Les technologies biométriques de reconnaissance vocale
sont, pour le moment, peu développées, et d'une fiabilité
douteuse. La voix est en effet une caractéristique comportementale,
pouvant être modifiée (imitation) et sujette à variations
selon l'état émotionnel et physiologique de la
personnei63. Il n'y a donc pas d' « empreinte vocale »,
comme on peut parler d'empreinte digitale. L'Association francophone de la
Communication parlée (AFCP) a ainsi plusieurs fois mis en garde contre
une confiance excessive, notamment en matière judiciaire,
vis-à-vis de la possibilité d'identifier une personne à
partir de sa voixi64. Le procédé requiert en effet,
d'ordinaire, au minimum la coopération de la personne, ainsi que de
bonnes conditions d'enregistrement. Selon le Trend Report 2007 fait au
sujet de la biométrie pour le compte de la Commission européenne,
cette technologie serait en train d'atteindre un état technique
suffisant pour être couplé avec d'autres technologies, telles que
la vidéo-surveillancei65.
Ces dispositifs bénéficieraient toutefois d'une
tolérance plus grande du public. La firme Agnitio a
présenté un tel procédé, fin 2006, pour la
vérification de l'identité en ligne, notamment dans le cadre des
échanges commerciaux et financiers166 De même, la
banque ABN AMRO (Pays-Bas) utilise cette technologie pour sécuriser les
transactions décidées par téléphonei67.
De tels procédés sont aussi mis en oeuvre dans le secteur des
assurances, ainsi que dans le contrôle de la délivrance des
prestations socialesl68
163 Testard-Vaillant, Philippe (2008), « Souriez, vous
êtes identifiés », Le Journal du CNRS, n°225,
octobre 2008.
164 AFCP (2003), « Person Authentification by Voice : A
Need for Caution ».
165 Ibid.
166 UNISYS (2007), Biometrics in Europe. Trend Report, 2007,
Bruxelles, janvier 2007 16, Ibid.
168 Ibid.
Les dispositifs de reconnaissance faciale, notamment
d'identification, consistent à comparer l'image numérisée
d'un sujet à une banque de données ou « galerie ». Avec
les empreintes digitales et génétiques, ainsi que la
géométrie de la main, cette technologie est l'une des plus
répandues, étant utilisée notamment dans
l'établissement des passeports biométriques ou encore, aux
Etats-Unis, lors de la délivrance des permis de conduirei69.
Si le premier article scientifique sur le sujet remonterait à
1973170, ce n'est qu'au début des années 1990 que des
applications sérieuses commencent à être envisagées
-- bien qu'une partie de la police, à Los Angeles, utilisait un tel
dispositif dès 1988. A partir de 1994-96, le programme FERET
(Face Recognition Technology) du Ministère de la défense
américain donna une impulsion décisive aux applications
commerciales, en établissant une base de données contenant 14 126
images pour 1 199 individuel.
La reconnaissance faciale suscite d'importants
problèmes, liés notamment à la possibilité de
coupler cette technologie avec la vidéo-surveillance, en particulier
avec la vidéo-surveillance « intelligente » (capable de
déceler des comportements « anormaux »). Celle-ci n'est pas a
priori juridiquement considérée comme faisant partie des
technologies biométriques -- toutefois, les dispositifs de
vidéosurveillance sont soumis à l'autorisation de la CNIL si les
enregistrements visuels sont utilisés dans des « fichiers
structurés selon des critères permettant d'identifier,
directement ou indirectement, des personnes physiques »172, ou
si un dispositif biométrique de reconnaissance faciale est
utilisé. Opérant à distance, l'un des atouts techniques de
la reconnaissance faciale est en effet de pouvoir éventuellement se
passer du
169 Chandler Arris (2008), "Biometrics Stems Driver's License
Fraud", Government technology's Public CIO, 25 juin 2008,
http://www.govtech.com/pcio/articles/374147
17° CNIL (2002),
22e rapport d'activité, p.161 sq.
