, de ces imperfections, exige aussi de différencier entre plusieurs espèces de techniques biométriques. La biométrie, qui fonctionne selon une logique de probabilités, est fondée sur un principe de similitude, et non d'identité: les caractéristiques biométriques comparées, lors de la phase d'enrôlement et la phase de vérification, ne sont jamais identiques, mais seulement plus ou moins similaires. Dès lors, la fonction spécifique du droit est ici de transformer en vérité administrative certaine une simple présomption technique de similitude. La fonction juridictionnelle, au sens large, se double ici d'une fonction véridictionnelle.

93 Pour le rapport entre le monopole étatique des « moyens légitimes de circulation » et l'identification des citoyens, ainsi que pour le concept d' « étreinte », entendu à travers l'allemand erfassen qui signifie « saisir » au sens d' « enregistrer », voir John Torpey (2000), L'invention du passeport, Belin, Paris, 2005.

94 Contrairement à ce à quoi on pourrait s'attendre, ce ne sont pas nécessairement les critiques de la biométrie qui invitent à cette présentation nuancée, mais aussi les promoteurs de cette technologie, qui font ainsi appel au principe de réel pour dédramatiser le fantasme de « Big Brother ».

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A/ UNE SCIENCE DU PROBABLE

La biométrie fonctionne en effet sur une logique bayésienne de probabilités, et donc sur un principe de similitude et non d'identité. Lors de la vérification ou de l'identification d'un sujet, le dispositif compare le gabarit de l'image de l'empreinte obtenue à ce moment au gabarit obtenu lors de la phase d'enrôlement dans le système. Or, les images des empreintes ne sont jamais identiques: le vieillissement, les circonstances extérieures (lumière, climat, etc.), des blessures, etc., rendent ces images distinctes.

Les différentes failles des systèmes biométriques (arbitrage entre taux de faux rejets et de fausses acceptations, conditions d'enrôlement et de vérification des gabarits, circonstances climatiques, empreintes inexistantes chez certaines personnes, possibilité d'imiter les empreintes d'autrui, etc.) se rassemblent dans cet apparent paradoxe: choisie en tant que procédure permettant d'établir un critère numérique, réel et certain, de l'identité des personnes, la biométrie fonctionne de facto à partir d'une identité qualitative des personnes: comme pour les anciens systèmes d'identification, c'est le principe de similitude, et non d'identité, qui est à l'oeuvre dans la reconnaissance biométrique. Il n'y aurait pas de biométrie sans calcul des probabilités.

Dès lors, on peut comprendre les rapports réciproques entre le droit et ces technologies: celles-ci assurent au droit la garantie technique que l'identité civile, juridique, est bien établie. Toutefois, ne reposant de facto que sur une vraisemblance technique, et non une vérité certaine, elles ne peuvent apporter de réelle garantie au droit. Celui-ci doit alors valider cette garantie, en transformant, de manière performative, la vraisemblance technique apportée par la biométrie en vérité juridique certaine et indubitable. Vérité juridique et vérité technique se renforcent ainsi mutuellement, mais le double jeu entre celles-ci explique que puissent apparaître de « vraies fausses » identités, certifiées par le droit mais néanmoins « objectivement » fausses. La possibilité d'établir de telles « vraies fausses » identités est ce qui conduit à s'interroger sur les limites de la biométrie en tant que système technique garantissant l'identité civile: celle-ci, en effet, repose sur une « chaîne de

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sécurité » qui va de la délivrance des documents jusqu'aux agents de contrôle95. En d'autres termes, la subjectivité humaine, que la biométrie tentait de court-circuiter, ré-apparaît nécessairement.

Ainsi, si la biométrie se présente dans les discours visant à l'accréditer comme forme de technologie d'identification fondée non par sur des caractères descriptifs subjectifs, renvoyés à une histoire désormais archaïque du signalement, mais comme une technologie fonctionnant à partir de critères objectifs et constants, appartenant au corps individuel lui-même, et supposés intangibles et uniques, le fonctionnement effectif des technologies biométriques contredit clairement ce discours.

1. Le principe de similitude: taux de faux rejets et de fausses acceptations

Les systèmes biométriques de reconnaissance d'empreintes digitales ne comparent pas entre elles deux empreintes digitales qui seraient identiques parce qu'elles proviendraient du même individu, mais deux images similaires d'empreintes digitales, celles qui ont été préalablement enrôlées et celles qui sont présentées au moment du test. Le processus informatique consiste alors, en éliminant la richesse de l'image (les contrastes, la lumière, etc.: toutes sortes d'accidents ou de circonstances contingentes qui font qu'on obtient à chaque fois des images d'empreintes digitales plus ou moins différentes pour un même individu, et jamais identiques) pour ne garder que les points importants permettant d'établir les « minutiae » qui codent l'empreinte digitale, à comparer deux images pour lesquelles on a artificiellement augmenté leur similitude. Cette technologie de comparaison d'empreintes digitales ne compare donc pas entre elles des égalités, ou des quantités égales, mais des similitudes96

Dès lors, tout dispositif biométrique doit arbitrer entre taux de faux rejets et taux de fausses acceptations. On peut en effet régler le système pour qu'il n'accepte comme équivalentes que des images très proches, ou au contraire pour qu'il tolère des différences plus grandes dans les images. Dans le premier cas, cela aura pour effet

95 Cf. infra, chap. V

96Hopldns, Richard (1999), art.cit.

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d'avoir un système extrêmement sûr, dans la mesure où le taux de fausses acceptations, c'est-à-dire de personnes reconnues à tort sera minimisé. Dans le cadre d'un contrôle d'accès, cela implique que le sujet ne sera pas confondu avec un autre et que le dispositif ne laissera entrer qu'un nombre réduit de personnes. Dans le cadre d'un système d'identification tel qu'une base de données ADN, cela signifie qu'on ne commettra pas d'erreur judiciaire. Mais un tel réglage a son revers: le taux de faux rejets augmentant en raison inverse de celui de fausses acceptations, les empreintes d'individus identiques seront considérées comme venant d'individus distincts (cf. l'image ci-contre comparant l'empreinte obtenue lors de l'enrôlement et celle obtenue à partir du même sujet trois mois plus tard, lors d'une procédure de vérification97).

fal

(hl

 

Selon le contexte (poussière, empreintes abimées, faible luminosité, etc.), les caractéristiques enregistrées, soit lors de la phase d'enrôlement, soit lors de la phase de vérification, seront d'autant plus différentes. Dans de tels contextes, le degré de sensibilité du dispositif doit donc être réglé à un niveau assez faible, pour qu'il puisse considérer comme venant du même sujet des empreintes légèrement différentes, au risque d'augmenter le taux de fausse acceptation. « La biométrie n'est pas une science exacte », affirmait ainsi Richard Hopkins en 1999, en insistant notamment sur cette contradiction entre le taux de faux positifs et de faux négatifs, affirmation reprise dix ans plus tard par d'autres experts98.

97 Source : Anil K. Jain, Arun Ross et Salil Prabhakar, « An Introduction to Biometric Recognition »,

IEEE Transactions on Circuits and Systems for Video Technology, vol. 14, n° 1, janvier 2004.

98 Desgens-Pasanau, Guillaume et Freyssinet, Eric (2009), L'identité à l'ère numérique

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