B. Les organes de délibération
Il s'agit principalement du Mekam Nevfeu, du Mekam
Sampa et de certaines confréries.
1. Les Mekam Nevfeu ou le conseil des
neuf
C'est le conseil des neuf notables. Cet organe politique qui,
comme nous l'avons déjà signalé comptait initialement neuf
membres17, est l'organe suprême. Il a des pouvoirs très
étendus qui équilibrent ceux du roi. Dans la chefferie Bansoa
comme ailleurs, il a un rôle consultatif car aucune décision
importante ne doit être prise sans leur avis. Le chiffre neuf est
caractéristique de la puissance, du pouvoir surnaturel, de clairvoyance
avec lequel le dieu protecteur du village illumine le conseil. Il a pour
rôle d'établir les lois et interdits auxquels chaque villageois se
soumet.
C'est le Mekam Nevfeu qui a la lourde
responsabilité, aidé du Nwoulah Tchobum, d'attraper le
nouveau chef et de conduire son intronisation en garantissant la
légitimité de son pouvoir. Il est le confident du chef et
reçoit de lui l'identité de son héritier potentiel qu'il
doit garder secrète jusqu'à la mort du chef et ne
révéler qu'au Nwoulah de droit. Leur rôle est
d'autant plus important que
Seuls les neuf ont le pouvoir délibératif
et peuvent être appelés, en cas de contestation, à
témoigner ainsi que le ou les parrains du jeune héritier. Cette
éventualité de contestation n'existait que par principe, dans
l'ancienne coutume. Car l'accord des neuf seul suffisait. Cet accord
généralement, ne souffrait pas d'intrique... (KANGA, 1959,
66)
L'opposition du Mekam Nevfeu à une
décision du chef fait véritable qualité de veto car les
membres sont mieux que quiconque aptes à interpréter la
coutume.
A coté de ce conseil suprême et sur la même
longueur d'onde, il existe le conseil des sept ou le Mekam Sampa.
2. Le Mekam Sampa ou le conseil des
sept
Il est facile pour un observateur non averti de confondre le
conseil des sept à celui des neuf. La particularité de ce conseil
repose sur son pouvoir mystique en ce sens qu'il est en contact permanent avec
les forces de la nature et le monde invisible. Si les neuf sont
23 comparables au parlement des temps actuels, les sept sont
assimilables à la plus haute juridiction du village. Pour PERROIS (1993,
60),
Quant au conseil des sept notables, le Mekam Sambueh,
c'est une sorte de "Cour suprême" de sages, dont le but est de veiller au
respect des institutions et des coutumes. Les sept membres du conseil sont
chargés notamment de l'intronisation du nouveau fo18 ; En
contact avec le monde invisible, ils doivent protéger les
chefferies.
Il veille à la protection des us et coutumes du village en
s'appuyant sur les esprits des ancêtres et des divinités.
Ce serait un tort pour nous de parler de ces conseils sans
nous attarder sur les sociétés secrètes qui sont de
véritables réceptacles de la puissance surnaturelle et des forces
spirituelles mises à contribution pour le maintien de la cohésion
sociale.
3. Les Mekoum Nshiè
(sociétés secrètes)
Encore appelées confréries
sécrètes ou associations coutumières, elles constituent
les leviers religieux, politiques, économiques et culturels sur lesquels
s'appuie le Chef dans l'administration de son peuple. Le mot confrérie
se définit comme "une association de personnes exerçant la
même profession libérale et appartenant à un même
corps"19. Autrement dit, une association religieuse ou
charitable.
Les confréries sécrètes à Bansoa
sont régies par des règles rigoureuses et des exigences
auxquelles doivent se plier tous les membres pour assurer leur survie. Ces
contraintes sont relatives aux différents pactes et alliances que les
membres contractent dès leur entrée dans la confrérie.
Ceux-ci sont tenus par le secret absolu et, à leur sujet,
On manque d'informations précises [...] car leurs
membres sont, dit-on tenus par de rigoureuses obligations de réserve et
ce à travers un serment que l'on qualifie de "magique". Toute
indiscrétion est censée être sévèrement punie
et de façon mystérieuse. (CHENDJOU KOUATCHO NGANSO, 1986,
100-1)
Ils ont le droit d'accéder à des choses
très sécrètes de la chefferie comme aller dans le caveau
royal par exemple. Ils sont craints même par les hauts notables qu'ils
ont le pouvoir de sanctionner en cas de violation de l'ordre coutumier.
A coté de celles-ci, il existe des organes
décentralisés comme des sous-chefferies qui sont de
véritables chefferies à l'état réduit qui
administrent à la basse échelle les populations
constituées de serviteurs, paysans et autres personnes de profession
libérale.
Ces sociétés secrètes ont un rôle
très important dans la chefferie du fait que leurs décisions
s'appliquent et s'imposent à tous. C'est la raison pour laquelle leur
prestige est resté immuable à travers le temps. Pour illustrer
ces sociétés, nous avons délibérément
jeté notre
dévolu sur l'une d'elles afin de pouvoir mieux comprendre
le fonctionnement et assimiler de facto les autres. Il s'agit de la
confrérie du Ku'ngang.
Il était question dans ce chapitre de présenter
notre contexte d'étude. Nous avons jugé important
d'éplucher le concept du mot Bamiléké pour nous
arrêter sur le cas Bansoa retenu comme notre site d'étude, cas que
nous avons présenté sur les plans historique,
géographique, et socio-politique. Ce dernier aspect nous a permis de
comprendre le mécanisme de la hiérarchisation de cette
société et d'en présenter les différentes
composantes. Cette dissection conduit une fois de plus à mettre à
jour le rôle fondamental que chaque maillon joue dans le maintien de
l'ordre social. Pour être plus explicite sur ce rôle, nous avons
jugé opportun de prendre appui sur la confrérie
sécrète Ku'ngang dont l'existence participe des
éléments fondamentaux de la sauvegarde des traditions
anciennes.
