Section 2 : Les conséquences
socioéconomiques
Faire le bilan des crises sociopolitiques consenties
jusqu'aujourd'hui c'est dresser l'état des lieux. Les
dégâts en sont récurrents sur plusieurs plans: sur le plan
social et sur le plan économique.
Paragraphe 1 : les conséquences sociales
Les conséquences au plan social sont de multiples
catégories parmi les quelles nous notons l'éducation et la
santé :
A- Sur le plan éducatif
En Côte d'Ivoire, au plus fort de la crise de novembre
2004, les « jeunes patriotes », miliciens pro-gouvernementaux ont
pillé et incendié, à Abidjan et en d'autres villes du Sud,
des lycées et des écoles françaises. Etait-ce pour en
finir avec les intérêts et les symboles français en
Côte d'Ivoire, au nom d'une dénonciation d'un impérialisme
culturel ? Ne peut-on pas déceler dans ces destructions un signe de
désaccord profond que des cadets sociaux envoient en réaction
à l'extraversion de l'élite scolaire ivoirienne et binationale
?
Au point de vue national tout comme à l'international,
la mesure de l'impact quantitatif du conflit ivoirien sur la scolarisation au
Burkina Faso nécessiterait de connaître avec précision la
situation scolaire des rapatriés au départ (en Côte
d'Ivoire) et à leur arrivée au Burkina Faso pour une date
donnée ; cela en fonction de l'âge et si possible du sexe. Par
rapport à leur situation initiale, on pourrait alors saisir l'effectif
:
- des élèves et étudiants
rapatriés, à nouveau scolarisés, par niveau d'enseignement
;
- des élèves et étudiants
rapatriés, n'étant plus scolarisés, par niveau
d'enseignement ;
- des enfants rapatriés qui n'étaient pas
scolarisés, mais sont scolarisables au primaire (5-9 ans).
Une première difficulté réside dans la
connaissance des populations scolarisables. Les groupes d'âges retenus
(0-4 ; 5-9 ; 10-14 ; 15-19 ; etc.) ne permettent pas d'identifier clairement
les populations scolarisables pour les niveaux d'enseignement primaire et
secondaire (7-12 ans pour le primaire ; 13-19 ans pour le secondaire).
Tableau 1 : Estimation des populations
scolarisables au primaire et au secondaire
Groupe d'âges
|
Effectifs
|
% du total
|
Recensement de 1996
|
5-9 ans
|
17 078
|
12,7 %
|
18,1 %
|
10-14 ans
|
8 201
|
6,1 %
|
13,3 %
|
15-19 ans
|
9 394
|
7,0 %
|
10,1 %
|
Total
|
34 673
|
25,8 %
|
41,5 %
|
(Sources : Yaro et al., 2005)
En faisant l'hypothèse que la structure par âge
des rapatriés convoyés officiellement est à peu
près la même que celle des autres, on arriverait alors à
une estimation globale d'environ 40 000 enfants rapatriés
âgés de 7-12 ans, et 31 300 enfants rapatriés
âgés de 13-19 ans, en rapport avec l'effectif total de 365 979
rapatriés totalisés au 31 décembre 2003.
Ces estimations ne sont que très approximatives, elles
restent évidemment très hasardeuses en regard des incertitudes
qui pèsent sur l'effectif réel des rapatriés, d'une part
à cette date du 31 décembre 2003, mais aussi sur son
évolution. On ne peut dire aujourd'hui combien d'enfants «
scolarisables » seraient retournés en Côte d'Ivoire, ni
combien d'autres seraient en revanche venus.
