Les déclarations interprétatives en droit international public( Télécharger le fichier original )par Jean Benoà®t MINYEM Institut de Hautes Etudes Internationales - Master de relations internationales 2010 |
Section II- Les déclarations interprétatives à la lumière de l'analyse prétorienneLa jurisprudence en la matière est restée nous semble t-il, constante quant à la détermination de la nature des déclarations interprétatives, en ceci qu'elle n'est pas demeurée formaliste et s'est laissée allée non seulement au delà du seul intitulé, mais surtout s'est attelée à cerner le contenu matériel d'un acte unilatéral quel qu'ait été sa dénomination. A cet égard, il est utile, nous semble t-il, d'analyser un certain nombre de décisions prétoriennes assez pertinentes en ce sens qu'elles sécrètent le substrat même de la qualification jurisprudentielle des déclarations interprétatives. Il s'agira des arrêts BELLILOS et M.K. A- L'arrêt BELLILOS 1) Les circonstances de l'Affaire Les faits sont anodins9(*). En l'espèce, Mme Marlène Bellilos, citoyenne suisse domiciliée à Lausanne, y était étudiante à l'époque de l'affaire. Par un rapport du 16 avril 1981, la police municipale de Lausanne lui reprochait d'avoir contrevenu au règlement général de la police de la commune en participant le 4 avril de la même année, à une manifestation dans les rues de la ville. Elle fut alors traduite devant les tribunaux de son pays et reconnue coupable des faits qui lui étaient reprochés. Après avoir épuisé toutes les voies de recours internes à l'Etat suisse, Mme Bellilos décida de saisir la Cour européenne des droits de l'homme le 24 mars 1983. Elle se plaignait de n'avoir pas été jugée par un tribunal indépendant et impartial, au sens de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne des droits de l'homme. A l'appui de sa demande et dans son mémoire complémentaire du 4 mai 1987, la requérante priait la Cour de dire qu'elle a été en l'espèce, victime d'une violation de l'article 6 paragraphe 1 de la convention qui prévoit en substance que toute personne a droit à un procès équitable, public et dans un délai raisonnable par un tribunal compétent et impartial qui décidera soit des contestations sur des droits et obligations à caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Or, il se trouve que cette disposition fait l'objet d'une déclaration interprétative unilatérale de la Suisse comme suit : « Pour le gouvernement fédéral suisse, la garantie d'un procès équitable figurant à l'article 6 paragraphe 1 de la convention, en ce qui concerne soit les contestations portant sur les droits et obligations de caractère civil, soit le bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre la personne en cause, vise uniquement à assurer un contrôle judiciaire final des actes ou décisions de l'autorité publique qui touchent à de tels droits ou obligations ou à l'examen du bien fondé d'une telle accusation ». Par voie d'exception préliminaire, le gouvernement suisse plaide l'incompatibilité de la requête de dame Bellilos avec les engagements internationaux assumés par la Suisse au titre de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne des droits de l'homme. A l'appui de sa défense, le gouvernement suisse invoque la déclaration interprétative unilatérale ci-dessus, formulée au moment du dépôt de sa ratification. A ses yeux, la Cour aurait dû décliner sa compétence car la requête portait sur un droit non reconnu par la Suisse, compte tenu de ce que ladite déclaration revêt manifestement un caractère restrictif et par voie de conséquence devrait s'analyser en une réserve pure et simple. Or, d'après la requérante, on ne saurait assimiler ladite déclaration à une réserve. En ratifiant la convention, la Suisse a formulé deux « réserves » et deux « déclarations interprétatives », elle aurait adopté de cette manière une terminologie ne devant rien au hasard. La Cour examinera la nature de la déclaration litigieuse puis, le cas échéant sa validité au regard de l'article 64 de la convention aux termes duquel : «1. Tout Etat peut, au moment de la signature de la (...) convention ou du dépôt de son instrument de ratification, formuler une réserve au sujet d'une disposition particulière de la convention, dans la mesure ou une loi de son territoire n'est pas conforme à cette disposition. Les réserves de caractère général ne sont pas autorisées aux termes du présent article. 2. Toute réserve émise conformément au présent article comporte un bref exposé de la loi en cause » 2) Conclusions de la cour sur la nature de la déclaration La question de savoir s'il faut considérer comme une réserve une déclaration qualifiée d'interprétative apparaît difficile notamment en l'espèce parce que le gouvernement helvétique a formulé dans un même instrument de ratification aussi bien des réserves que des déclarations interprétatives. Plus généralement, la cour reconnait la grande importance, soulignée à juste titre par le gouvernement helvète du régime juridique applicable aux réserves et déclarations interprétatives des Etats parties à la convention. Celle-ci ne mentionne que les réserves, mais on constate que plusieurs Etats ont émis aussi ou uniquement des déclarations interprétatives, sans toujours établir entre les unes et les autres une nette distinction. Pour dégager la nature juridique d'une telle déclaration, il y a lieu de regarder au-delà du seul intitulé et de s'attacher à cerner le contenu matériel. En l'occurrence, il s'avère que la Suisse entendait soustraire à l'empire de l'article 6 paragraphe 1 certaines catégories de litiges et se prémunir contre une interprétation trop large de ce dernier. Or, la Cour doit