Section III : Organisation socio-politique de Bansoa
La hiérarchisation des sociétés
Bamiléké n'est pas stéréotypée comme on peut
le penser. Chaque village a ses particularités et ses
appréhensions. Cependant plusieurs traits généraux peuvent
être retenus, traits communs aux chefferies. Il est possible comme
l'affirme FONGANG (1993-1994, 80), de dégager trois types de macro
structures intervenant dans la gestion politique de toute chefferie
Bamiléké à savoir le pouvoir exécutif, l'organe de
délibération et la population.
Sur le plan religieux, les Bansoa croient en l'existence d'un
Dieu Suprême qu'ils nomment «Ssi». Cependant, il
existe aussi la croyance en des dieux locaux ou familiaux
représentés par des lieux sacrés divers allant des arbres
aux tentes érigées à cet effet en passant par des chutes
d'eau. Ces divinités personnifiées selon le quartier ou la
famille où l'on se trouve sont secondées par les ancêtres
que les Bansoa vénèrent à travers le culte des
crânes car, ici le mort ne s'en va pas mais reste et peut agir en bien ou
en mal sur le vivant. Après vient le chef et sa suite.
Le Feuh (chef) et ses agents d'exécution
constituent l'organe exécutif. Les deux autres catégories
d'institution qu'on peut désigner selon leurs fonctions sont les organes
de délibération et les organes déconcentrés.
Notre préoccupation majeure est de présenter
l'organisation politique telle qu'elle était structurée, ou du
moins les survivances que l'on observe aujourd'hui de part et d'autre. Cette
tentative de reconstitution nécessite une analyse minutieuse des organes
du pouvoir. Ceci nous conduit à analyser leurs attributions sur le plan
politique.
Carte 3 : Village Bansoa Source :
archives chefferie supérieure Bansoa adaptées
Photo1. Entrée principale de la chefferie
Bansoa Notons les masques ku'ngang peints de part et d'autres
Auteur : W. V. Kengne, Septembre
2006
A- L'organe exécutif.
1. Le pouvoir du chef
L'organe exécutif se présente comme le niveau
supérieur de la stratification d'une chefferie8 puisque c'est
à sa tête que trône le
Feuh9 ; celui-ci est le personnage central
de la chefferie. Il est responsable de la politique intérieure et
extérieure de la communauté. La légitimité de son
pouvoir repose sur sa désignation par son père avant sa mort, son
arrestation et son initiation au La'akam.10 Une fois sorti
de là, il devient aux yeux de la population le Ssila'a (dieu du
village), porte-parole des ancêtres fondateurs de la chefferie.
Ceux-ci lui confèreraient l'intelligence et le pouvoir
pour gouverner. Il est en quelque sorte le maître du
gwong11. Le chef a la responsabilité de
négocier et de conclure les accords et les alliances au nom du peuple
avec les chefferies voisines. Il exerce aussi son autorité par le biais
des Nwoullah, des Mekam nefveu, des sociétés
coutumières et des sous-chefs.
Malgré l'étendue des pouvoirs dont dispose le
chef, celui-ci est loin d'être un potentat car son autorité est
contrôlée et limitée par des institutions
spécialisées aux pouvoirs bien connus, à l'instar du
Ku'ngang12.
a. Les conseilers spéciaux du chef
Dans l'exercice de son pouvoir, le Feuh a besoin et s'appuie sur
les institutions comme sus évoqué mais aussi sur les conseillers
spéciaux.
i. Le Kuetché Feuh.
Le terme Kuetché Feuh se traduit
littéralement par adjoint ou assistant du chef ou encore celui qui tient
la main du chef. Il est le plus proche du chef, mieux son premier conseiller.
C'est un prince frère consanguin du chef désigné dont les
parcours initiatiques sont identiques. Si le chef disparaît brutalement
sans laisser de progéniture, le Kuetché Feuh prend les
rênes du pouvoir. Il est après le Chef, le seul prince à
avoir accès à toutes les confréries coutumières de
la chefferie.
Il n'a aucune prérogative politique et apparaît
comme un médiateur au cas où surviendraient des différends
dans la famille royale. On le voit davantage s'activer dans les
médiations pendant l'absence du chef.
ii. La Maffeuh
Quand le chef accède au trône, sa mère
accède automatiquement à la dignité de Maffeuh.
Ce terme se traduit littéralement par reine-mère. Cela lui
confère une situation matérielle décente et elle tient de
toute la communauté un grand respect et une haute
considération.
Une fois qu'une femme est reine-mère, elle est
contrainte de se conformer à certaines règles, notamment son
départ de la concession royale. Elle quitte la concession, car ne
pouvant faire des enfants avec son propre fils ; celui-ci consomme ses unions
avec les veuves de son père qui peuvent encore procréer. Quand
elle vient à décéder, une de ses filles est
désignée héritière. Si celle-ci est
déjà mariée, elle doit quitter son foyer conjugal pour
s'établir dans sa nouvelle propriété où elle
reçoit discrètement son époux pour des besoins de
procréation. Elle peut même «épouser» d'autres
femmes pour son mari.
