La découverte par Alec Jeffrey, en 1984-85, de la
possibilité d'identifier les individus à partir de leur ADN a
fait entrer la génétique dans le champ judiciaire et policier,
inaugurant une ère nouvelle dans la criminalistique. En 1988, la police
française fait ainsi appel pour la première fois aux empreintes
génétiques dans une affaire de viol~54, et le FNAEG
(Fichier national automatisé des empreintes génétiques)
est officiellement créé dix ans plus tard155.
L'exclusion (résultats négatifs) lors de procédures
d'identification est certaine, tandis que les inclusions (résultats
positifs) sont exprimés en termes de probabilités156.
Par contre, elle ne permet pas de distinguer les vrais jumeaux, contrairement
à l'iris ou aux empreintes digitales, et se heurte à de
véritables complexités lorsqu'elle a affaire à des «
chimères » (cas extrêmement rares où une personne
possède deux génotypes distincts, que l'affaire Lydia Fairchild a
rendu célèbre).
Le rôle des échantillons
génétiques va cependant au-delà du simple droit
pénal, puisqu'ils peuvent aussi être utilisés dans la
recherche de paternité et l'établissement de la filiation, en
France sous le contrôle d'un juge (art. 16-11 du Code civil
créé par la loi de bioéthique de 1994; le
Comité consultatif national d'éthique avait
précédé le législateur par son avis du 15
décembre 1989, qui évoque par ailleurs la possibilité de
« contrôles de l'immigration familiale par des services de police
»~57...). Ce faisant, le profil génétique des
individus devient un élément de preuve dans
l'établissement de l'état civil et la recherche de
paternité.
En raison du caractère spécifique de l' «
empreinte génétique », qui fournit des informations non
seulement sur l'individu auquel elle est attachée, mais aussi sur son
groupe familial ou son « appartenance ethnique », les bases de
données ADN, nécessaires si on veut utiliser la
génétique à des fins d'identification, suscitent
154 Pierson, 2007, p.24.
155 Loi du 17 juin 1998 relative à la prévention
et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la
protection des mineurs (art. 706-54 du Code de procédure
pénale).
156 Résumé exécutif du rapport
« Biometrics at the Frontiers: Assessing the Impact on Society »
(2005), EUR 21585 (p.5) :
http://cybersecurity
jrc.ec.europa.eu/docs/LIBE%2oBiometrics%2oMarch
%2005/Biometrics exec summ FR.pdf
157 CCNE (1989), Avis n°17 du 15 décembre
1989
Chapitre II:Le rêve biométrique confronté
aux défis technologiques p. 76
d'importants débats tenant au respect de la vie
privée et familiale et aux possibilités de discrimination
qu'elles rendent possible.
Les textes officiels soulignent souvent que cette technologie
ne fait appel qu'aux parties « non encodantes » de
l'ADN158, c'est-à-dire n'offrant pas d'informations sur les
gènes de la personne mais permettant seulement son identification ;
cela, toutefois, n'est vrai qu'« en l'état actuel des connaissances
». Soulignant qu'à terme, ces segments non codants apporteraient
sans doute des informations, la CNIL s'était attachée, lors de
l'examen de la loi de 1998 (instituant le FNAEG), à ce que le
décret d'application précise que les analyses « ne
[porteraient] que sur des segments d'ADN ne permettant pas de déterminer
les caractéristiques organiques, physiologiques ou morphologiques des
personnes concernées, à l'exception du marqueur qui identifie le
sexe. »159
De plus, le temps requis pour l'analyse ADN empêche de
l'utiliser pour des systèmes de contrôle d'accès: il faut
douze heures pour analyser une trace de sang, soixante douze heures pour une
trace de sperme, mais moins de six heures pour un prélèvement
buccal, ce qui permet d'utiliser cette technique lors des gardes à
vue16°
Si l'empreinte génétique est l'archétype
de l'avènement au rang de « science » de la criminalistique,
les experts s'accordent toutefois à mettre en garde contre la confiance
excessive que le public, et le système judiciaire, lui accorde trop
souvent : la « preuve par l'ADN » ne « parle » pas: ce
n'est, au mieux, qu'une preuve matérielle s'ajoutant à
d'autres161 Les progrès récents permettent toutefois
d'extraire de l'ADN avec quelques cellules, ce qui faisait ainsi dire en
octobre 2008 au Figaro que « près de 200
énigmes judiciaires pourraient être
élucidées grâce à la génétique.
»162
158 Cf. par ex. Résolution du Conseil, du 9 juin 1997,
relative à l'échange des résultats des analyses d'ADN,
publié au JO C 193, 24.06.1997
159 CNIL (2(m), 20e
rapport d'activité (année 1999), p.36
16° Valicourt de Séranvillers, Héliane de
(2009), La preuve par l'ADN et l'erreur judiciaire, L'Harmattan,
p.69.
161 Valicourt (2009), op. cit. ; Louis, Cyrille (2008),
« Le nouvel arsenal de la police scientifique », Le Figaro,
11 novembre 2008. Voir aussi les déclarations de
Frédéric Péchenard, directeur de la police judiciaire, et
du magistrat pénaliste Jean-Paul Jean, in Van Renterghem, Marion (2006),
« La tentation du fichage génétique de masse », Le
Monde, 26 septembre 2006.
162 Louis, Cyrille (2008), « ADN: la justice envisage de
rouvrir l'affaire Grégory » et « Près de 200
énigmes judiciaires pourraient être
élucidées grâce à la génétique »,
Le Figaro, 22 octobre 2008. Le journaliste rapporte
que désormais, deux ou trois cellules peuvent suffire à
l'identification génétique; selon Héliane de Valicourt de
Séranvillers (2009), il en faudrait une dizaine.