Le sort des droits de préemption dans les procédures collectives agricoles( Télécharger le fichier original )par Jérémy MAINGUY Université de Poitiers - Master 2 Droit de l'activité agricole et de l'espace rural 2010 |
2. Les effets du jugement d'ouverture sur les droits de préemption dans le domaine agricoleA l'exception de la procédure de sauvegarde, l'état de cessation des paiements est le critère de l'ouverture d'une procédure collective. Il est impossible en pratique que la date de cessation des paiements soit à la date du jugement d'ouverture. Il existe un décalage entre le moment où le débiteur prend conscience de sa situation financière et le délai nécessaire au tribunal pour prendre sa décision. a. Le sort des droits de préemption ruraux pendant la période suspectePar principe, la cessation des paiements est au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective. Cependant le tribunal peut par jugement reporter cette date jusqu'à 18 mois avant la date du jugement d'ouverture, ceci n'est fait que par la demande de certains acteurs tel l'administrateur judiciaire. Ce jugement crée une période suspecte. La période suspecte est la période entre le jour de l'état de cessation des paiements et le jour du jugement d'ouverture de la procédure collective. La période suspecte présente un intérêt : certains actes conclus par le débiteur soumis à une procédure collective vont pouvoir être annulés par le tribunal. Ce sont les nullités de la période suspecte mentionnées aux articles L. 632-1 et suivants du Code de commerce. La question de la motivation d'une période s'explique par le comportement de certains débiteurs, certains en effet s'appauvrissent volontairement afin d'organiser leur insolvabilité avec la complicité d'un tiers, d'autres tentent désespérément d'éviter l'état de cessation des paiements par la vente de leur capital ceux qui désavantagent certains créanciers. De tels comportement existent bien évidemment en matière agricole, citons l'arrêt de la cour d'appel de Bourges du 7 décembre 2006 16 qui déclare un agriculteur en état de cessation de paiement du fait qu'il envisage de vendre une partie des 300 hectares qu'il exploite afin de régler l'ensemble de ses dettes qui se chiffrent à environ 300 000 €. La question dans le cadre de notre sujet est de savoir si les actes effectués dans le cadre de l'exercice des droits de préemption en matière agricole sont touchés. 16 CA Bourges, ch. civ., 7 décembre 2006 : Rev. proc. coll. septembre 2007 n° 3, p. 163. Les actes commis dans le cadre de l'exercice des droits de préemption ont déjà été énumérés 17. Ce sont des actes de cession à titre onéreux de biens immobiliers à vocation agricole. Il existe trois types de nullités dans le cadre de la période suspecte : - Les nullités de droit, ici sont visés les actes d'appauvrissement tels les actes translatifs à titre gratuit, les actes translatifs à titre onéreux lésionnaires, les actes portant atteintes à l'égalité des créanciers comme le paiement de dettes non échues par le débiteur et le paiement par des moyens anormaux ou le fait pour le débiteur de consentir des sûretés afin de garantir des dettes antérieures au début de la période suspecte. Ces actes sont annulés sur simple demande des organes de la procédure cités notamment à l'article L. 632-4 du Code de commerce. - Les nullités facultatives, ici sont visés, les actes à titre gratuit accomplis dans les 6 mois précédent la date de cessation des paiements ainsi que les actes à titre onéreux et les paiements intervenus en période suspecte mais non visés par les nullités de droit, lorsque les cocontractants savaient que le débiteur était en état de cessation des paiements. Comme dans les nullités de droit ce sont les mêmes organes qui demandent l'annulation, à la différence que le juge dispose ici d'une marge d'appréciation et que les demandeurs sont tenus d'apporter la preuve par tous moyens de la connaissance par les cocontractants de l'état de cessation des paiements du débiteur. - Les nullités interdites, ce sont des actes qui ne peuvent en aucun cas être annulés bien que réalisés pendant la période suspecte : les paiements au moyen d'un effet de commerce. L'examen nous amène à la conclusion que la période suspecte peut avoir un impact sur les actes commis dans le cadre de l'exercice d'un droit de préemption. En effet, la vente de fonds ruraux sur lesquels les droits de préemptions ont été exercés peuvent être annulées si : - le prix du bien vendu lors de l'exercice du droit de préemption est lésionnaire, l'article 1674 du Code civil considère qu'une vente d'immeuble est lésionnaire si le 17 V. introduction. vendeur reçoit moins de cinq douzième de la
