(( Les éducateurs ont mis longtemps a se
rendre compte que toutes les formes de sélection en matiere
d'enseignement, qui sont présumées s'intéresser aux seules
capacités intellectuelles des candidats, sont en réalité
en corrélation avec leur origine sociale» (Torten HUSEN 1975 :
138).
L 'institution scolaire a toujours été
per9ue a la fois comme (( instance de sélection et mécanisme
d'unification dans la mesure oft elle unifie en socialisant et divise en
sélectionnant » Mohamed CHERKAOUI (1999 : 41). Si l
'école divise, il est alors légitime de s 'interroger sur les
déterminants et les conséquences les plus importantes des
mécanismes sélectifs qu 'est la réussite ou l
'échec. En effet, la communauté scientifique reste relativement
unanime sur ce qu 'est la performance en tant que critére scolaire mais
cette unanimité est trés loin d'être atteinte quant a ses
déterminants. La question de savoir ce qui explique la réussite
ou l 'échec scolaire a toujours suscité plus qu 'un débat.
Pour certains auteurs, l 'origine sociale est le facteur essentiel qui explique
la réussite ou l 'échec a l 'école mais pour d 'autres par
contre, les facteurs scolaires ou encore les facteurs individuelles seraient
les mieux indiqués pour rendre compte d 'un telle
phénoméne. Bien qu 'il ait plusieurs théories explicatives
des performances scolaires que CHERKAOUI classe en deux grands groupes, nous
nous tablerons dans le cas spécifique de cette étude sur les
facteurs liés a l 'origine sociale.
Selon Mohamed CHERKAOUI (1999), les
théories explicatives de la réussite scolaire peuvent etre
briévement classées en deux groupes. Les théories
déterministes avec des tenants comme BERNSTEIN, BOURDIEU, HYMAN, KAHL,
qui privilégient les facteurs relatifs au passé de l'individu et
soulignent les différences qualitatives entre les sous-cultures de
classe dans lesquelles les individus sont socialisés et les
théories actionnistes ou individualistes développées par
des économistes néo-classiques et certaines écoles
sociologiques dont celle de BOUDON. Ces derniers s'appuient plutôt sur
les variables liées a l'avenir, aux projets sociaux et scolaires ainsi
qu'au pouvoir de décision rationnelle des individus. Mais s'il existe
plus qu 'un débat controversé autour de ce qui pourrait expliquer
mieux ou pas la réussite ou l'échec scolaire, l'origine sociale
est cependant une conclusion a laquelle aboutissent la plupart des
études empiriques sur les questions de réussite et d'échec
scolaires. En effet, les résultats de nombreuses recherches
établissent des relations entre les performances scolaires et les
variables de l'origine sociale. Parmi ces recherches, on peut retenir entre
autres les écrits de
sociologues, sociolinguistes et psychologues aussi bien
aux Etats-Unis, en Europe qu'en Afrique et bien sir au Burkina
Faso.
C'est ainsi qu'en Europe, Pierre BOURDIEU et Jean-
Claude PASSERON (1964), soutiennent l'idée d'une liaison entre
la culture des étudiants et leur origine sociale. Pour ces deux auteurs,
le langage et la culture utilisés a l'école sont ceux de la
classe dominante par conséquent, l'école n'est pas un facteur de
mobilité sociale mais bien au contraire un des facteurs les plus
efficaces de conservation et de reproduction sociales. Il faut noter que de
telles idées doivent etre relativisées car des études ont
également abouti a la conclusion selon laquelle malgré des
conditions socio-économiques particuliérement difficiles,
certains enfants issus de milieux défavorisés arrivent grace a l
'école a aboutir a une mobilité sociale ascendante
(confére Mohamed CHERKAOUI : 1999).
