CHAPITRE II : Les hypothèses de
recherche
L'objectif de ce travail est d'établir l'existence d'un
rapport entre plusieurs variables : la structure d'une organisation, le
management des hommes et l'émergence de l'innovation créatrice de
valeur au sein d'une organisation donnée.
Ces hypothèses sont issues d'une confrontation entre
mes convictions personnelles et les conclusions que nous pouvons tirer du
corpus théorique ainsi que de la revue de littérature
établis autour de notre problématique de départ.
L'étude empirique qualitative qui sera présentée lors du
chapitre suivant aura donc pour ambition de vérifier, d'infirmer ou de
confirmer ces hypothèses.
Elles seront dictées sous une formulation affirmative
voire injonctive. Et préfigureront les préconisations à
venir.
1. Première hypothèse :
L'innovation totale doit être un pilier de la stratégie de
l'entreprise car elle lui est foncièrement bénéfique.
L'innovation totale sous entend la mise en place d'une
démarche stratégique pérennisant les processus
innovateurs au sein de l'entreprise. L'innovation est devenue un enjeu majeur
dans un monde globalisé ou la concurrence ne s'est jamais montré
aussi compétitive, notamment dans les pays développés.
C'est aussi une formidable source de croissance économique comme en
atteste le parallélisme des courbes des brevets octroyés, du taux
de croissance et de la richesse produite par les entreprises innovantes.
Innover devient donc le meilleur, voire l'unique moyen sur
certains marchés, de rester compétitif, de se démarquer de
ses concurrents et de garantir sa survie économique.
De plus, nous vivons dans une société de
satiété où les consommateurs expriment des besoins de plus
en plus pointus et exigeant. Les entreprises doivent donc être capables
de renouveler leurs offres en permanence afin de se différencier par des
contenus plus riches et à plus forte valeur ajoutée.
Du point de vu de l'entreprise, l'innovation :
- est un moyen pour l'entreprise d'améliorer sa
compétitivité-prix (par exemple, les innovations de
procédés et les innovations organisationnelles permettent de
réduire les coûts grâce aux gains de productivité
réalisés),
- est également un facteur de
compétitivité structurelle.
De nombreuses techniques et méthodes ont
émergé face à cette nécessité devenue de
plus en plus pressante. Néanmoins, le recours à la
séduisante boite à outils de l'innovation sera vain si cette
dernière n'est pas utilisée en cohérence avec une
stratégie d'innovation à la fois systémique et
itérative.
Une stratégie globale que de nombreuses entreprises
peinent encore à mettre en oeuvre. Les raisons indiquées
concordent dans la plupart des cas vers une culture impropre à la
prise de risque, une organisation ancrée dans des routines
bureaucratiques annihilant toute prise d'initiative et un climat social
malsain. La synthèse de ces éléments peut devenir un
véritable poison pour l'entreprise et contribue à faire avorter
les velléités d'innovations au sein des organisations.
2. Seconde hypothèse : Il
existe un modèle organisationnel à vocation universaliste,
capable de favoriser l'émergence et le développement des
innovations au sein d'une entreprise.
Certains auteurs considèrent que l'organisation et
l'innovation sont deux légitimités contradictoires qui s'opposent
et se concurrencent. Si la découverte d'un modèle unique et
universel peut sembler utopique, il est dans tous les cas possible d'identifier
un ensemble de dénominateurs communs des bonnes pratiques
organisationnelles des entreprises innovantes. Leur agrégation et
rationalisation permettront de dégager un modèle organisationnel
adéquat pour l'optimisation de l'innovation totale.
