3.3/ Evolution et transformation des représentations
sociales (d'après C. FLAMENT, 1994, pp. 37-58)
3.3.1/ Introduction
Par son noyau central stable et des éléments
périphériques en défense, une représentation est
donc résistante au changement. Le noyau central représente la
base de la représentation et Abric l'affirme :
« c'est donc bien la transformation du noyau central qui engendre
le changement de la représentation. » (J.-C. Abric, 1994,
p. 35).
3.3.2/ La notion de schème
Pour aborder le mécanisme de transformation, C. Flament
parle de schèmes. Il considère les éléments
périphériques comme étant des schèmes qui servent
à décrypter les situations comme une grille de lecture.
Toujours selon Flament, les schèmes ont trois
fonctions. Ils sont tout d'abord « prescripteur de
comportement ». Ils indiquent ce qui est normal de ce qui ne
l'est pas dans les situations. Ce sont alors des schèmes normaux.
Lorsque la représentation est mise à mal, c'est-à-dire
lorsque le noyau central est menacé, les schèmes normaux
deviennent des « schèmes étranges »
définis par quatre composantes : « le rappel du
normal, la désignation de l'élément étranger,
l'affirmation d'une contradiction entre ces deux termes, la proposition d'une
rationalisation permettant de supporter (pour un temps) la
contradiction. » (C. Flament, cité par J.-C. Abric, 1994,
p. 27). Ils permettent ensuite une « modulation
personnalisée » des représentations et des
conduites associées. Pour un même noyau central, ils expliquent
alors la différence de comportement possible d'un individu à
l'autre en fonction d'une même situation. Enfin, Flament reprend la
fonction de défense pour les schèmes étranges, en termes
de protection du noyau central.
3.3.3/ Le schéma d'une transformation d'une
représentation
Cet auteur développe la notion de prescripteurs pour
expliquer les conditions de modification d'une représentation en
utilisant le paradigme de Moliner (1998) qui a écrit une thèse
sur les transformations des représentations des chasseurs. Je vais
tenter ici de reprendre l'explication succinctement.
Tout d'abord, il faut comprendre deux notions. La notion de
prescription, pour commencer, est une norme, une règle d'action qui
induit un comportement ou une pratique. Puis la notion de grille de lecture.
C'est le contenu de la représentation que va utiliser le sujet pour
décrypter l'objet de la représentation. Elle contient des
descripteurs qui correspondent soit aux éléments
périphériques, soit au noyau central.
Lorsqu'on soumet les descripteurs de la grille de lecture
à une prescription, deux cas peuvent se produire :
« - la grille de lecture est maintenue, et on
conclut que la prescription relative au descripteur mis en cause est
conditionnelle ;
- La grille de lecture est rejetée comme
inadéquate, et on déclare que la prescription correspondant au
descripteur mis en cause est absolue. » (C. Flament, 1994, p.
44).
La prescription aurait donc la même
caractéristique que le noyau central à savoir qu'elle modifie la
représentation à elle seule si elle s'opère.
Le schéma de la modification de la
représentation selon C. Flament (1994, p. 50) est celui-ci :
Modifications des circonstances externes
Modifications des pratiques sociales
Modifications des prescripteurs conditionnels
Modifications des prescripteurs absolus
figure 8 : mécanisme de la modification de la
représentation
Les circonstances externes sont tout ce qui est
extérieur à la représentation.
Les pratiques sociales sont les comportements qui
évoluent pour s'adapter aux changements des circonstances externes.
On comprend par ce schéma que les prescripteurs absolus
ne pourront être modifiés que si les prescripteurs conditionnels
le sont avant.
En outre, si les circonstances changent souvent, le
schéma repart à zéro à chaque fois.
Ce schéma n'a pas valeur heuristique selon l'auteur,
mais il permet de comprendre le processus de modification de la
représentation.
3.3.4/ Les différents types de transformation
d'une représentation sociale
C. FLAMENT propose un tableau et une explication, que je vais
résumer, sur les variables influençant le processus et les
résultats (C. Flament, 1994, p. 52) :
|
Circonstances perçues comme
|
réversibles
|
irréversibles
|
Bonnes raisons définies par la représentation
sociale
|
A
|
B
|
Définies hors représentation sociale
|
Une bonne raison unique
|
C
|
D
|
Une multiplicité de bonnes raisons
|
E
|
F
|
o A propos de la perception des circonstances :
Elles sont dites réversibles lorsque l'individu croit,
à tort ou à raison, que la situation reviendra comme elle
l'était initialement, c'est-à-dire au statu quo ante.