De même, Alain GRAS rejoint BOURDIEU et affirme
que chez l'enfant, " les variables de la réussite dans
l'enseignement post primaire sont la profession de son pere, le niveau
d'instruction de ses parents, l'habitat, la motivation de la famille vers les
savoirs et l'instruction" (1974 : 142). Pour GRAS tout comme Sylvain
COSTER et Ferdinand HOTHYAT, ces facteurs influencent sur les succes a venir
autant que les dispositions intellectuelles et le caractére de
l'enfant.
Mais bien avant, Alfred SAUVY
(1970), avait prouvé que les enfants de classes
favorisées réussissent plus a l'école que ceux issus de
classes sociales défavorisées. Les conclusions de son
étude sont proches de celles de Christian BAUDELOT et Roger
ESTABLET (1971).
Torten HUSSEN (1975),
aprés une investigation sur la réussite scolaire a eu lui aussi a
démontrer que l'intelligence ou l'aptitude telle que mesurée a
l'école en terme de réussite scolaire est avant tout sociale. Ce
qui est mesurée, soutient HUSSEN n'est pas héréditaire, ni
l'intelligence ou l'aptitude d'un individu mais plutôt le langage ou le
raisonnement verbal qui est le produit culturel des couches favorisées
de la société. Par conséquent, on ne doit pas
s'étonner de voir des différences de réussite scolaire
entre les enfants des classes favorisées et ceux des couches sociales
défavorisées.
Harold ENTWISTLE (1978), aborde
également dans le meme sens. Il estime que la classe sociale est un
déterminant incontestable de l'éducation car la distribution des
étudiants
au niveau de l'enseignement secondaire et
supérieur est corrélée avec le niveau de revenu et d
'occupations des parents. Et comme les améliorations des services
sociaux pour libérer les écoles de la pauvreté n'ont pas
permis d'atteindre un taux élevé d'enfants de classe
défavorisée dans l'enseignement secondaire et supérieur en
France, ENTWISLE pense que cela doit conduire les sociologues a examiner les
relations culturelles, psychologiques et les indices économiques de
classe sociale dans l'explication de la performance scolaire.
Il en va de même de certaines conclusions
d'analyses en sociolinguistique scolaire. En effet, Basile BERNSTEIN
(1975) fait partie des auteurs qui ont beaucoup écrit sur les
rapports entre le langage parlé et écrit des différentes
classes sociales et la réussite scolaire des jeunes. Ces travaux
s'inscrivent dans le cadre de la dialectologie sociale (étude des
dialectes d'une langue en rapport avec les sociétés qui les
parlent). En effet, c 'est a partir du constat classique de l'échec
scolaire des enfants de couches défavorisées, que BERNSTEIN a
entrepris d'étudier les causes profondes d'un tel
phénoméne. C'est ainsi qu'à la suite de ses recherches, il
en est arrivé a la conclusion selon laquelle le langage agirait comme
variable intermédiaire entre le milieu d'origine et les comportements
scolaires des individus. Selon sa théorie, les relations de classes
générent, distribuent, reproduisent et légitiment des
formes distinctes de communication qui donnent lieu a des codes dominants et
dominés. Les individus sont donc différemment positionnés
socialement par ces codes dans le processus de leur acquisition scolaire. Car,
le langage "formel" utilisé par les couches favorisées
est plus élaboré que le langage, "public" des couches
défavorisées et le fait qu'il soit privilégié par
l'école, donne a ces enfants un avantage décisif sur le plan des
apprentissages scolaires.
A l'instar de BERNSTEIN, les travaux de William
LABOV (1976) s'inscrivent également dans le cadre des
recherches de la dialectologie sociale qui ont cherché a expliquer les
problémes linguistiques dans les ghettos noirs américains. Ainsi,
les travaux de LABOV sur les stratifications sociales aux Etats Unis ont permis
de montrer que les classes favorisées employaient un langage
considéré comme supérieur et différent de celui des
milieux défavorisés. Ce qui représente un facteur
favorisant ces classes dans le processus de leur acquisition
scolaire.