veiller à éviter que les obligations découlant de la convention ne subissent des restrictions qui ne répondraient pas aux exigences de l'article 64 relatif aux réserves. Partant, elle examinera sous l'angle de cette disposition, comme dans le cas d'une réserve, la validité de la déclaration dont il s'agit. 3) Solution de la Cour concernant la validité de cette déclaration Après avoir constaté qu'en la matière, elle possède une plénitude de compétence en vertu des articles 19, 45, et 49 de la convention, la Cour estime que pour ce qui concerne l'article 64 paragraphe 1, la terminologie « réserve de caractère général », est rédigée en termes trop vagues ou amples pour que l'on puisse en apprécier le sens et le champ d'application. Par ailleurs, le libellé de la déclaration contestée ne permet pas de mesurer au juste la portée de l'engament suisse. En particulier quant au point de savoir si « le contrôle judiciaire final » s'exerce ou non sur les faits en cause. Cette terminologie se prête donc à différentes interprétations alors que l'article 64 paragraphe 1 exige précision et clarté. Pour ce qui concerne l'article 64 paragraphe 2, la Cour constate que cette disposition s'adresse à tous les Etats parties, unitaires ou fédéraux et dotés ou non d'un droit de procédure unifié. Par voie de conséquence, la déclaration interprétative de la Suisse est non valide. B- L'arrêt M.K. contre France 1) Faits et procédure L'auteur de la communication est M.K., citoyen français demeurant à Rennes ; il dit être Breton et que sa langue maternelle est le breton. Les tribunaux français lui auraient toujours refusé le droit de s'exprimer en breton et son droit de présenter sa défense en breton et de s'exprimer librement en breton ne serait pas respecté. En conséquence, il affirme être victime des violations commises par la France de plusieurs dispositions du Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques ; Notamment l'article 19 paragraphe 2 relatif à la liberté d'expression, de l'article 26 traitant de l'égalité devant la loi et enfin de l'article 27 afférent à la protection des minorités. En réservant le problème de l'application de l'article 27, la cour note d'une manière générale que les recours internes n'ont pas été épuisés. Sans doute en l'état de la législation française, le requérant était obligé d'utiliser le français pour faire valoir sa prétention au fond devant les tribunaux. Mais cette exigence initiale n'apparaît pas déraisonnable au comité qui note que le fait d'utiliser le français pour former un recours, ne préjugerait pas de la plainte quant au fond10(*). 2) La question juridique posée et la solution de la cour Cependant, la présente affaire était dominée par une question principale : l'applicabilité de l'article 26 du pacte selon lequel « dans les Etats ou il existe des minorité ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue »11(*). Or, en adhérant au pacte, le gouvernement français a « déclaré » que « compte tenu de l'article 2 de la constitution... l'article 27 n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui concerne la république ». Juridiquement, le problème se posait en ces termes : si la notification française était analysée comme une simple « déclaration », elle devrait être interprétée à la lumière du sens et du contenu que le comité de New York a donné à l'article 27 d'une manière générale12(*). Si par contre, elle devait être entendue comme une « réserve », elle était susceptible de remettre en cause la compétence rationae materiae du comité. Ce problème de qualification s'est posé dans l'arrêt Bellilos précité. A cet égard, on a remarqué que si un Etat, dans un même instrument désignait formellement certains actes comme réserves et d'autres comme déclarations interprétatives, il avait par là même indiqué la portée qu'il les attribuait. Dans cette perspective, la France n'avait fait qu'une simple déclaration interprétative sur l'article 27 comme le relevait le requérant. En vérité, cet argument est important, mais pas décisif à notre sens. Pour le comité, c'est même un indice assez faible compte tenu de la pratique générale des Etats. Se basant sur l'article 2 de la convention de Vienne sur le droit des traités, le comité estime que ce n'est pas la désignation formelle de la déclaration mais l'effet qu'elle vise à avoir qui détermine sa nature : « si la déclaration vise à l'évidence à exclure ou à modifier l'effet juridique d'une disposition conventionnelle particulière, elle doit être considérée comme une réserve obligatoire ». En l'espèce, le comité considère que par son libellé, l'article 27 n'a pas lieu de s'appliquer et par la volonté sans équivoque du gouvernement français, la déclaration a valeur de réserve. * 9 Arrêt du 29 avril 1988 série A n° 132.Publications de la cour Européenne des Droits de l'Homme. Série A. Arrêts et décisions, N° 131-140. * 10 Dans son opinion individuelle, M. Vennergren remarque « qu'un recours ne saurait être considéré comme utile si la législation nationale est telle qu'il serait automatiquement rejeté par les tribunaux », cité par Gérard Cohen Jonathan, « Note sur les décisions et constatations du comité des droits de l'homme des Nations Unies relatifs à la France » in Annuaire français de droit international, 1989, p. 430. * 11 Notons que la convention européenne ne comporte aucune disposition comparable, malgré certaines suggestions émises par l'assemblée du conseil de l'Europe. * 12 Et cet égard, il n'est pas certain que l'article 27 soit apte à donner satisfaction à n'importe quelle prétention émise par certains membres d'une communauté linguistique. |
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