Flament émet alors l'hypothèse que
« la réversibilité perçue ralentira le
processus de transformation de la représentation sociale, et notamment
interdira tout changement au niveau du noyau central. » (C.
Flament, 1994, p. 53).
o A propos des bonnes raisons :
Elles peuvent s'expliquer par cette phrase que se dit
l'individu concerné : « de par les circonstances, je
fais quelque chose d'inhabituel, mais j'ai de bonnes raisons pour
cela. »
Si les circonstances qui impliquent cette pratique
inhabituelle sont de plus en plus fréquentes, cette évolution
progressive peut mener jusqu'au changement du noyau central sans
brutalité. La bonne raison peut trouver sa source soit dans la
représentation elle -même, ce qui appelle l'apparition des
schèmes étranges, soit hors représentation
c'est-à-dire dans la culture globale.
La présence des schèmes étranges suppose
des processus de transformation de la représentation plus brutaux.
o A propos de la case « A » :
La combinaison des deux variables
« circonstances perçues comme réversibles X bonnes
raisons définies par la représentation sociale »,
induit un statu quo ante donc pas de changement de la représentation
mais quelques traces tout de même sur le processus cognitif qui a eu
lieu.
o A propos de la case « B » :
Le résultat de cette combinatoire est le
changement progressif, non brutal, de la représentation.
o A propos de la case « C » :
Processus de transformation de la représentation
freiné, modification du noyau central impossible.
o A propos de la case « D » :
Apparition de schèmes étranges, processus brutal
de changement.
o A propos de la case « E » :
Correspond à la case « C ».
« Le caractère réversible des circonstances est,
à lui seul, une bonne raison qui s'impose à
tous. »
o A propos de la case « F » :
Conduit ici à l'éclatement du noyau central
radical.
3.3.5/ La pratique comme déterminant du changement
d'une représentation sociale
Par conséquent, le seul déterminant du
changement des représentations est l'évolution des pratiques.
« Un changement au niveau des idées doit être
inévitablement précédé d'un vécu au niveau
des pratiques. » (C. Guimelli, 1994, p. 83).
Dans une étude sur les représentations des
infirmières sur leur rôle, Guimelli a ainsi démontré
que des infirmières qui ont pris l'habitude d'effectuer des tâches
nouvelles, c'est-à-dire relatives au rôle propre infirmier ont
progressivement modifié le noyau central de leur représentation
vers la notion de rôle propre. En revanche, les infirmières qui
exerçaient plus souvent des tâches traditionnelles conservent une
représentation qui associe la fonction infirmière à un
rôle prescrit. Il démontre d'ailleurs que dans leurs
représentations, les étudiants infirmiers, qui ont
effectué nombreux stages sur des sites différents, ont
associé le secteur privé au lieu où l'on exerce
essentiellement le rôle propre infirmier, qui est davantage valorisant.
Ainsi, ils étaient plus nombreux à vouloir postuler en secteur
privé. Guimelli a ici obtenu la preuve que le noyau central est
générateur de prises de position.
Preuve est faite, à plusieurs reprises cet auteur
affirme que « l'accès à des pratiques nouvelles
modifie de façon massive la structure de la
représentation » (C. Guimelli, 1994, p. 106) et
en même temps, que la transformation est progressive et sans rupture du
noyau central.
Je persiste par Abric qui conclue : « ce
sont bien les pratiques qui créent les représentations et non
l'inverse » (J.-C. Abric, 1994, p. 219).
Il ajoute un point qui me semble important pour la suite du
travail. « Il ne suffit pas que l'individu soit engagé
dans une pratique pour qu'il la reconnaisse comme sienne et se l'approprie.
Encore faut-il qu'elle lui apparaisse comme acceptable par rapport au
système de valeurs qui est le sien. » (J.-C. Abric, 1994,
p. 220).
3.3.6/ Pour résumer
Ces apports théoriques nous permettent de distinguer
trois types de transformations et le processus en oeuvre (J.-C. Abric,
1994, p. 236) :
o Transformation progressive :
« Lorsque les pratiques nouvelles ne sont pas
totalement contradictoires avec le noyau central de la
représentation ». Il n'y a alors ni rupture, ni
éclatement du noyau central.
o Transformation résistante :
C'est le cas lorsque les pratiques nouvelles sont
contradictoires mais se heurtent au mécanisme de défense de la
représentation. Elles créent des schèmes étranges
qui, par l'augmentation de leur fréquence, transforme le noyau central
et donc la représentation.
o Transformation brutale :
Les nouvelles pratiques atteignent directement et sans frein
le coeur de la représentation.
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