Les résultats de certaines études
menées en Afrique corroborent également avec ceux d'Europe et
d'Amérique car Rémy CLIGNET (1974) en est arrivé
a ces mêmes conclusions en Cate d'Ivoire. Pour l 'auteur, il ne fait
aucun doute qu 'il existe un lien entre la culture familiale
et la réussite puisque la proportion des
éleves qui réussissent mieux augmente au fur et a mesure que le
niveau de scolarité de leurs parents s'éleve.
Dans le contexte Burkinabé, au terme de son
étude dont l'objet était d'identifié les causes des
déperditions scolaires dans la ville de Ouagadougou afin de proposer
quelques solutions, Alkassoum MAIGA (1990) a conclu de ses analyses
que les enfants des couches sociales défavorisées (paysans,
manoeuvres, artisans...) étaient les plus exposés au
phénoméne de déperdition par rapport a leurs copains issus
de milieux favorisés économiquement (commercants,
fonctionnaires, militaires...). En effet, cela est rendu possible par le
fait que les plus défavorisés soient les plus incapables a
garantir a leurs enfants de bonnes conditions de travail faute de moyens
économiques et matérielles. Il conclut ainsi que l'échec
scolaire s'explique par les mauvaises conditions de travail et par
conséquent l'origine sociale serait un déterminant des
déperditions scolaires dans la mesure ou l'incapacité a supporter
la scolarité de son enfant est fonction de la catégorie socio-
professionnelle des parents.
Cette idée revient également chez
Maxime COMPAORE (1996). Pour lui, de nos jours, la scolarisation d'un
enfant nécessite un véritable engagement de sa famille a
réunir les meilleures conditions de travail lui permettant de
réussir. Outre la cotisation annuelle au niveau de l'APE, les familles
doivent assurer l'achat des fournitures scolaires, l'habillement et la
restauration des éléves. Autant de dépenses qui ne font qu
'alourdir le prix a payer pour la scolarisation des enfants. Cette situation
est donc favorable aux enfants issus de familles aisées.
De même, Komla LOKPO (1999),
aprés analyse des données de son étude qui a pris en
compte le nombre total de redoublement des éléves pendant leur
cursus scolaire, a conclu que les éléves ayant des tuteurs de
classes populaires (agriculteurs, éleveurs, ouvriers...) sont
les plus exposés aux échecs scolaires par rapport a ceux issus de
tuteurs aisés. Pour LOKPO, le manque accru de moyens qui se traduit par
l'incapacité des tuteurs de couches défavorisées a offrir
a leurs filleuls de meilleures conditions d'étude justifie cette
situation.
S'il est vrai que plusieurs études empiriques
ont permis de mettre en relation l 'origine sociale et le rendement scolaire,
peut- on pour autant nier la responsabilité de l 'école dans l
'échec ou la réussite scolaire ? En effet, a côté
des facteurs liés a l 'origine sociale, certains facteurs d 'ordre
scolaire et personnel peuvent influencer les résultats. Tout comme les
études environnementalistes établissent un lien entre l 'origine
sociale et les performances scolaires,
des études ont également
constaté qu'en dépit d'une certaine mobilité sociale
ascendante, certains enfants de milieux défavorisés parviennent,
grace a l'école a se hisser dans l'échelle sociale. Les facteurs
externes comme l'origine socio-économique restent
prépondérants et l'appartenance sociale se répercute dans
l'individu, notamment dans ces représentations. Simultanément,
des enfants de milieux aisés pour lesquels l'école serait
faite « sur mesure » échouent dans leurs
études. Ce dernier constat est faite par Mohamed CHERKAOUI en ces termes
: " l'influence de la classe sociale sur la réussite change de
façon substantielle lorsque l'on prend en considération le type
d'enseignement. De fait, on constate une réduction considérable
des différences de réussite entre les classes sociales. Plus
précisément, en termes de relation entre les classes, on note une
détérioration relative de la réussite des enfants de
cadres supérieurs-professions libérales et de petits
propriétaires d'une part, une amélioration relative de la
réussite des éleves issus de la classe ouvriere et de la
catégorie des employés d'autre part." (1999 :
53)