La primauté des tribunaux pénaux internationaux ad hoc sur la justice pénale des états.( Télécharger le fichier original )par Gérard MPOZENZI Université du Burundi - Licence en Droit 2003 |
I.5.1. La compétence traditionnelle des juridictions nationalesPar compétence pénale traditionnelle (classique) d'un Etat voulant réprimer des crimes de droit international, nous entendons le cas où les juridictions nationales mettent en oeuvre la responsabilité pénale internationale d'un individu en se fondant sur les critères de la compétence pénale de leur ordre étatique respectif. En effet, même si l'infraction est dotée d'un caractère international, elle est normalement commise sur le territoire d'un Etat donné contre les victimes d'un tel Etat ou par un citoyen d'un Etat déterminé. De même, si par principe l'infraction est internationale parce qu'elle porte atteinte aux intérêts essentiels de la communauté internationale dans son ensemble, ce sont, avant tout, des intérêts d'un Etat déterminé qui sont violés. Aussi, la compétence pénale traditionnelle des Etats s'applique- t- elle en matière des crimes internationaux183(*). Ainsi, les juridictions nationales sont compétents sur base des critères suivants: le principe de la territorialité, le principe de la personnalité (active ou passive), le principe de la protection appelé aussi principe de réalité (ou la compétence réelle). Suivant le principe de la territorialité, c'est l'Etat sur le territoire duquel l'infraction internationale a été commise qui le soumet à ses propres juridictions. Concrètement, les Etats de l'ex- Yougoslavie, le Rwanda et ses pays voisins sont compétents pour réprimer les crimes du droit international commis sur leurs territoires pendant les tragédies yougoslave et rwandaise. Toutefois, les conséquences d'une territorialité absolue seraient fâcheuses ; c'est pourquoi les Etats exercent aussi une compétence pénale extra- territoriale184(*). C'est ce qui arrive lorsqu'un Etat compte des nationaux parmi les auteurs présumés ou parmi les victimes. En vertu de cette règle, la France peut notamment connaître des crimes commis au Rwanda par certains de ses militaires présents au Rwanda en avril 1994 ; ou le Burundi pourra lancer des poursuites contre ses ressortissants présumés coupables de crime de génocide au Rwanda185(*) (personnalité active). De même, lorsque la Belgique poursuit des Rwandais présumés coupables de meurtre de ses soldats en 1994, elle agit sur base de la compétence personnelle passive. Enfin, en vertu du principe de la compétence réelle (ou de protection), un Etat peut connaître de l'infraction commise à l'étranger à son préjudice186(*). C'est-à-dire que ce principe prévoit la compétence d'un Etat dès que l'un de ses intérêts vitaux (telles sa souveraineté, sa sécurité ou des fonctions gouvernementales importantes) est touché187(*). Il ne faut pas perdre de vue cependant, que le principe de primauté des tribunaux pénaux internationaux garde sa vigueur. A n'importe quel stade de la procédure, la volonté du TPI oblige n'importe quel Etat d'arrêter ses poursuites et de se dessaisir à son profit. Ainsi par exemple, le TPIR a demandé et obtenu le dessaisissement de la Suisse des enquêtes ouvertes contre Alfred MUSEMA pour les violations au DIH commises à KIBUYE188(*). Mais si les juridictions nationales se fondaient uniquement sur les principes énoncés ci- après, des lacunes subsisteraient. C'est pourquoi les Etats recourent aussi à la compétence universelle. Dans cette perspective, la chambre d'accusation de Paris a confirmé la compétence du juge français pour les crimes contre l'humanité et génocide commis au Rwanda dans l'affaire MUNYESHYAKA189(*). I.5.2. La compétence universelle Selon le principe de l'universalité, un Etat affirme sa compétence sans qu'il y ait aucun critère de rattachement direct avec l'infraction si ce n'est éventuellement que la présence de l'auteur sur son territoire190(*). Le principe de l'universalité donne vocation aux tribunaux de l'Etat sur le ter ritoire duquel le délinquant est arrêté ou se trouve même passagèrement de le poursuivre et/ou de le juger, quels que soient le lieu de commission de l'infraction ou la nationalité de l'auteur ou de la victime191(*). Ce principe confère aux juridictions étatiques un caractère universel et viole cependant, le principe de l'égalité souveraine des nations, principe pourtant fondamental au regard du droit international. Ceci est d'autant vrai qu'un Etat exerce un pouvoir répressif qui, normalement, devrait revenir à un autre Etat. C'est pourquoi, la compétence universelle est exceptionnelle et ne s'applique qu'aux seules infractions de droit international les plus graves. I.5.2.1. Origines de la compétence universelle L'idée n'est pas nouvelle. Déjà