La protection de l'enfance dans les pays africains sortant d'une crise armée : cas de la Côte d'Ivoire( Télécharger le fichier original )par Sedjro Leonard SOSSOUKPE Universite de Nantes - Master 2 2009 |
II. Les ruptures répétées du cessez-le-feuMalgré les multiples accords de cessez-le-feu, plusieurs combats sont intervenus entre les belligérants à l'initiative de l'une ou de l'autre partie, mais de manière ponctuelle. En novembre 2004, à la faveur d'une contre-offensive gouvernementale dénommée opération "Dignité"44(*) (qui visait à récupérer les territoires occupés par les rebelles), l'armée nationale de Côte d'Ivoire a lancé des bombardements aériens contre les positions tenues par les forces rebelles. En février 2005, la milice progouvernementale MILOCI a lancé une attaque sur la ville de Logoualé (à 450km au nord ouest d'Abidjan à quelques encablures de la ligne de cessez-le-le feu). En juillet 2005 deux attaques simultanées ont été lancées sur des positions des forces gouvernementales dans les villes d'Agbovile et d'Anyama (à une dizaine de kilomètres d'Abidjan) par des hommes armés, attaques que le gouvernement a attribuées aux forces rebelles et qualifiées de « violation du cessez-le-feu ». Chaque violation du cessez-le-feu fait des victimes collatérales et déclenche une chasse à l'homme ou se transforme en une occasion de violations des droits de l'homme. B. Les facteurs politiquesLa crise ivoirienne a aussi une origine politique : le coup d'état de 1999, l'exclusion par le Cour Suprême de quatorze candidats (et pas des moindres dont Alassane Ouattara) de l'élection présidentielle de 2000 et la proclamation des résultats du scrutin intervenu dans le cafouillage. Il s'en est suivi des massacres et la persécution des militaires qui avaient soutenu le général Robert Guei, auteur du coup d'état de 1999, qui a organisé le scrutin de 2000 et tenté d'inverser les résultats. Ces massacres ont été couverts par l'impunité sur le fondement du militantisme politique ou par peur de démotiver les troupes. I. Le règne de l'impunité« L'impunité se définit par l'absence, en droit ou en fait, de la mise en cause de la responsabilité pénale des auteurs de violations, ainsi que de leur responsabilité civile, administrative ou disciplinaire, en ce qu'ils échappent à toute enquête tendant à permettre leur mise en accusation, leur arrestation, leur jugement et, s'ils sont reconnus coupables, leur condamnation à des peines appropriées, y compris à réparer le préjudice subi par leurs victimes ».45(*) Depuis 2000, l'impunité de fait est la forme récurrente en Côte d'Ivoire. Elle consiste en ce que les violations de droits humains ne conduisent pas à l'ouverture d'enquête pour en établir les faits et situer les responsabilités ou que lorsqu'un enquête a été ouverte (politique, administrative ou judiciaire), elle n'aboutisse pas à des poursuites contre les présumés responsables quelle que soit l'ampleur des violations (viols, assassinats ou massacres). Quant à l'impunité de droit, « elle consiste pour les pouvoirs publics à intervenir directement pour prendre des mesures en vue d'absoudre les auteurs des violations graves et massives des droits de l'homme ».46(*) L'objectif ultime visé dans ce genre d'intervention est de donner à l'impunité une couverture légale ou judiciaire et faire ainsi obstacle, au nom de l'amnistie ou du principe Ne bis in idem47(*) à des poursuites qui pourraient être engagées ultérieurement. L'ordonnance N°2007-457 du 12 avril 2007 portant amnistie, en est une illustration éloquente parce qu'elle couvre d'impunité, tous les crimes qui ont été commis depuis l'élection présidentielle en 2000 jusqu'au 12 avril 2007.48(*) En effet, les résultats des élections de 2000 qui ont permis à M. Laurent Gbagbo de prendre le pouvoir ont été proclamés dans le désordre. Ce dernier a pris le pouvoir avec l'appui des gendarmes, après avoir demandé à la population de descendre dans la rue pour barrer la route à ce qu'il a appelé « l'imposture ». Mais une fois au pouvoir, le régime qu'il a installé était incapable de punir les crimes de sang commis pendant et après son accession au pouvoir, notamment le charnier de Yopougon. Plus