5 -
« la formation par corps »
Il apparaît donc, d'après ces résultats,
que les professionnels évoluent entre un cadre formel qui leur impose
une conduite d'«encadrement » auprès des
étudiants, et un cadre informel, au sein duquel ils possèdent un
espace de liberté suffisant pour inscrire une approche essentiellement
personnelle à cet acte de formation. Pour ne pas reprendre
l'éternelle question de l'origine de l'oeuf et de la poule nous
préférons considérer que chaque acteur de cette situation
de formation se trouve impliqué dans les rapports de force au sein du
champ infirmier. Alors que nous ne pouvons détacher notre recherche du
contexte actuel où l'hôpital entre en compétition avec les
établissements privés en termes de recrutement de personnel
autant qu'en termes d'attractivité auprès des usagers, nous
prenons en compte le contexte mais aussi le lieu particulier où exercent
les professionnels et arrivons ainsi à mieux réaliser
l'émergence apparente d'un nouveau paradigme inscrit au sein
même du nouveau référentiel de formation : la
réflexivité.
Cette réflexivité, inscrite en chacun de nous au
sein même des schèmes d'apprentissage, semble être à
la fois « un allant de soi » en tant que qualité
pré-requise demandée et réifiée par les jeunes
professionnels, et à la fois une qualité indispensable pour
l'exercice d'un métier en perpétuelle évolution. Les
« habitus » au sens bourdieusien du terme permettent alors
de composer avec cet allant de soi tout en se tournant vers l'extérieur
pour continuer ainsi de transformer sans cesse les perceptions et les actions
qui en découlent. La « formation par corps »
s'avère être le fil conducteur de tous les modèles de
professionnels infirmiers rencontrés. Tout se passe donc comme si
l'acquisition des connaissances au sein même du corps permettait
l'utilisation de ces connaissances au moment opportun sans que l'agent ait
besoin de mobiliser une « théorie sur la
théorie. » Pour reprendre un exemple plus parlant afin
d'être plus explicite, nous parlerons de l'apprentissage des sports
où l'explication ne suffit jamais, l'imitation ne donne qu'un sentiment
d'incapacité et, finalement, ce n'est que lorsque le sportif a
trouvé « son » geste qu'il comprend enfin le sens de
la théorie initiale et peut critiquer positivement les modèles
principaux qu'il a pu imiter ou écarter. Pour permettre à cette
« formation par corps » d'atteindre son but, nous avons pu
voir que toutes les stratégies éducatives étaient
employées, de l'image paternelle à l'image maternelle en passant
par le copinage ou l'autorité magistrale. Sans pouvoir dégager
des récurrences de réussite de ces différentes
stratégies, il semble cependant que la conciliation de plusieurs d'entre
elles pourrait permettre de laisser l'espace nécessaire et suffisant
à la construction personnelle de l'étudiant, l'obligeant alors
à prendre conscience de ce qu'il réalise en lien avec les
réalisations des modèles professionnels rencontrés. Si
l'on considère donc que l'accueil sert de cérémonie pour
entrer dans le cadre de formation ainsi repéré par tous et que
les enjeux de ce cadre sont les mêmes pour tous, à savoir :
former des futurs professionnels autonomes, responsables et réflexifs,
nous pouvons alors entrapercevoir les entraves possibles à l'atteinte
des buts de ce cadre. Nous ne pouvons affirmer qu'un accueil selon des
règles préétablies entraine la réussite d'un stage
selon les critères de chaque acteur (institut de formation,
professionnel et étudiant) mais nous pouvons cependant supposer qu'il y
contribue. De la même manière, l'affrontement entre la
théorie et la pratique avec en toile de fond la
supériorité concédée à l'aspect intellectuel
des enseignants oblige l'étudiant à dépasser les limites
du cadre scolaire qu'il connaissait jusqu'alors. Comment, en effet, permettre
à un étudiant de comprendre qu'il n'existe aucune autre
théorie possible que celle décrite lors de l'enseignement de la
pose d'un cathéter veineux mais qu'il aura à faire avec sa
conscience et sa responsabilité face à l'urgence ou l'adaptation
de ce soin selon les conditions particulières chaque jour
rencontrées, si ce n'est par l'utilisation de cette connaissance dans
l'action après une intégration « par corps »
de celle-ci pour mieux la faire ensuite sienne.
|