en 1625, Hugo GROTIUS192(*) considérait que les infractions au droit des gens constituaient des crimes relevant de tous et que l'Etat sur le territoire duquel se trouvait l'auteur de tel crime devrait le poursuivre ou le remettre à l'Etat requérant193(*). Cette idée a été reprise par Emmerich De VATTEL194(*). Actuellement, le principe est consacré dans de nombreux textes internationaux qui constituent ses fondements juridiques. Il en est ainsi de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide195(*), des quatre Conventions de Genève (CG) de 1949196(*) ainsi que leurs protocoles additionnels I et II197(*) du 8 juin 1977, de la Convention sur l'élimination et la répression de l'apartheid de 1973198(*), de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants de 1984199(*). En vertu de ces textes juridiques, les Etats ont non seulement le droit mais aussi l'obligation de réprimer ces crimes. Cette obligation prend la forme alternative « aut dedere aut judicare ou prosequi », littéralement « ou bien extrader ou bien juger ou poursuivre ». Cette obligation alternative est énoncée en termes généraux pour les auteurs des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité dans diverses résolutions de l'AG des NU200(*). Enfin, les Statuts des TPI ad hoc et de la CPI reconnaissent eux aussi la compétence universelle pour le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité bien qu'ils utilisent des termes généraux201(*). Dans l'affaire Ntuyahaga, la chambre de Ière instance du TPIR, a encouragé tous les Etats, en application du principe de la compétence universelle, à poursuivre et à juger les responsables des crimes graves que sont « le génocide, les crimes contre l'humanité et les autres violations du droit international humanitaire »202(*) Aujourd'hui, l'obligation « aut dedere aut judicare » est de la coutume internationale. La chambre d'appel du TPIY a déclaré que cette obligation pour toute juridiction nationale « de juger ou d'extrader » était de caractère coutumier203(*). I.5.2.2. Quelques réalisations Sur base de la compétence universelle, la Cour d'Assises de Bruxelles a, dans sa séance du 8 juin 2001, condamné quatre Rwandais pour participation au génocide. Il s'agit de Vincent NTEZIMANA, Alphonse HIGIRO, soeurs Gertrude et Maria HIGIRO respectivement pour douze, vingt, quinze et vingt ans de prison204(*). Une autre réalisation, c'est la condamnation, le 26 mai 2000 de Fulgence NIYONTEZE par le tribunal militaire d'appel suisse pour violation des lois de la guerre commise au Rwanda et à l'encontre des citoyens rwandais205(*). On cite également l'arrestation, à Londres le 17 octobre 1998, de l'ancien Président chilien Augusto PINOCHET, sur base d'un mandat international émis à son encontre par les autorités espagnoles pour des actes de torture, de génocide et de terrorisme commis en Chili contre des citoyens espagnols et autres206(*). Même s'il a été envoyé libre au Chili pour des raisons de santé, « son arrestation reste un avertissement à tous les tyrans 207(*)». Un autre exemple est celui de l'arrestation de madame Rose KABUYE à l'aéroport de Francfort en Allemagne par les autorités allemandes sur base du mandat d'arrêt international émis, il y a deux ans, par le juge français Bruguière. Rose KABUYE, chef du protocole du président KAGAME se voit reprocher, ainsi que d'autres personnes, d'avoir une part de responsabilité dans l'attentat contre l'avion du Président HABYARIMANA en 1994, lequel attentat avait déclenché le génocide au Rwanda208(*). Rose KABUYE est actuellement libre de ses mouvements mais la levée de son contrôle judiciaire ne signifie pas que l'instruction est terminée209(*). Plus loin de nous, le 15 septembre 1926, lors de la collision survenue le 2 août1926 entre le vapeur Lotus battant pavillon français et le vapeur Boz-Kourt battant pavillon turc, la Turquie avait jugé et condamné le lieutenant français M.DEMONS et la Cour permanente de justice internationale, acceptant la compétence du tribunal turc en 1927 a énoncé : « Tout ce qu'on peut demander à un Etat, c'est de ne pas dépasser les limites que le droit international trace à sa compétence; en deçà de ses limites, le titre de la juridiction qu'il exerce se trouve dans sa souveraineté210(*)» Ces quelques exemples ne suffisent pas pour conclure que les Etats sont beaucoup plus enclins à poursuivre les auteurs d'infractions graves du droit international ; loin s'en faut. On est plutôt frappé par la passivité des Etats en cette matière, et des contre- exemples ne manquent pas. Avant que l'Union africaine ne le mandate pour organiser le procès de l'ancien Président tchadien Hussein HABRE211(*), le Sénégal, notamment, s'est déclaré incompétent pour connaître des actes de torture reprochés à ce