171 Ibid.
172 Loi n°95-73 du 21 janvier
1995, art. 10-I ; cf. aussi décret d'application
n°96-926 du 17 octobre 1996. Dans les autres cas, la
vidéosurveillance dans les espaces publics est soumise à
l'autorisation préfectorale. Selon la CNIL « dans la pratique, ce
cadre juridique, difficilement compréhensible, tend à devenir
inapplicable puisque la majorité des dispositifs de
vidéosurveillance utilisent désormais des systèmes
numériques qui relèvent de la compétence de la CNIL, et ce
quel que soit leur lieu d'installation. Or, aujourd'hui, ces systèmes
sont autorisés par les préfectures, alors même que nombre
d'entreprises ou d'administrations s'interrogent sur le point de savoir si une
telle autorisation est nécessaire ou si elle doit se cumuler, ou bien
être remplacée, par une déclaration auprès de la
CNIL! » (« Vidéosurveillance: il faut placer la CNIL au coeur
du dispositif de vidéosurveillance »,
29e rapport 2008, p.23-26)
Chapitre II:Le rêve biométrique confronté
aux défis technologiques
P. 79
consentement du sujet et de sa simple conscience d'être
sujet à un dispositif biométrique173.
De tels dispositifs ont été (rarement)
testés in situ, avec un succès très
modéré: s'ils fonctionnent bien dans de bonnes conditions de
luminosité ou dans des environnements contrôlés (un tel
logiciel de reconnaissance faciale est utilisé par le logiciel de photos
Picasa), cela est beaucoup moins vrai dans des conditions réelles
(faible éclairage, ajout de lunettes, visage couvert ou vieilli, voire
personne déguisée, etc.). Il s'agit là d'un «
problème pérenne » des dispositifs de reconnaissance
faciale174.
Ainsi, utilisé à la finale du Superbowl de
Tampa (Floride) en 2001, le Face-IT de Visionics
Corporation a été considéré comme inefficace dans
ce contexte 175. Le système avait «
reconnu » à plusieurs reprises le terroriste Carlos dans la foule,
bien que ce dernier fusse en réalité emprisonné en
FranceX76. Cette technologie a aussi été mise en place
dans plusieurs aéroports américains (aéroport de Logan
à Boston, aéroport international de San Francisco,
aéroport de Fresno en Californie, aéroport international de Palm
Beach en Floride, etc.177) et européens (programme RAPID
à Lisbonne178). Newham, à Londres, a aussi obtenu
dès 1998, un Big Brother Award, décerné par l'ONG Privacy
International, pour avoir couplé à son dispositif de
vidéosurveillance (400 caméras) un logiciel de reconnaissance
faciale afin d'essayer d'identifier les délinquants dans les
foules179 -- une telle technologie était alors largement
inefficace, puisque dix ans plus tard elle reste confrontée à
d'importants problèmes techniques. Un tel dispositif a aussi
été utilisé lors de l'élection
présidentielle de 2001, en Ouganda18O,
montrant que, tout comme la dactyloscopie,
173 Introna, Lucas D. et Nissenbaum, Helen (2009), « Facial
Recognition Technology: A Survey of Policy and Implementation Issues »,
Center for Catastrophe Preparedness and Response, New York University. 6o p.
Accessible sur
http://www.nyu.edu/ccpr/pubs/Niss
04.08.09.pdf
174 Jain, Anil K. (2007), art. cit. Voir
aussi Introna et Nissenbaum (2009).
175 ACLU (2002), « Drawing a Blank: The failure
of facial recognition technology in Tampa, Florida » rapport
rédigé par Jay Stanley et Barris Steinhardt, 3 janvier
2002. Aris Chandler affirme qu'il s'agissait du FaceFinder
de Viisage. Chandler, Arris (2008), art. cit.; Crépeau
et al. (2004, p.6).
