CHAPITRE
DEUXIEME
LA RAISON D'ETRE DES DECLARATIONS INTERPRETATIVES
Il peut paraître absurde de parler de la suppression
d'une pratique aussi bien établie que celle des déclarations
interprétatives. Néanmoins, la possibilité qu'il s'agisse
dans le cas de la déclaration interprétative, d'un
phénomène allant à l'encontre de l'évolution
générale du droit des gens n'est pas à exclure absolument.
Les raisons qui ont donné naissance à la pratique relèvent
à notre sens d'une certaine tendance du droit international à
s'autodétruire. Nous analyserons tout d'abord, les causes possibles
d'hypothèques théoriques et pratiques d'une éventuelle
suppression des déclarations interprétatives unilatérales,
ensuite nous examinerons d'autre hypothèses qui militent en faveur du
maintient des déclarations interprétatives.
I- LES RAISONS QUI EXIGENT LA SUPPRESSION DES
DECLARATIONS INTERPRETATIVES
A- Les raisons d'ordre théorique
1) Les questions de conflits
La pratique des déclarations interprétatives
unilatérales rentre en conflit directe nous semble-t-il avec plusieurs
règles expresses du droit classique des traités. Ainsi, celui-ci
exige que le consentement à un traité, pour être
définitif, soit dépourvu de toute altération de la
volonté contractuelle telle qu'elle est exprimée dans le projet
définitif. Or, la déclaration interprétative est une
condition sous laquelle le consentement est donné et, ce qui est pis,
une condition dont l'acceptation est susceptible de comporter l'admission d'un
consentement non identique au projet final du traité. Tout traité
crée un régime unique, même lorsqu'il contient des clauses
de faveur, puisque celles-ci sont placées par les parties contractantes
dans l'ensemble des dispositions conventionnelles. Par contre, la
déclaration interprétative donne à son auteur la
possibilité, théoriquement illimitée, d'insérer
dans le traité des
dispositions violant à la fois son esprit et ses
principes-dans l'hypothèse des réserves déguisées-
et de superposer par là au régime conventionnel des
aménagements particuliers qui sont souvent une négation pure et
simple du premier.
2) L'absence des déclarations interprétatives
dans les deux dernières conventions de Vienne
La pratique des déclarations interprétatives ne
se laisse point classer parmi les phénomènes juridiques
très connus. Son absence dans les deux dernières conventions de
Vienne est très significative à cet égard. La
déclaration interprétative n'est pas une clause contractuelle,
puisqu'elle ne peut être ni une disposition du traité, ni une
modification de celui-ci. La déclaration interprétative n'est
plus un acte unilatéral capable d'engendrer une obligation, en raison de
son caractère de condition qui implique la nécessité de
son acceptation et vu l'incompatibilité d'une telle hypothèse
avec les pratiques dominantes.
B- Les raisons d'ordre pratique
1) Risque d'anéantissement
La déclaration interprétative crée, sous
l'apparence d'une réglementation conventionnelle unique, une
diversité de fait qui peut aller jusqu'à l'anéantissement
pratique du traité en question. Ce camouflage résultant des
déclarations interprétatives peut permettre d'une part, à
un petit groupe d'Etats de rendre inapplicable un traité, tout en ayant
l'air de se prêter à la conclusion. D'autre part, une pratique
facile des déclarations interprétatives laisse un Etat tirer tout
le bénéfice moral de sa participation à une convention
sans, pour autant qu'il assume les charges imposées par celle-ci.
2) Péril d'altération
La déclaration interprétative ronge le
traité à la base. Compte tenu de ce que toute convention est
conçue comme un ensemble et toutes les clauses se tiennent.
Sous le motif de « préciser le sens et la
portée » de certaines dispositions, il se pourrait qu'une
partie au traité soit en train de vider d'autres dispositions de tout
leur sens ou de toute leur efficacité, voir de toute leur substance. On
peut donc en conclure qu'un traité perd la plus grande partie de sa
force dès qu'il contient un certain nombre de déclarations
interprétatives.
3) La déclaration interprétative affecte
l'élaboration du traité
En permettant aux Etats d'adapter après coup son
contenu à leurs besoins, la déclaration interprétative
affecte l'élaboration du traité. En effet, voyant qu'ils pourront
toujours s'arranger par la suite, les Etats négligeront de donner
à l'élaboration du traité les soins qui auraient pu en
faire un chef d'oeuvre de clarté et de précision. Dès
lors, les contradictions et obscurités dans l'instrument conventionnel
feront le lit des déclarations interprétatives. Ce qui pourrait
conduire à des contestations et litiges interminables.