NOTES
1 Données recueillies dans le
Magazine socio-culturel Gwo-Gwong Sa'a 2003 édité à
l'occasion d'un Festival Biennal du même nom.
2 Lire «Nguemba». C'est une
façon dans la région d'apostropher quelqu'un dans le sens
"Dites-moi" ou "Je dis hein ?". Comme le démontre Fossi, P. A.,
Minimalisme et computations syntaxiques en ?g?mbà,
Thèse de 3e cycle Linguistique, UYI, 2005.
3 Information fournie par Sa
majesté TCHINDA II DJONTU Jean de Dieu, roi des Bansoa lors d'une
interview réalisée en 2006.
4 Nkeu Nta'a Tet en Nguemba signifie
ravin à trois branches. C'est un endroit du Membi d'apparence
très calme qui se divise sur une pente douce en trois branches dont
chacune représenterait un des chef Bameka, Bamendjou et Bansoa. Selon la
tradition orale, si vous jurez faussement en levant trois doigts (Majeur,
Annulaire et auriculaire), Le jour où vous traverserez le cours d'eau
à cet endroit, le débit s'augmentera miraculeusement, vous
engloutira et redeviendra normal
5 Depuis 2001 les fils et filles du
village et de la diaspora Bansoa se sont réunis pour créer un
festival portant le nom de la pierre (Gwo-gwong) qui a pour but non plus de les
séparer mais de les réunir pour se ressourcer dans les valeurs
culturelles qui tendent à disparaître.
6 Ngho lah Peut se traduire
littéralement par départ du village des gens ou de la population.
Selon la légende, c'est le lieu sacré où le Chef Banock,
dégoûté de la vie terrestre a ouvert dans le sol un
boulevard à l'aide de sa canne. Il y a amené tout son peuple
avant de le refermer après lui. De nos jours, on peut y entendre les
voix à certaines heures de la journée. Avant de s'y rendre il
faut avoir la bénédiction des Notables, gardiens des lieux.
Témoignage d'Emmanuel (46 ans), prince Banock.
7 Keue-me-Mbeuh signifie : "Prends de
gros morceaux" ou la vallée du calcaire". En temps de Maquis, les
populations s'y réfugièrent et firent courir la rumeur que la
grotte était habitée par des mauvais esprits dans le but de
dissuader les assaillants. Il se pourrait même que cette grotte renferme
des peintures rupestres que nous souhaiterons découvrir.
8 Dans son Mémoire, L'ascension
dans la société traditionnelle. Etude de la chefferie Bansoa en
pays Bamiléké, Jacques Negha essaye de lever la nuance entre la
chefferie et le village.
9 FO, FON, FEUH, cette appellation du
chef varie selon le dialecte ou le village où l'on se trouve.
10 Lieu d'initiation du futur Feuh
à ses prochaines fonctions.
11 Le Gwong est « une sorte
"d'Etat-nation" ou territoire, à la population et aux coutumes bien
définies.
12 Nous reviendrons sur le rôle et
la fonction du ku'ngang pls loin. Voir p. 25.
13 La semaine en pays
Bamiléké compte huit jours et le "ndú shù"est
considéré comme jour sacré, jour de repos où on ne
doit pratiquer aucune activité de travail de la terre sous peine de
malédiction ou même de mort.
14 Entretien avec M. Kolla Josué,
Adjudant retraité, notable Bansoa, Yaoundé, 08 Février
2005
15 Le Mandjong c'est l'association ou la
caste guerrière du village. Voir Fongang, J.P., Evolution des
pouvoirs..., 1993-1994. p. 97.
16 L'information sur ce rite sera
complétée au chapitre suivant à la section II portant sur
l'initiation et le rituel du Ku'ngang.
17 Notre informateur Ndi Mbé
Ndeffeu Nkuishouo nous a révélé que le conseil comptait
neuf membres dont le chef et huit descendants du chef fondateur.
18 Fo (Feuh en
?g?mbà) c'est l'appellation du chef en langue Ghomalah
parlée dans le Koung khi
19 Définition tirée du
Larousse trois volumes en couleur, librairie Larousse, Paris, 1970.
CHAPITRE II : COSTUME ET CONFRERIE SECRETE DU
KU'NGANG
La société traditionnelle Bansoa connaît
un foisonnement d'associations vaniteuses, religieuses ou secrètes. Ces
sociétés sont absolument indispensables pour la défense
des intérêts des membres, le soutien des actions collectives, la
régulation du pouvoir du chef et le maintien de l'équilibre
social. Le Ku'ngang est l'une des rares confréries à
Bansoa ne siégeant pas à la chefferie mais ayant une telle
puissance qu'elle est crainte, même par le chef du village. Dans la
langue jgambà, un adage dit : "Feuh luù
ndók nóh pak lók
çdum kuoñ"1 Ce qui signifie de
manière transcrite "Le chef a gagné la chefferie et nous
l'amont". Cela est d'autant plus impressionnant que pour KWAYEB, (CHENDJOU
KOUATCHO NGANSO, 1986, 119) «le Ku'ngang se garde bien de montrer
au chef tous les différents aspects de leurs secrets car celui-ci une
fois initié pourrait bien se passer d'eux.»
Pour sa meilleure compréhension, nous regarderons tour
à tour ses origines dans Bansoa, son initiation et ses rituels, sa
structuration et son rôle. Cette présentation intrinsèque
débouchera sur la présentation des objets qui l'accompagnent et
dont les membres sont en possession pendant leurs apparitions publiques.
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