Pour les années scolaires 2002/03 et 2003/04, à
la demande d'un comité interministériel, les deux
ministères de l'éducation, le Ministère de l'Enseignement
de Base et de l'Alphabétisation (MEBA) et le Ministère des
Enseignements Secondaire et Supérieur et de la Recherche Scientifique
(MESSRS), ont recensé via leurs structures déconcentrées
les effectifs des « rapatriés » scolarisés venus de
Côte d'Ivoire. Une synthèse de ces chiffres a été
réalisée par le CONASUR
Tableau 2 : Effectifs des «
rapatriés » scolarisés, selon le niveau d'enseignement,
année scolaire 2002-2003 et 2003-2004
Niveau d'enseignement
|
2002/03
|
2003/04
|
MEBA /
MESSRS
|
CONASUR
|
MEBA /
MESSRS
|
CONASUR
|
Primaire
|
3 678
|
14 914
|
Secondaire général
Secondaire technique
Supérieur
|
1 214
70
781
|
349
9
|
1 496
|
2 255
12
|
(Sources : Yaro et al., 2006)
Par ailleurs, le tableau de synthèse fourni par le
CONASUR ne donne pas de chiffres pour l'enseignement secondaire technique.
Selon les statistiques du MESSRS, en 2002-03, 70 enfants «
rapatriés » étaient scolarisés dans ce type
d'enseignement ; mais aucun au vu des tableaux relatifs à l'année
2003-04. Il demeure impossible d'apprécier le niveau de scolarisation
parmi les « rapatriés », et encore moins comment celui-ci
évolue ; et fait évidemment défaut un suivi statistique
des élèves et étudiants venus de Côte d'Ivoire
depuis 2002, s'accompagnant d'une méconnaissance de leurs
caractéristiques sociodémographiques et économiques.
On peut juste fournir quelques indications, à partir
de documents récoltés sur le terrain, sans valeur
représentative. Ainsi, au Burkina Faso, d'après les
données contenues dans une note du Président de la Commission
Accueil et hébergement de la COPROSUR du Houet, relative à «
la situation des « rapatriés » du début de
l'opération au 30 septembre 2003 », sur un total de 8 440 «
enfants » recensés, 40% étaient déclarés
scolarisés.
Par ailleurs, le conflit ivoirien a nécessairement eu
un impact négatif sur les revenus de la migration, et donc très
probablement aussi sur la scolarisation d'enfants burkinabé,
restés au pays, et qui dépendait de ces envois de fonds par les
migrants.
Selon une récente étude sur les transferts de
fonds des émigrés burkinabé, les frais de scolarité
figurent parmi les dépenses les plus couramment citées, mais sans
indication plus précise ; mais les envois de fonds par les migrants
depuis la Côte d'Ivoire seraient passés d'environ 50 milliards de
francs CFA en 1998 à 27,5 milliards en 2001 (Ouédraogo, 2005) et
on peut logiquement penser que la situation s'est encore dégradée
depuis les événements de 2002.
L'enquête sur les conditions de vie des ménages
réalisée en 2003 (INSD, 2003), à travers un module
consacré à l'impact de la crise ivoirienne au cours des douze
derniers mois, révèle ainsi que 85 % des ménages qui
bénéficiaient de transferts d'argent ont déclaré
une diminution de ceux-ci, et 70 % ne plus rien recevoir du tout. Tandis que
6,1 % des ménages utilisaient habituellement les fonds reçus pour
la scolarisation de leurs enfants, 8,5 % ont déclaré des
arrêts de scolarisation comme conséquence de la crise ivoirienne ;
à noter que l'impact serait plus marqué en ville, avec un
pourcentage double de celui relatifs aux ménages ruraux : 15 % contre
7,1 %. Et l'impact serait très variable selon les régions (de
moins de 1 % à plus de 10 % dans cinq des treize Régions, avec
15,7 % dans le Nord).
B- Sur le plan sanitaire
La situation sanitaire de la Côte d'Ivoire est une
situation préoccupante au point de vu spécifiquement national.
En effet, les événements de la crise du 19 septembre 2002
jusqu'au lendemain de la crise postélectorale 2010-2011,
résultent des violations des textes constitutionnels par certains
acteurs politiques et qui parfois conduisent les populations à des
affrontements aux conséquences lourdes sur plusieurs plans. A cet
effet, Cette partie de l'étude sera consacrée à l'analyse
des conséquences de la crise sur le système de santé.
