La réception des actes intrinsèquement mauvais d'après Bernard HàĪring( Télécharger le fichier original )par Daniel KIMBMBA KAHYA Université catholique du Congo - Licence 2012 |
I.2.8. La systématisation éthique du proportionnalismeLe système de la raison proportionnée ou proportionnalisme remet en question la doctrine traditionnelle de l'existence d'actes intrinsèquement mauvais.124(*) Ce système naît à l'intérieur de la morale casuistique et, comme elle, dans le sillage du nominalisme, mais lui apporte une transformation profonde: on passe d'une morale axée sur la relation de l'acte à son objet, lui conférant une qualité morale en soi, à une morale axée sur la finalité du sujet qui devient constructive de l'objet lui-même. La théorie de la cause à double effet devient une catégorie universelle et est interprétée, non plus à partir du principe qu'on ne peut faire ce qui est mal en soi pour atteindre un bien, mais à partir de la raison proportionnée, qui sert ainsi à déterminer en fonction des conséquences ce qui est bien ou mal.125(*) Normand Lamoureux expose les principes essentiels du système: la priorité accordée à la finalité, la distinction entre le plan ontique et le plan moral, celle entre normes formelles et normes matérielles. Sa critique porte sur trois points essentiels: la spécificité de l'ordre moral par rapport à l'utile, l'objectivité de la moralité intrinsèque, le rapport à la Révolution chrétienne. Il y a opposition entre cette morale de la loi, des normes et de la conscience, centrée sur l'obligation et la morale de S. Thomas, morale de la béatitude, des vertus et des dons, de la loi et de la grâce, centrée sur l'attrait de la vérité et de la vie.126(*) La doctrine proportionnaliste ne cherche pas à comprendre comment un acte peut être ordonné à la vraie fin de l'homme, mais elle part du constat que tout acte porte en lui-même une part de mal ontique ou pré-moral.127(*) Ainsi, celui qui coupe du bois pour construire sa maison tue un être vivant, il se fatigue, il use sa hache, il doit renoncer à en faire du bois de chauffage, etc. On mesurera la moralité de l'acte à la proportion de mal ontique que la volonté fait entrer dans l'acte comparativement à tout le bien qui s'y trouve aussi. « De telle sorte que ce sera la prépondérance des biens sur les maux naturels qui fera l'action moralement bonne, ou la prépondérance des maux sur les biens naturels qui la fera moralement mauvaise. »128(*) Si l'acte est proportionné à la valeur qu'il poursuit, le mal commis restera au niveau du mal pré-moral ou physique. Nous avions déjà relevé que l'attachement de la volonté au mal rend mauvais même un acte a priori bon (cf. l'aumône par vaine gloire). Les proportionnalistes pensent aussi que le processus vaut en sens contraire : « l'attachement exclusif de la volonté au bien rend l'acte bon, et ses effets mauvais, accidentels. »129(*)Ici, l'agir moral ne va pas être jugé par rapport au bien ultime, mais par rapport aux biens acquis par la vie. On va juger des conséquences et des effets des biens, de la proportion des effets bons et des effets mauvais. Entrer dans cette logique de juger de la moralité de l'acte par ses effets et ses conséquences, par la proportion entre les effets bons et les effets mauvais (ne faut-il pas tuer un homme si cela en sauve dix ?), fait perdre de vue qu'il puisse y avoir des actes qui ne soient pas moralement neutres, qui aient une valeur en eux-mêmes, qui soient intrinsèquement bons, ou intrinsèquement mauvais.130(*) A l'opposé, on appelle moralité ex objecto la moralité qui juge en fonction de ce qu'objectivement les actes valent, en fonction de l'«objet» d'un vouloir : ce qui est concrètement choisi, est-ce bon ou non ? Contrairement au proportionnalisme, la morale qui réfléchit à partir de l'objet considère qu'il y a des actes qui ne sont pas moralement neutres mais qui mettent par eux-mêmes la dignité humaine en question. Vouloir, à leur sujet, pondérer simplement les circonstances et les conséquences, les effets bons et mauvais, ne peut qu'entraîner à des formes d'utilitarisme. * 124 C. FRANCISCO et Fernandez SANCHEZ, « Principe et argument du moindre mal », in Conseil pontifical pour la famille, Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques. Paris, Téqui, 2005, p. 871. * 125 N. LAMOUREUX, Le proportionnalisme, systématisation heureuse de l'éthique ? Laval, Fides, 2001, p. 97. * 126 Cfr. Ibidem. * 127 Cfr. Ibid., p. 98. * 128 Ibid., p. 99. * 129 Ibidem. * 130 S. Pinckaers, Notes et appendices de S. Thomas d'Aquin, Les actes humains (Somme théologique, Ia-IIae, qq. 6-17), vol. I. Paris, Éditions de La Revue des jeunes-Cerf, 1971, p. 214. |
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