II- LES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAINTIENT DES
DECLARATIONS INTERPRETATIVES
Dans cette partie de notre étude, nous apporterons une
tempérance aux raisons d'un maintient des déclarations
interprétatives après avoir exploré certaines causes
très souvent liées à la politique intérieure des
Etats.
A- Les raisons internes aux Etats
1) Utilité des déclarations
interprétatives dans la cohésion sociale
Si l'on considère les déclarations
interprétatives comme le résultat d'un besoin que le droit
classique des traités est incapable de satisfaire, l'incongruité
juridique de la déclaration interprétative devient alors une
chose inévitable. Elle devra être acceptée si la
satisfaction du besoin dont les déclarations interprétatives
témoignent s'avère inéluctable. Quant aux critiques
d'ordre pratique, elles s'adressent surtout aux
abus de l'utilisation des déclarations
interprétatives. Ceux-ci résultent à notre sens du
relâchement du contrôle qui découle des infractions à
la théorie de l'acceptation unanime. En rétablissant un
contrôle suffisant, on éviterait la désintégration
du traité sous son unité apparente. De même,
l'élaboration des traités sera plus soignée, les Etats
ayant désormais plus d'espoir de tirer un avantage d'un traité
bien fait que les déclarations interprétatives qu'ils pourraient
y faire. Le destin des déclarations interprétatives
dépendra donc largement de la possibilité de les contrôler
efficacement.
2) L'opinion publique des Etats concernés
Ici, il faut considérer un facteur de plus en plus en
plus important dans la vie politique des Etats, à savoir l'opinion
publique. A la faveur des moyens de communications très
perfectionnés à l'heure actuelle, le public peut être de
suite renseigné sur tous les traités importants qu'un Etat est
entrain de conclure. Ces mêmes moyens de communications permettent en
outre à des petits groupes intéressés de prendre une
influence démesurée dans la formation de l'opinion publique. Or,
dans les Etats démocratiques, le « treaty making
power » dans son ensemble dépend largement de l'opinion
publique. D'abord parce qu'il est sorti plus ou moins d'élections, et
aussi parce qu'à la longue, l'opinion publique est capable de lui
ôter toute possibilité d'action. Au vu de l'influence que divers
facteurs extraparlementaires prennent de plus dans la vie des Etats. Dans ces
conditions, le gouvernement ou le parlement préférera
céder à l'opinion publique en faisant diverses
déclarations interprétatives en accord avec ses
intérêts sur le plan interne. L'action de l'opinion publique est
d'autant plus grande qu'aucune morale internationale ne les incite à
respecter le droit des gens, alors que c'est dans ce domaine surtout que les
principes nationalistes trouvent leurs représentants les plus ardents.
B- La nécessité d'assouplir le régime des
traités
1) Conciliation entre exigences d'unité et besoin
d'universalité
On pourrait penser que la déclaration
interprétative résulte d'un conflit entre les principes de
l'universalité et de l'unité du traité. Le premier exige
la participation aussi large que possible en vue de régler toutes les
questions sur un champ quasi universel. Le second exige que le traité ne
subisse aucune altération. Il est certain qu'une règle de droit
n'a de valeur que là où elle est acceptée. Pratiquement,
cela revient à dire qu'elle s'appliquera aux seules parties du
traité qui l'énoncent, puisque
la formation du droit international coutumier est devenue
négligeable. De là, le principe de l'universalité. Mais
encore faudrait-il qu'une règle soit digne de ce nom. La
déclaration interprétative peut, si elle évite des abus,
constituer une conciliation des deux exigences.
2) La limitation des abus auxquels les déclarations
interprétatives ouvrent la porte
Et c'est ici que nous touchons au besoin dont la
déclaration interprétative est la manifestation. Dans l'Etat
actuel des relations internationales, consentir à une convention sans y
apporter quelques aménagements fussent-ils interprétatifs, est
devenu très difficile dans la mesure où les
susceptibilités nationales, les principes idéologiques
s'avèrent très souvent incapables de tout compromis. Par
conséquent, la déclaration interprétative devient l'une
des solutions possibles. Elle nous apparaît comme un complément
indispensable au régime strict du traité classique.
Elle est le résultat de certaines difficultés
particulières à nos relations internationales actuelles qui sont
marquées par l'opposition de nationalismes, d'idéologies et de
cultures. Cependant, la déclaration interprétative ne sera utile
que dans la mesure où on arrivera à limiter les abus auxquels
elle ouvre la porte.
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