Comme le Kuetché Feuh, elle a le droit de
participer à certaines confréries secrètes
réservées uniquement aux hommes et peut apparaître aussi en
public pendant les exécutions rituelles et rythmiques. La
reine-mère a le droit d'être reçue publiquement par le
chef, même pendant le «ndú shù».13.
b. Les agents d'exécution du Chef
L'isolement du Feuh est pallié très
vite par la présence autour de lui de nombreux collaborateurs
(Nwoulah) et serviteurs (Metcheuh'Feuh) et des hérauts
(Pe ton'lop). Ils constituent la garde personnelle du Feuh en
même temps que ses messagers.
i. Les Metcheuh'Feuh (serviteurs)
Ce sont des agents inférieurs et soumis aux
Nwoulah. Aux côtés du chef, ils s'apparentent à la
garde personnelle et aux messagers. Ils accompagnent le chef dans ses sorties
à l'intérieur ou à l'extérieur de la chefferie car
ils sont chargés de porter les attributs du chef constitués de la
pipe, de la chaise, de la calebasse de vin de raphia, etc. Si le chef
décède subitement sans avoir désigné son
successeur, les Metcheuh'Feuh contribuent au choix du successeur selon
la confiance que le défunt avait placée en eux. Le travail des
Metcheuh-feuh est complété par celui d'un autre corps,
les Pe nton lop.
ii. Les pe nton lop ou Kui'fheu
(hérauts)
Ce mot se traduit difficilement en français. Si nous
essayons, on aura PE qui signifie les gens, NTON = crier,
siffler et LOP = sirène. C'est une sorte de héraut des
temps modernes. Ce sont des informateurs dont la mission première est de
transmettre au peuple les messages du chef. Ils effectuent leur mission
nuitamment et dans l'anonymat absolu et au cours de ces missions, ils crient
les mots d'ordre du chef en soufflant dans un instrument. Il peut arriver
qu'ils «exécutent la sentence prononcée par ce dernier
(en cas de mauvaise volonté de la part du condamné). »
(FOGUI, 1990, 136) Il est interdit de les croiser; si vous les entendez
arriver, vous devez vous éclipser.
iii. Les Nwoulah
Ce sont les agents d'exécution les plus gradés
et investis selon leur loyauté et leur moralité exemplaires. Ils
s'apparentent aux ministres de l'administration actuelle et
bénéficient des privilèges divers. Leur fonction à
la chefferie dure neuf ans. Ils ont la charge des divers aspects des structures
sociales tels que le protocole, la sécurité, le culte et bien
d'autres.
Le nombre de Nwoulah varie d'une chefferie à
l'autre selon les besoins de celle-ci. Pour certains auteurs, il existe trois
ou quatre catégories. Cependant, le groupement Bansoa en a
compté huit à travers le temps et les règnes. Nous avons
retenu les principaux qui sont encore présents aujourd'hui14.
- Le Nwoulah Tchobum ou Nwoulah
Nka'a
Son appellation provient des cauris qui ornent son chapeau ;
(Tcho = tête et Mbum = cauris). Ses fonctions sont
assez étendues ; Il est assimilé au premier ministre et
règle la plupart des litiges portés devant le chef, puisque
celui-ci ne s'occupe que des cas très graves. Il est aussi le grand
prêtre du culte des ancêtres. Il garde la partie supérieure
de la chefferie, sorte de caveau où seraient gardés les
crânes des chefs décédés. Vu le contact qu'il
entretien entre le monde des vivants et celui des morts, il a la charge
d'arrêter le nouveau chef pour son intronisation. Il est assisté
d'un adjoint nommé Nkué Nwoulah Tchobum.
- Le Nwoulah Noh
Le mot Noh signifie chefferie. Ce Nwoulah
est en quelque sorte le ministre de l'intérieur et le gardien des
trésors de la chefferie. Il est assimilé au ministre de la
défense dans la mesure où il coordonne aussi les activités
du Mandjong15. De nos jours, il gère les affaires
internes à la chefferie. Il est assisté d'un Ndeffeu Nwoulah
Noh qui s'occupe spécifiquement du protocole.
- Le Nwoulah Kah
Le mot Kah peut se traduire par association ou
regroupement. Le Nwoulah Kah est chargé de gérer les
associations traditionnelles. Il organise, contrôle et supervise les
activités de ces associations et doit dresser un compte rendu
fidèle au chef du village autant pour celles qui siègent le jour
que pour celles qui siègent la nuit. Il y en a plusieurs qui
siègent selon les jours de la semaine et nous pouvons citer : le Kah
Memetè, le Kah Ndùshù, Le Kah
Nshendà...
- Le Nwoulah
Ntée-nchiéNtée-nchié
signifie littéralement «le père de l'interdit». Ce
Nwoulah est le
coordonnateur du rite de purification du village. Ce rite
(Tchoua-tcha'a) qui dure trois jours permet aux Ppeu-nchiée
ou «gens de l'interdit» (qui sont en fait les membres du
Ku'ngang) de se mettre en condition pour exécuter la danse
rituelle avant laquelle ils parcourent tout le village des grands carrefours
aux limites pour l'exorciser, le purifier et le
protéger16.
Il est important de signaler que ces Nwoulah
après leur service auprès du chef, jouissent à leur sortie
de certains privilèges et anoblissements.
22 reçoivent trois petites filles ainsi que des lopins
de terre. Le Nwoulah Kah recevait deux petites filles ainsi qu'une
portion de terre.
Nous avons arbitrairement choisi de ne pas être
exhaustif dans cette section. Certes les fonctions des uns peuvent être
confondues à celles des autres, mais tous oeuvrent pour le bien de la
chefferie, tout comme ceux qui appartiennent aux organes de
délibération.
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