On présente parfois la biométrie comme une
protection à l'égard de la vie privée, davantage qu'une
menace. En effet, elle permettrait de lutter contre l'usurpation
d'identité et les diverses « fraudes documentaires », argument
utilisé en particulier dans le cadre de la sécurisation des
documents d'identité (chapitre VI). Toutefois, l'utilisation de la
biométrie en tant que technique de prévention de la fraude pose
un certain nombre de problèmes.
En effet, les fraudes demeurent possibles, comme l'ont
montré un certain nombre de hackers (il est par exemple
relativement aisé de se fabriquer une fausse empreinte digitale ou de
bluffer un dispositif de reconnaissance facialeio6 -- les recherches
actuelles tentent d'inclure des dispositifs permettant de prendre en compte
l'afflux sanguin ou le mouvement afin de distinguer une simple photographie du
vrai visage -- pour le cas, par exemple, des ordinateurs protégés
par des systèmes de reconnaissance faciale -- ou une copie d'empreinte
digitale d'un doigt vivant19. Si Anil Jain prétend ainsi que
l'identification biométrique est bien plus sûre que
l'identification fonctionnant à l'aide de papiers, car elle n'est pas
fondée sur « ce que l'on sait » ou « ce que l'on a
», mais sur « ce que l'on est », il reconnaît
lui-même implicitement le caractère illusoire de cette
prétendue permanence de l'être -- puisqu'il suffit de modifier son
apparence pour échapper à certains systèmes de
reconnaissance faciale.
En outre, l'argument même de la permanence des traits
physiologiques est retourné contre les défenseurs de la
biométrie : c'est précisément parce que nous ne pouvons
modifier ces empreintes biométriques qu'elles n'offrent pas un bon
substitut aux mots de passe et aux cartes d'identité. En effet,
celles-ci sont souvent à « trace »: nous laissons un peu
partout, souligne Watson (2007), nos empreintes digitales, ainsi que notre voix
(sur un répondeur) ou même l'empreinte de nos iris (sur des
photographies). Dès lors, il est facile pour un tiers de recueillir ces
empreintes à notre
106 D'innombrables démonstrations de ces imperfections
existent. On peut citer celles effectuées par Tsutomu Matsumoto,
chercheur à la Yokohama National University, sur les contrôleurs
d'empreintes digitales (Desgens-Pasanau, Guillaume et Freyssinet, Eric (2009),
L'identité à l'ère numérique, Dalloz,
institut Presaje, 170 p., p.44).
1O7 Cf. Image and Vision Computing
(2009), vol. 27, n°3, numéro spécial sur la
biométrie multimodale
Chapitre II:Le rêve biométrique confronté
aux défis technologiques
p. 59
insu, et de les insérer dans le système
d'identification biométrique. Le cas échéant, on ne peut
appeler sa banque pour lui demander de nous fournir une nouvelle carte à
puces°8. La même argumentation est reprise par G.
Desgens-Pasanau, chef du service des affaires juridiques de la CNIL, et E.
Freyssinet, vice-président du groupe de travail européen
d'Interpol sur la criminalité liée aux technologies de
l'information, qui soulignent cette faille de la biométrie, qui « a
tendance à confondre identifiant et mot de passe »,
et ouvre donc des possibilités d'usurpation d'identité en ce
sens plus large que les mots de passe informatique lorsqu'il s'agit de
technologies à tracer°9. La «
répudiation du mot de passe est un principe de base de la
sécurité informatique », rappellent-ils, principe impossible
à mettre en oeuvre lorsque le mot de passe en question se confond avec
l'identifiant, lui-même faisant partie intégrante du corps humain
(empreinte digitale, etc.). Toutefois, des programmes de recherche actuels, tel
que le projet TURBINE (TrUsted Revocable Biometric IdeNtitiEs)
110, visent à parer à ce problème, en
créant des « pseudo-identités » à partir de
caractéristiques biométriques (une empreinte digitale pourrait
ainsi fournir plusieurs « pseudo-identités » révocables
si nécessaire).
Enfin, la possibilité de changer d'identité est
prévue par le droit, non seulement dans le cadre de l'état civil
(changement de nom ou de sexe) mais aussi, par exemple, dans le cadre de la
protection des témoins, procédure rendue complexe en cas de
généralisation de la biométrie'.
"'Watson, Andrew (2007), art. cit.
1°9 Desgens-Pasanau, G. et Freyssinet, E. (2009),
p.44-45
11°
http://www.turbine-project.eu/index.php
"'Résumé exécutif du rapport de l'Institute
for Prospective Technological Studies (IPTS), JRC Commission européenne
(2005), « Biometrics at the Frontiers: Assessing the Impact on Society
» (2005), EUR 21585 (p.7) :
http://cybersecurity
jrc.ec.europa.eu/docs/LIBE%2oBiometrics%2oMarch
%2005/Biometrics exec summ FR.pdf . Voir aussi les craintes, aux
Etats-Unis, des groupes de défense des victimes de violences
domestiques, qui dissimulent légalement leur adresses, suite au Real
ID Act (Broache, Anne (2008), « Real ID worries domestic violence
groups », CNet, 8 février 2008).