2.2- Cadre théorique: économie paysanne et la
question de la main-d'oeuvre agricole
Les études de transformation des sociétés
agraires conçoivent l'impact du capitalisme sur les forces
économiques de ces sociétés par deux théories
fondamentales. Selon la première, malgré les variations de
structures observées d'une société à l'autre, la
pénétration du capitalisme dans les sociétés
agraires des pays industrialisés a engendré des
différenciations socio-économiques, créant des riches
paysans et à l'opposé des prolétaires. La seconde approche
tente d'expliquer certaines formes de production paysanne comme une forme
d'organisation dans laquelle le paysan produit des biens et services tout aussi
pour la consommation que pour la vente (Long, 1984). Les deux approches tentent
d'expliquer les principales transformations dans le monde agraire. La
première permet d'appréhender les processus de formation des
catégories de paysans, et permet d'isoler les forces historiques dans le
processus de différenciation socio-économique. La seconde permet
de cerner le dynamisme des petits exploitants, et d'analyser les ménages
en tant qu'unités de production et de consommation (Tonou, 1987). C'est
justement cette deuxième approche qu'a développée
Tchayanov (1925).
En effet, les débats sur le fonctionnement des
économies paysannes sont influencés de nos jours par les
postulats théoriques de Tchayanov sur l'allocation des ressources au
niveau de l'économie paysanne russe. En 1925, Tchayanov a introduit un
élément déterminant dans la conception classique de
l'économie paysanne en montrant que "l'allocation des ressources au
niveau du paysan, se réalise non pas suivant la logique capitaliste ou
socialiste mais plutôt suivant la rationalité paysanne" (Harrison,
1975). L'auteur postule que c'est la taille du ménage,
c'est-à-dire le nombre d'actifs qui détermine la taille de
l'exploitation (superficie emblavée par le ménage). Il stipule
que lorsque le ratio C/W (consommateur par actif) augmente, la superficie
cultivée par actif agricole (S/W) augmente aussi. Par ailleurs,
Tchayanov indique qu'en situation de contrainte de terre, les ménages
ayant le ratio C/W élevé auront tendance à intensifier le
travail sur leurs champs. Harrison (1975) soutient qu'une telle intensification
suppose un changement du système de culture extensif, à un
système de culture intensif. Il montre par la suite que le passage
à un système intensif nécessite des moyens que le petit
paysan n'a pas toujours.
Etudiant la main-d'oeuvre familiale au sein des
ménages, Long (op.cit) cite Mackintosh (1979) qui
suggère que "la main-d'oeuvre familiale doit être analysée
en relation avec les normes et les valeurs culturelles existantes dans la
société", car ces valeurs culturelles justifient les
comportements et les rôles de chacun des acteurs de la vie familiale.
Enfin, Long (op.cit) pense que pour identifier la relation entre les
formes de main-d'oeuvre salariée et non salariée au sein des
ménages, il faut prendre en compte les définitions culturelles du
"travail" dans l'estimation sociale de la main-d'oeuvre. C'est fort de cela que
le paysan développe des stratégies variables de
répartition du travail en fonction de la main-d'oeuvre disponible, pour
s'adapter aux conditions de l'environnement physique, et maximiser son
contrôle sur l'environnement économique et social (relation
d'échange de ressources et de produits). Le paysan se comporte de
manière à subjuguer les contraintes de main-d'oeuvre, et à
éviter les risques pour atteindre les objectifs divers.
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