dernier alors que le Sénégal avait ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants212(*). Dans le cas qui nous concerne, cette passivité peut être catalysée par le principe de primauté des TPI ad hoc sur les Etats et surtout les deux conséquences qui en découlent : le dessaisissement et l'autorité de la chose jugée213(*). Mais il est nécessaire de souligner la volonté que les TPI ad hoc ont déjà manifestée comme remède palliatif ? * 183 HENZELIN (Marc), Le principe de l'universalité en droit pénal international, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 27. * 184 JOMBWE- MOUDIKI (Hugo), « La compétence universelle et le procès de Bruxelles », Avocats sans frontières, op. cit, p. 25. * 185 A ce propos, le Rwanda garde discrétionnairement une liste des Burundais qui auraient trempé dans le génocide rwandais de 1994. Si cette liste est mise en lumière, le Burundi pourra choisir de les poursuivre lui- même sans toutefois les extrader au Rwanda ou de les extrader. Au sujet de cette liste, cf. les déclarations de l'ambassadeur rwandais au Burundi du 7 avril 2009 lors de l'ouverture de la 15ème semaine de la commémoration du génocide rwandais ; cf. aussi Global Rights/Burundi, Chronologie des faits et événemnts en rapport avec la justice transitionnelle au Burundi, « Demande d'extradition de 79 Burundais accusés d'avoir participé au génocide de 1994 au Rwanda , p.15. * 186 HENZELIN (Marc), op. cit., p. 28. * 187 Ibidem. * 188 TPIR, Chambre de Ière instance, MUSEMA, décision sur la requête du Procureur aux fins d'obtenir une demande officielle de dessaisissement en faveur du TPIR, 12 mars 1996, Recueil (1995-1996), p.395. * 189Fédération internationale des droits de l'homme, http:/www. fidh. org/lettres/1999, consulté le 25 mars 2009. * 190 HENZELIN (Marc), op. cit., p. 28. * 191 HUET (André) et KOERING JOULIN (Renée), op. cit., p. 211. * 192 Hugo GROTIUS est un théoricien hollandais de la doctrine du « juris gentium » (Droit des gens). * 193 Hugo GROTIUS, De jure belli al pacis, 1625, cité par (sous la dir. de) ASCENSION (Hervé), DECAUX (Emmanuel), PELLET (Alain), Droit international pénal, op. cit. p. 907. * 194 DE VATELL Emmerich, Le droit des gens ou les principes de la loi naturelle, 1768, livre I, chap. XIX, §233 cité par JOINET Louis, op. cit., p. 86. * 195 Art.3. * 196 Convention I, art.49 ; Convention II, art.50 ; Convention III, art.129; Convention IV, art.146. * 197 PA I, art.88 ; PA II,art.6. * 198 Art.5 et 11. * 199 Art.5 §2 et art.7. * 200 A/Rés. /3 (I), Extradition and punishment of war criminals, 13 February 1946; A/Rés./170 (II), Surrender of war crimes and traitors, 31 October 1947 ; A/Rés./2312 (XXII), Declaration of territorial asylum,14 December 1967 ; A/Rés./ 2840 (XXIV), Question du châtiment des criminels de guerre et des individus coupables de crimes contre l'humanité, 18 décembre 1971, art. 4 consulté sur http://www.un./documents/ga/res/2/ares/2.htm, le 17 février 2010. A/Rés./3074 (XXVIII), Principes de la Coopération internationale en ce qui concerne le dépistage, l'arrestation, l'extradition et le châtiment des individus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, 3 décembre 1973 in Code du droit international humanitaire(2004), pp343-344. * 201 Statuts respectifs du TPIY et du TPIR, art.9§1 et art.8§1 ; Statut de la CPI, art.1er. * 202 TPIR, Chambre de Ière instance I, le Procureur c. Bernard NTUYAHAGA, affaire No ICTR-98-40, Décision faisant suite à la requête du Procureur aux fins de retrait de l'acte d'accusation, 18 mars 1999, Recuei(1999), V.2, p.1603. * 203 TPIY, App., aff. IT-95-14-AR 108 bis, Blaskic, 29 octobre 199, §29. * 204 http://www. lemonde. fr/article, visité le 28 février 2009. * 205 JOMBWE- MOUDIKI (Hugo), op. cit., p. 28. * 206 JOMBWE- MOUDIKI (Hugo), op. cit., p. 28. * 207 JOINET (Louis), op. cit., p. 90. * 208 RFI actualité, « Interpellation de Rose KABUYE », consulté sur : http://www. rfi.fr/actufr/articles/107/article- 74573. asp., le 20 mai 2009. * 209 RFI actualité, « Rose KABUYE à nouveau libre de ses mouvements », article du 26 septembre 2009 à 10heures TU, consulté sur http://www.m.rfi.fr, le 23 février 2010. * 210 CPJI, Affaire du Lotus (France c. Turquie), arrêt n° 9 du 7 sept. 1927, CPIJL, série A, n° 10 in Bréviaire de jurisprudence internationale,pp.124 et ss. * 211 Editoweb Magazine, « Hussein HABRE porte plainte contre le Sénégal », 24 septembre 2009 consulté sur http://www.editoweb.eu/Hussein Habré-porte-plainte-contre-le-Senegal_a 19647.html, le 23/02/2009. * 212 MAUPAS (Stéphanie), L'incompétence sénégalaise, Diplomatie judiciaire, 20 mars 2001, consulté sur http://www. diplomatiejudiciaire. Com/ Habré. Html, le 30 mars 2009. * 213 Infra, pp.74-79. |
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