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des documents de voyage et d'identité p.
288
Seuls 5 Etats membres n'utilisent pas d'examens médicaux
dans cette procédure8i6. Deux de ces Etats
s'appuient uniquement sur les estimations faites par l'officiel en charge de la
demande (le plus souvent un agent des forces de l'ordre). Ces examens peuvent
inclure des entretiens avec des docteurs et des psychiatres, un examen visuel
par des spécialistes, des examens dentaires, sanguins, radiologiques ou
encore des « tests de développement sexuel ». Ils sont souvent
combinés à d'autres modes d'estimation, tels que le recueil de
données de recensement ou d'autres documents pertinents$17.
Techniquement, les examens médicaux ne parviennent qu'à donner
une estimation approximative de l'âge, avec des marges d'erreur de
plusieurs années (pour les rayons X, une marge d'erreur de deux
ans)818.
Juridiquement, la procédure du relevé
d'empreintes pour ces mineurs est assujettie à la Convention
européenne des droits de l'homme et à la Convention des Nations
Unies sur les droits de l'enfant (dont l'art. 3 mentionne «
l'intérêt supérieur de l'enfant »; l'art. 16
défend le droit à la vie privée (« privacy
») de l'enfant, et l'art. 22 traite des dispositions
spécifiques s'appliquant aux mineurs requérant le statut de
réfugié). S'ajoutent à ces deux conventions les «
guidelines » du manuel du HCR sur les procédures et les
critères pour déterminer le statut de réfugié sous
la Convention de 1951 et le Protocole de 1967 relatif au statut des
réfugiés, qui, bien que n'ayant pas « force de loi »,
sont d'importantes « sources de droit »819. L'art. 197 de
ce manuel souligne la difficulté pour les demandeurs d'asile d'apporter
des preuves de leur situation réelle et de leurs besoins; l'art. 203
leur accorde le « bénéfice du doute » en cas de preuves
insuffisantes; et l'art. 214 insiste sur le « degré de
développement mental et de maturité » en tant que
critère permettant de considérer qu'un mineur puisse jouir du
statut de réfugié. En d'autres termes, cet article s'oppose
à la détermination d'un âge objectif fixe, au profit d'une
« maturité » plus flexible selon les personnes,
dépendant, selon l'art. 216 de ce manuel, du « contexte personnel,
familial et culturel ». Dans le cadre de l'examen de l' « amendement
Mariani » à la loi Hortefeux, le Comité consultatif national
d'éthique a pu également insister sur l'importance de la prise en
compte de la « maturité » de l'enfant, plutôt que de
s'arrêter au simple « âge biologique », «
physiologique » ou « juridique ». Pour le CCNE, l' «
âge réel » ne se réduit en effet ni à la
fiction juridique établissant celui-ci
816Ibid., p.17 817Ibid.,
p.18 818 Ibid., p.21 819Ibid., p.16
Chapitre V:La sécurisation biométrique des
documents de voyage et d'identité p.
289
d'autorité, ni « à une image, une mensuration
ou une manifestation d'un développement pubertaire
»820.
En outre, la directive du Conseil n°2005/85 du
ler décembre 2005, concernant les standards minimums des
procédures dans les Etats-membres pour accorder et retirer le statut de
réfugié, énonçait plusieurs dispositions
spécifiques pour les mineurs. Si cette directive ne s'applique pas
directement à EURODAC, puisqu'elle concerne d'abord l'ensemble du cadre
juridique relatif à l'examen des demandes d'asile, elle peut être
considérée, selon le rapport conjoint du CEPD et des
autorités nationales de protection de données personnelles, comme
une « source d'inspiration ». Ce rapport insiste sur le fait que
l'art. 17 de cette directive permet, sans obliger, l'examen
médical à des fins de détermination de l'âge.
Celui-ci est assujetti à une information du sujet, à son
consentement, à « l'intérêt » de l'enfant et au
fait que le refus de consentir à un tel examen ne doit pas forclore
l'examen de la demande d'asile.
Ces examens peuvent représenter une intrusion dans la vie
privée et contre l'intégrité des personnes, et doivent
donc être réglementés de façon claire et accessible,
selon la jurisprudence de la Cour européennes des droits de l'homme au
sujet de l'art. 8 protégeant la vie privée$21. Les
médecins, en particulier, soulignent non seulement l'inexactitude
relative de ces examens, mais aussi leur caractère potentiellement
traumatisant pour ces mineurs en situation de vulnérabilité, les
manquements possibles à l'éthique médicale dans le fait
d'utiliser à des fins administratives des procédures
médicales, et leur effet potentiellement nocif. Ces deux derniers points
concernent en particulier les examens radiologiques, producteurs de radiations
plus graves que l'échographie ou l'IRM$22.
Nonobstant la variété des examens utilisés
selon les Etats, et donc la disparité de traitement des demandeurs
d'asile mineurs selon les Etats, le rapport préconise ainsi l'abandon
pur et simple de ce seuil de 14 ans utilisé pour le relevé des
empreintes digitales dans EURODAC, d'autant plus que, pour ce qui concerne les
procédures générales d'asile, le seuil de 18 ans est
utilisé. Etant donné que le règlement Eurodac vise
à l'implémentation du règlement Dublin II, « il n'y a
pas de lien entre l'objectif de
82° CCNE, avis n°88 « sur les méthodes de
détermination de l'âge à des fins juridiques », 23
juin 2005.