La partition de facto du pays avec la moitié nord et
l'ouest montagneux sous le contrôle des forces rebelles a des
répercussions au plan sanitaire et humanitaire du fait des
déplacements massifs de populations, de l'interruption des programmes de
santé prioritaires et des dysfonctionnements du système de
santé dans les zones assiégées. Outre ces
conséquences au plan humanitaire, cette guerre a réduit à
néant les efforts consentis par les autorités ivoiriennes depuis
un bon nombre d'années afin d'améliorer la qualité de
l'offre des soins et renforcer le système de santé.
Avec la guerre et son cortège de morts et de
déplacés, les problèmes de gestion des ordures se sont
accrus dans les zones de combats où de nombreux cadavres ont
jonché les rues des villes pendant plusieurs jours avant que certaines
organisations humanitaires comme la Croix-Rouge n'interviennent pour les
enlever. Du fait du déficit d'hygiène, de l'assainissement
insuffisant du cadre de vie et de la précarité des conditions de
vie, les risques d'épidémies de maladies diarrhéiques et
notamment du choléra ont vu le jour.
Les différents dysfonctionnements du système de
santé ont évalué l'état de santé des
populations victimes de cette guerre.
a- Dysfonctionnements structurels
Cette situation de crise a eu pour effet d'affaiblir la
coordination entre certaines structures du ministère de la Santé.
A titre d'exemple il n'existe pas de cadre d'échange entre le SIG,
chargé de la collecte et l'analyse de l'information sanitaire, et le
service de la surveillance épidémiologique de l'INHP qui assure
la collecte hebdomadaire des données épidémiologiques
relatives à la surveillance des maladies à potentiel
épidémique. En conséquence, l'INHP dispose d'informations
dont le SIG a besoin mais qu'il n'a pas.
b- Dysfonctionnements
opérationnels
Depuis le début de la guerre, la gestion de l'urgence
au plan sanitaire et humanitaire a cessé de fonctionner. La situation de
crise a provoqué l'interruption d'importants programmes
d'activités. Ainsi l'opération pilote de gestion
décentralisée basée sur la performance mise en place par
le PDSSI est en souffrance du fait que deux districts pilotes
(Duékoué et Guiglo) sont dans la région de l'Ouest qui est
assiégée. Et le SIG qui avait prévu de former l'ensemble
des acteurs du système de santé des districts à la gestion
de l'information sanitaire n'a pu le faire.
Il est vrai que le bilan des dégâts est loin
d'être exhaustif mais, nous avons pu énumérer certains
parmi lesquels nous enregistrons 36 véhicules de liaison y compris
les véhicules de supervision des districts de santé, 14
ambulances, 22 motos, 20 ordinateurs, 4 imprimantes, 1 scanner, 1
photocopieuse, 11 congélateurs, 10 réfrigérateurs.
Au delà du matériel informatique perdu c'est
aussi et surtout d'importantes données sanitaires collectées
pendant de nombreuses années qui sont perdues.
Selon la Direction des Ressources Humaines (DRH) du
Ministère chargé de la Santé, environ 2000 agents de
santé, toutes catégories professionnelles confondues,
étaient en service dans les zones sous contrôle des rebelles. A la
date du 31 décembre 2002, 86,6% de ces agents ont quitté leurs
postes pour rejoindre Abidjan.
Le nombre de ces agents déplacés est
probablement plus élevé quand on sait que tous les agents de
santé n'ont pas rejoint Abidjan et que certains agents de santé
seraient au nombre des ivoiriens réfugiés dans les pays voisins
notamment au Mali et au Ghana.
Avec la fuite de ces agents de santé et la fermeture de
la plupart des structures de santé dans les zones occupées, la
couverture sanitaire de ces zones a fortement baissé
D'abord dans le secteur publique, la Pharmacie de la
Santé Publique (PSP) avait été contrainte de suspendre
pendant deux semaines ses activités d'approvisionnement en
médicaments des structures de santé de l'intérieur du pays
excepté pour les districts de Daoukro et de Yamoussoukro alors que les
structures d'Abidjan étaient régulièrement
approvisionnées.