tard, à la faveur de la guerre, le 6 octobre 2002, les auteurs des exécutions sommaires de gendarmes à Bouaké ont fait référence à ce crime impuni et « le spectre a ressurgi dans les tueries de Daloa en octobre 2002, de Monoko-Zohi en novembre 2002 et de Man en décembre de la même année au cours desquelles les forces gouvernementales ont tué des dizaines de personnes sur la base de listes établies sur des critères politiques mais surtout ethniques et où figuraient de nombreux ressortissants de la sous-région, notamment des Maliens, des Burkinabè et des Guinéens soupçonnés d'être des opposants du gouvernement d'Abidjan »49(*). De plus, les autorités rebelles et gouvernementales semblent avoir directement ou indirectement autorisé ou cautionné les violences sexuelles commises par les éléments de leurs forces respectives depuis le déclenchement de la guerre en 2002 et l'impunité qui prévaut ne fait qu'encourager les auteurs et les commanditaires. Tous ces crimes restés impunis ont favorisé dans le pays le sentiment d'impunité, tout comme l'absence de système judiciaire efficace dans le nord du pays a offert, pendant près de cinq ans, un vide favorable à la commission de crimes sans suite judiciaire. Au total, au nord comme au sud, les violences sexuelles à l'encontre des femmes et des jeunes filles se sont poursuivies et la plupart des coupables présumés n'étaient jamais traduits en justice ou recouvraient la liberté peu après leur arrestation. Cette situation s'explique par le fait que ceux qui en sont les auteurs sont les soutiens armés des différentes parties au conflit, gouvernement comme rebelles. * 44Jean Nanga, (correspondant d'Inprecor pour l'Afrique subsaharienne), Côte d'Ivoire : une guerre civile... néocoloniale et française, article publié dans Inprecor Janvier-Février 2005. (Inprecor est une revue d'information et d'analyse politique mensuelle publiée sous la responsabilité du Bureau exécutif de la Quatrième Internationale - SU). Dans cet article l'auteur décrit les conséquences de l'opération "Dignité" : « Faisant fi des accords de Linas-Marcoussis (janvier 2003) et d'Accra III (juillet 2004), Laurent Gbagbo a lancé le 4 novembre l'opération " Dignité ", une offensive aérienne et terrestre contre les positions des Forces nouvelles. Malgré une " guerre sans limites " promise par Guillaume Soro, chef des FN, cette offensive n'avait pas rencontré de résistance véritable au cours des deux premiers jours. Mais au cours de l'opération, l'aviation des FANCI a bombardé un campement militaire français, à Bouké, au centre du pays et en zone contrôlée par les Forces nouvelles. Déployée dans le pays dans le cadre de l'opération " Licorne ", l'armée française y jouit également d'un mandat de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), en tant que " force d'interposition ". Le bombardement a fait neuf morts parmi les soldats français, un mort civil états-unien et une trentaine de blessés. En réaction immédiate l'armée française a détruit les avions ayant commis le forfait, puis, sur ordre du chef de l'État français, son aviation a détruit l'ensemble de la flotte aérienne militaire ivoirienne. Cette " riposte " disproportionnée a provoqué à Abidjan une mobilisation des partisans de Gbagbo : violences antifrançaises et anti-opposition, marche vers la base permanente française du 43e Bataillon d'Infanterie de Marine, vers l'aéroport et vers l'Hôtel Ivoire (situé à 500 mètres de la Résidence présidentielle !) occupés par l'armée française. Un face-à-face meurtrier entre l'armée française, qui a ouvert le feu, et les manifestants conduits par les " Jeunes Patriotes ", sous le regard des FANCI. Bilan officiel ivoirien : une soixantaine de morts et plus d'un millier de blessés ivoiriens, victimes des soldats français. Une " guerre franco-ivoirienne ".. » * 45Rapport de Mme Diane Orentlicher, experte indépendante chargée de mettre à jour l'Ensemble des principes pour la lutte contre l'impunité - Ensemble de principes actualisé pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre l'impunité, Rapport N° E/CN.4/2005/102/Add.1 du 8 février 2005, p. 6. * 46René DEGNI SEGUI, Les droits de l'homme en Afrique noire francophone (théories et réalités), 1998, pp 175-176 * 47Ce principe est prévu par l'article 20, du statut la CPI et son alinéa 1er dispose : « Sauf disposition contraire du présent Statut, nul ne peut être jugé par la Cour pour des actes constitutifs de crimes pour lesquels il a déjà été condamné ou acquitté par elle ». Ce principe est l'équivalent en droit d'inspiration germano-romaniste (art. 6 du code ivoirien de procédure pénale), du principe général de droit de l'autorité de chose jugée. * 48Human Rights Watch, Prise en deux guerres : violence contre les civils dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, Août 2003, Volume 15, No. 14 (A), p.10. Ce rapport décrit certaines circonstances de l'impunité en Côte d'Ivoire: « Les tensions politiques, économiques, religieuses et ethniques qui se sont cumulées dans les années 1990 ont violemment fait irruption pendant les élections présidentielles d'octobre 2000. La légitimité des élections a été sérieusement compromise par l'exclusion de quatorze des dix-neuf candidats à la présidence, dont Alassane Ouattara et le candidat du PDCI, l'ex-Président Bédié. Le Général Guei a fui le pays le 25 octobre 2000 quand des manifestations populaires de grande ampleur et la perte du soutien de l'armée ont fait suite à sa tentative d'ignorer complètement les résultats des élections et de saisir le pouvoir. Laurent Gbagbo a assumé les fonctions de président le lendemain mais les pertes humaines ont continué de croître alors que les partisans du RDR, appelant à de nouvelles élections, s'opposaient aux partisans du FPI et aux forces de sécurité du gouvernement... Plus de 200 personnes ont été tuées et des centaines ont été blessées par la violence qui a accompagné les élections d'octobre et de décembre. Des manifestants ont été abattus dans les rues d'Abidjan par les forces de sécurité de l'Etat. Des centaines de membres de l'opposition, dont de nombreux habitants du Nord et des partisans du RDR, pris pour cibles sur la base de leur appartenance ethnique et de leur religion, ont été arbitrairement arrêtés, détenus et torturés. Les forces de sécurité de l'Etat ont commis des viols et d'autres violations des droits humains en complicité avec les partisans du FPI. Au cours du pire incident attribué aux gendarmes de la base Abobo à Abidjan, les corps de cinquante-sept jeunes hommes ont été découverts à Youpougon, dans les faubourgs d'Abidjan, le 27 octobre 2003, un massacre connu depuis sous le nom de Charnier de Youpougon. Une enquête des Nations Unies sur le massacre a conclu que la responsabilité du massacre relevait entièrement des gendarmes. Cependant, les personnes responsables de ces tueries et d'autres incidents violents liés aux élections n'ont toujours pas fait l'objet d'une investigation digne de ce nom et n'ont toujours pas été traduits en justice. Le procès de huit gendarmes paramilitaires en avril 2001 en lien avec le massacre de Youpougon a conduit à leur acquittement pour « manque de preuves. » Bien que le gouvernement de Côte d'Ivoire ait affirmé son intention de rouvrir l'enquête en 2002, cette initiative a été mise de côté depuis le début de la guerre en septembre 2002 ». * 49Amnesty international, Côte d'ivoire : une suite de crimes impunis : du massacre des gendarmes à Bouaké aux charniers de Daloa, de Monoko-Zohi et de Man, AI Index: AFR 31/007/2003, pp. 2 et 3. Ce document rapporte plusieurs cas d'impunité : « En avril, une jeune fille de quatorze ans a été violée et assassinée par quatre membres des Forces nouvelles dans la ville de Katiola, un secteur contrôlé par ces combattants. Personne n'a eu à rendre des comptes pour ce crime. Quelques jours plus tard, dans la même localité, une femme a été victime d'attouchements puis violée par un membre des Forces nouvelles, qui a été arrêté et détenu pendant quelques jours avant d'être remis en liberté. En septembre, deux jeunes filles ont été violées à Duékoué (dans l'ouest du pays) par six hommes munis de fusils qui faisaient partie d'un groupe armé et étaient soupçonnés d'appartenir à une milice progouvernementale. Aucun d'eux n'avait été arrêté à la fin de 2008... » |
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