Parmi ces éléments favorables nous avons
retenu :
- Une vision fédératrice (et présence
d'un leadership fort)
- Un attrait pour le futur (orientation sur le long terme) et
pour le changement,
- Une culture du risque et une acceptation de l'échec
(ce qui induit aussi un soutien managérial à la démarche
d'innovation),
- Une logique client (proximité avec le consommateur
final pour pouvoir comprendre et anticiper ses besoins),
- La fluidité des communications transversales entre
les différents départements,
- La capacité d'absorption des informations
extérieures et la présence de gatekeepers qui
accélèrent leur assimilation et leur diffusion au sein de
l'entreprise,
- Un capital de connaissances (qui s'enrichit au fur et
à mesure des expériences, des réussites et des
échecs accumulés),
- Un système d'information (TIC) qui joue un rôle
très important dans la diffusion/vulgarisation des connaissances
auprès des collaborateurs, dans le décloisonnement des
entités et dans l'accroissement de la capacité d'absorption).
Ainsi, à l'instar de Max Weber qui considérait
le modèle bureaucratique comme le "one best way" des organisations
(avant d'être remis en cause par la théorie des relations humaines
dans les années quarante), nous pensons qu'il est possible de
bâtir la stature d'une organisation idéale répondant aux
nouveaux impératifs économiques de notre époque. Son
efficacité lui conférera une dimension internationale
outrepassant les barrières culturelles. Le système
organisationnel est donc ici considéré comme un ensemble
homéostatique.
Enfin, la formulation de cette seconde hypothèse
implique l'existence d'un structuralisme organisationnel, concept
emprunté à la pensée de Claude Lévi-Strauss qui
prétend que « l'être humain ne peut être
appréhendé qu'à travers un réseau de relations
symboliques qui sont autant de structures auxquelles il participe sans en
être conscient»83(*). Il affirme ainsi l'existence d'un primat de la
structure sur l'événement ou le phénomène social.
Cette vision systémique nous amène à penser que le
comportement de l'individu créatif bien que socialement
prédéterminé puisse être valorisé ou
limité selon le type d'organisation à laquelle il est
rattaché.
Troisième hypothèse :
L'innovation participative doit être institutionnalisée car
elle alimente un flux continu d'idées génératrices de
valeur pour l'entreprise.
Une fois l'organisation idéale mise en place chaque
membre de l'entreprise doit pouvoir devenir un acteur de l'innovation. Cette
idée va de paire avec l'engouement suscité par les propos de
Raymond Lévy, Président de Renault dans les années 1980
lorsqu'il déclarait à propos de ses salariés:
« Je ne veux pas que l'on considère d'un côté
5000 personnes qui pensent pendant que 65000 exécutent ».
Il a en quelques sortes inaugurer les préceptes de l'innovation
participative en instituant cette démarche pilotée au plus haut
niveau hiérarchique.
Mais force est de constater que beaucoup d'entreprises
rechignent encore aujourd'hui à instaurer une pratique d'innovation
participative mobilisatrice qui aille au-delà de quelques projets
sporadiques et peu soutenus. La réussite de ces projets est donc une
affaire de culture et d'orientations stratégiques.
Pourtant les succès à la fois économiques
et sociaux existent et sont nombreux comme en témoigne l'exemple du
groupe hôtelier Accor qui a mis en place un système d'idée
généralisé à ses 125 000 collaborateurs
situés dans plus de 100 pays. Un réceptionniste a ainsi
proposé de faire éteindre systématiquement et
automatiquement les téléviseurs dès qu'un client
libérait sa chambre d'hôtel. Cette innovation a rapporté
une économie estimée entre 600 000 et 1 million d'euros entre
2002 et 2003. Outre une récompense financière, l'auteur de
l'idée a bénéficié d'une promotion interne. Il est
aujourd'hui directeur d'un établissement hôtelier du groupe
Accor.
Ce type de management peut donc être un moyen de
promotion et surtout un formidable outil de reconnaissance pour les
salariés. L'innovation participative est enfin une inépuisable
source d'apprentissage pour l'entreprise. Toutes les compétences
individuelles accumulées peuvent se conjuguer et constituer des
compétences collectives qui pourront dés lors
bénéficier à toute la structure.
* 83Source de la
définition : "Le structuralisme en quatre questions" de
Paul-François Paoli, article publié en 2009 (figaro.fr).
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