176 Charandin, Yuri (2008), « Videosurveillance
of public areas », rapport du Comité des affaires juridiques et des
droits de l'homme du Conseil de l'Europe, doc. 11478, 4 janvier 2008.
177 ACLU (2002), op. cit.
178 Percept, Adeline (2008), « Passeports : le
système Rapid des Portugais », France 24,14 juillet 2008.
Cf. Commission européenne COM (2008) 69 final: « Préparer
les prochaines évolutions de la gestion des frontières dans
l'Union européenne », 13 février 2008 (p.7-8).
~7" Nuttall, Chris (1998), « Watching Big
Brother », BBC, 27 octobre 1998. L' « exemple » de
Newham est aussi rapporté par la CNIL dans son 22e
rapport d'activité, p.162.
180 CNIL (2002), 22e rapport
d'activité, p.162
Chapitre II:Le rêve biométrique confronté
aux défis technologiques p. 8o
son application pouvait servir à des pays ayant des
Etats fortement déstructurés... ou en guerre, tel Israël qui
l'utilise, en combinaison avec la géométrie de la main, pour
contrôler les 4o 00o travailleurs journaliers palestiniens passant par 42
check-points181. Depuis, la firme 3VR,
spécialisée dans la vidéo-surveillance, a
intégré un procédé de reconnaissance faciale
élaboré par Cognitec, ce qui permet au dispositif de lancer une
alerte lorsqu'un visage déterminé a été
(automatiquement) reconnu par une caméra intelligente, le dispositif
permettant ensuite de lancer une recherche pour identifier d'autres moments
où le visage a été filmé1$2.
Enfin, cette technologie se combine avec les puces RFID (Radiofrequency
identification, ou identification par radio-fréquence): ainsi la
carte RFID Gen2183, qui peut être lue à 5-7
mètres de distance et permet le contrôle d'accès via une
vérification de l'identité du sujet, le gabarit numérique
de son visage étant stocké sur la puce RFID).
Toutefois, en l'état actuel de l'art, la
reconnaissance faciale ne demeure véritablement efficace qu'en
matière de vérification d'identité, et non en
matière d'identification1$4. Elle requiert des
images, et donc des caméras, de bonne qualité, non seulement lors
de la phase d'enrôlement du sujet, mais aussi lors de la phase de
vérification, ce qui limite fortement, pour le moment, la
possibilité de l'adjoindre à des systèmes de
vidéo-surveillance, où les caméras sont fréquemment
de qualité moyenne. Elle fonctionne aujourd'hui davantage dans des
environnements contrôlés, sur un nombre limité de personnes
dont il s'agit de vérifier l'identité (contrôle
d'accès dans une entreprise par exemple)185:
l'enrôlement volontaire de l'image augmente en effet l'efficacité
du système. Ajoutons que le manque d'études et
d'évaluations de la fiabilité de tels dispositifs in situ,
et non seulement en laboratoire, rend toute évaluation de
l'efficacité de ces systèmes fortement dépendante des
déclarations des firmes qui les produisenti86. Enfin, comme
tout système biométrique, les programmeurs doivent arbitrer entre
taux de fausses acceptations et taux de faux rejets. En cas d'utilisation en
tant que système d'identification, la performance du système est
inverse à la taille de la galerie de photos enregistrées
(c'est-à-dire de
181 Ibid.
182 UNISYS (2007), Biometric Trend Report 2007,
op.cit.
183 Ibid.
184 Introna, Lucas D. et Nissenbaum, Helen (2009),
« Facial Recognition Technology: A Survey of Policy and Implementation
Issues », Center for Catastrophe Preparedness and Response, New York
University. Accessible sur
http://www.nyu.edu/ccpr/pubs/Niss
04.08.09.pdf
185 Introna et Nissenbaum (2009), ibid.
186 Ibid.
Chapitre II:Le rêve biométrique confronté
aux défis technologiques p. 81
personnes recherchées), posant donc la question de
savoir qui doit être inclus dans ces bases de recherchel87.