821 Ibid., p.20
822 Ibid. , p.22
290
Chapitre V:La sécurisation biométrique des
documents de voyage et d'identité p.
faciliter l'application des règles de Dublin et le
prélèvement des empreintes digitales d'enfants de moins de 18
ans. »$~3 Ces prises d'empreintes ne correspondent ni au
principe de nécessité, ni au principe de proportionnalité,
selon le CEPD et les autorités nationales de protection des
données. Si cette mesure n'était pas suivie, le rapport
préconise a minima la prohibition des examens médicaux
« invasifs », c'est-à-dire contrevenant au droit à la
vie privée. La détermination de ce qui constitue un examen non
invasif reste ouverte; du moins, les examens radiologiques sont
considérés par un Etat-membre comme contrevenant au droit
à l'intégrité$24.
Chapitre V:La sécurisation biométrique des
documents de voyage et d'identité p. 291
823 Ibid., p.22
824 Ibid., p.18
Chapitre V:La sécurisation biométrique des
documents de voyage et d'identité p. 292
5. L'identité biométrique, des
étrangers aux citoyens
De l'expérimentation concernant le Fichier
automatisé des empreintes digitales (FNAED) et le fichier
dactyloscopique de l'OFPRA à la constitution de bases de données
européennes visant l'ensemble des étrangers, à des fins de
contrôle de l'immigration mais aussi dans une optique de lutte contre le
terrorisme, thème sécuritaire qui justifie aussi l'encartement
biométrique de l'ensemble des citoyens demandant un passeport et,
bientôt, probablement, une carte d'identité, le chemin parcouru
depuis 1984, date à laquelle la CNIL autorisa l'expérimentation
concernant le FNAED, suffit amplement à accréditer la
méfiance des organisations de défense des droits de l'homme
à l'égard des fichiers, mettant en avant le risque important de
« détournement de finalité » (function creep).
La règle, en effet, veut qu'un fichier créé pour un
usage précis, encadré par la législation, soit
progressivement, à la faveur des réformes, étendu à
d'autres usages.
Ainsi, en un peu plus d'une décennie, sous l'effet
à la fois du durcissement de la politique nationale d'immigration et de
l'établissement d'une politique européenne concernant
l'immigration et le droit d'asile, menée dans le cadre d'abord de la
Justice et des Affaires intérieures (JAI), puis de la «
coopération judiciaire et pénale », le fichier de l'OFPRA a
vu la durée de conservation de ses données doubler, en
1995, puis être utilisé à des fins de
comparaison avec les données recueillies par d'autres Etats membres de
la Convention de Dublin (arrêté du 9 décembre
1999), procédure systématisée par la mise en
place du système EURODAC, qui inclut désormais, aux
côtés des demandeurs d'asile, tous les étrangers de plus de
14 ans appréhendés à l'occasion du franchissement
illégal d'une frontière, tandis que les empreintes digitales de
tout étranger en situation irrégulière peuvent être
comparées aux demandes d'asiles déjà effectuées.
Symbolique, parce que révélateur d'une tendance à englober
le droit d'asile dans une politique générale de l'immigration, la
mise en place progressive du fichier de l'OFPRA et d'EURODAC dévoile
aussi le rôle ambigu des instances juridiques ou « para juridiques
», du Conseil constitutionnel, lors de l'examen de la « loi
Debré », aux autorités de protection des données:
tout comme la CNIL en ce qui concerne les dispositifs biométriques de
contrôle d'accès, ces
Chapitre V:La sécurisation biométrique des
documents de voyage et d'identité p. 293
instances régulent et encadrent l'usage de ces
systèmes biométriques tout en légitimant, sur le fond,
leur existence. Aussi les questions principales abordées par les
autorités de protection des données, G29, CEPD, CNIL, etc.,
sont-elles celles du respect de certaines garanties: droit d'accès,
notamment, mais aussi durée de conservation des données,
degré d'interconnexion possible, seuils d'âge, mesures à
prendre concernant les personnes qui ne peuvent, par incapacité
physique, avoir leurs caractéristiques biométriques
enrôlées par le système, etc. Le respect des instruments
juridiques de protection des données personnelles, fondés sur
quelques grands principes (proportionnalité, finalité, etc.) dont
l'interprétation est partagée entre ces autorités de
protection et les instances dirigeantes (qui diffèrent, dans l'Union
européenne, selon que l'on est dans le cadre du ier pilier ou du 3e
pilier), conduit ainsi à l'éclatement de ces systèmes
d'information (ainsi, en France, VISABIO, FNAD, ELOI, fichier de l'OFPRA,
FNAED, TES pour les passeports biométriques, etc.). Des passerelles sont
toutefois aménagées entre ces systèmes (le SIS II, tout
comme, en France, le Fichier des personnes recherchées, étant
consulté dans nombre de cas), tandis que le thème de la
sécurité a conduit à accorder un accès de plus en
plus large à l'ensemble de ces fichiers non seulement aux
autorités en charge de la lutte contre le terrorisme, mais aussi
à celles en charge de la prévention et de la répression
des « infractions pénales graves », catégorie
élastique incluant aussi bien le « terrorisme » et les prises
d'otage que le « trafic de stupéfiants » et l' « aide
à l'entrée et au séjour irrégulier ».
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documents de voyage et d'identité p. 294
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