En suite, le secteur privé n'est pas
épargné par les méfaits de la guerre. Selon le syndicat
des pharmaciens privés, plus de 150 pharmacies se trouvent en zone
assiégée. La plupart de ces pharmacies sont fermées ou ont
été pillées.
Dans les zones assiégées, l'accessibilité
aux structures de santé a été fortement réduite.
Cette situation résulte de plusieurs facteurs : d'une part en raison du
couvre feu qui prend effet à partir de 18 heures et d'autre part du fait
que peu de véhicules assurent le transport à cause de
l'insécurité.
Et enfin dans les zones libres, les situations d'urgence en
période de couvre-feu ne peuvent être résolues que sur
intervention des Sapeurs Pompiers, Militaires ou du SAMU. Mais ce
mécanisme ne profite qu'aux citadins disposant de
téléphone.
En somme, l'arrêt des activités de
prévention et de prise en charge des cas de maladies dans les zones
assiégées : Il s'agit essentiellement des programmes :
PALUDISME, PEV, VIH/SIDA, TUBERCULOSE; VER DE GUINEE, LEPRE
...etc ; le ralentissement des activités de prévention dans
les zones non assiégées : le flux de population a
entraîné un engorgement des structures sanitaires qui ne sont plus
en mesure d'assurer la prévention, la baisse de la qualité de la
prise en charge des malades en particulier dans les zones non
assiégées du fait du dépassement de la capacité
d'accueil des structures, l'inaccessibilité aux médicaments, aux
produits sanguins sains, aux moustiquaires imprégnées,
l'impossibilité de renforcer les capacités des agents de
santé et des structures sanitaires dans les zones
assiégées conformément aux objectifs fixés par les
programmes (paludisme, santé de la reproduction, tuberculose,
lèpre,..)
Bref, tous ces déséquilibres ont entrainé
la recrudescence de plusieurs anomalies dans le système sanitaire
ivoirien.
Pour la période postélectorale 2010-2011, une
équipe d'experts s'est rendue dans l'ouest de la Côte d'Ivoire
dans le but de recenser les besoins sanitaires induits par la crise
postélectorale qu'a connue le pays durant ces derniers mois.
En effet l'organisation mondiale de la santé,
déclarait dans un communiqué que la région du Moyen
Cavally est l'une des plus touchées avec seulement 10 centres de
Santé sur 44 qui fonctionnent et fournissent des services
limités. Le pays ayant connu une situation politique chaotique
entrainant une mutinerie, certains hôpitaux ont mis la clef sous la porte
et ce qui a pour conséquence évidemment le manque d'assistance
sanitaire en cas de besoin. Dans ce communiqué l'OMS affirme que
« tous les chirurgiens et gynécologues ont fui, ainsi que la
plupart des médecins généralistes et des infirmiers
spécialisés ».
Pour le porte-parole de l'OMS, Tarik Jasarevic, toutes les
structures de Santé des districts de Touslepleu et Blolequin ont
été détruites et pillées, sans oublier que ceux qui
sont restés n'ont pas été payés depuis 3mois. Cette
situation est devenue d'autant plus préoccupante quand on sait que le
traitement de patients nécessitant une chirurgie est devenu difficile
car deux hôpitaux de district sur quatre restent fermés et les
deux autres ont une capacité insuffisante et manquent d'ambulances. Les
experts de l'OMS se sont rendus aussi à la mission catholique de la
ville de Duékoué, dans l'Ouest de la Côte d'Ivoire,
où plus de 27.000 personnes se sont réfugiées. Face
à des conditions de vie si précaires et un risque de propagation
d'épidémie, Tarik Jasarevic, atteste que l'OMS et ses partenaires
n'ont encore reçu que 28% des 6,5 millions de dollars nécessaires
pour soutenir les personnes touchées par la crise en Côte d'Ivoire
et dans les pays voisins.
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