valeur normale de l'immeuble, dans ce cas - la vente s'est faite pendant la période suspecte et le cocontractant était au courant que le débiteur était en état de cessation des paiements au moment de l'acte. Illustrons ces deux hypothèses par deux exemples : - un agriculteur souhaite organiser son insolvabilité en vendant des parcelles à un tiers à vil prix, cependant ce dernier mal informé des droits de la SAFER voit son bien préempté, il ne fait aucun recours ; - un céréalier, en difficulté financière, vend une parcelle de prairies herbagères qu'il loue actuellement à un éleveur à un tiers, le preneur préempte en connaissant l'état financier de son bailleur. Il est à noter que ce dernier cas est assez rare dans les faits. Les juges du fond sont très exigeants : une illustration est faite par l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 20 décembre 2007 18 où la demande en nullité de paiements litigieux a été rejeté alors que le créancier en cause étant le banquier du débiteur. Quelles seraient les conséquences de l'annulation de la vente du bien préempté ? L'effet de la nullité d'un contrat est bien connu, elle tient dans un adage « quod nullum est, nullum producit effectum » : ce qui est nul ne produit aucun effet. La nullité oblige à remettre les parties dans la situation où ils se trouvaient:au jour de la vente. Cela passe par un retour du bien objet de la préemption dans le patrimoine du vendeur et le retour de la contrepartie dans le patrimoine de l'acheteur. Cependant la nullité se produit lors d'une procédure collective, à un moment où le débiteur est sous contrôle par les acteurs de la procédure, notamment au niveau de la contenance de son patrimoine. Une des restrictions à sa liberté est l'interdiction de payer tout fait générateur de créance antérieur au jour du jugement d'ouverture de la procédure 19. Il est donc important de déterminer la date de naissance de cette créance. 18 CA Paris, 20 décembre 2007 : Rev. proc. coll. Octobre-novembre-décembre 2008 n° 4, comm. 158, G.B. 19 C. com., art. L. 622-7. La logique voudrait que l'on considère que la créance soit née au jour du jugement prononçant la nullité de la vente. La créance de restitution née d'un jugement est effet un fait juridique, c'est à dire un événement quelconque auxquels une règle de droit attache des effets juridiques qui n'ont pas été spécialement et directement voulus par les intéressés 20. L'imprévision amène logiquement à penser que la créance ne peut être née qu'au jour où un acte a entaché un fait d'effets de droit, en l'espèce le jugement a entaché le contrat de vente d'une nullité, les parties ne pouvaient en principe nullement prévoir cela où jour de la conclusion du contrat. Dans le cadre des procédures collectives, la jurisprudence a reconnu que la créance de restitution, née de l'annulation d'un contrat passée au jugement d'ouverture, est une créance postérieure si l'annulation intervient après le jugement d'ouverture 21. Cependant la jurisprudence adopte une position contraire dans le cas de la nullité des contrats de vente conclus en période suspecte : l'annulation d'un contrat de vente oblige l'acheteur à déclarer au passif le montant du prix de vente qui doit lui être remboursé selon la procédure décrite à l'article L. 622-24, alinéa 1 du Code de commerce 22. Or les créanciers soumis à cette obligation ne peuvent pas recevoir de paiements tout au long la procédure au contraire des créanciers dont le fait générateur est postérieur au jugement d'ouverture. La question du fondement de cette position est encore imprécise, des auteurs justifient cela par la volonté des juges de sanctionner les cocontractants 23, d'autres pensent que cette position n'est motivée que par la volonté des juges de sauver l'entreprise en facilitant au maximum les rentrées d'actif dans le patrimoine du débiteur, il est vrai que l'annulation d'une vente conclue en vertu du droit de préemption du preneur permet de récupérer des biens immobiliers agricoles sans avoir à restituer jusqu'à la clôture de la procédure. 20 F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil : Les obligations, 9° édition, Dalloz coll. Précis Dalloz, 2007, p. 6. 21 Cass. com. 19 décembre 2006 : JCP E 14 avril 2007, p. 23, obs. M. Cabrillac, Ph. Pétel. 22 Cass. com., 28 janvier 2004 : Rev. proc. coll. n° 4 décembre 2004, p. 389, obs. G. Blanc. 23 P.M Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 5° éd., Dalloz, coll. Dalloz action , 2008-2009, p. 1568. La situation du preneur qui aurait préempté serait catastrophique : il perd la propriété d'un bien sans récupérer la somme versée. De plus, le bien peut tout à fait être revendu au cours de la procédure collective. Pire dans l'hypothèse d'une liquidation judiciaire, le preneur serait un créancier antérieur chirographaire 24, ce rang est très défavorable pour le créancier lors de la répartition des fonds obtenues par la réalisation de l'actif du débiteur. Seul lueur d'espoir, la nullité par son effet rétroactif remet les cocontractants dans l'état où ils étaient avant l'acte. Le preneur reste donc titulaire du bail rural. La dernière interrogation porte sur les conséquences en cas de cession du bien immobilier agricole préempté avant la déclaration de nullité faite par le tribunal. La revente du bien est interdite par le preneur pendant neuf ans 25 mais tout à fait possible par la SAFER qui d'ailleurs doit rétrocéder le bien préempté dans les cinq ans 26. Les acquéreurs postérieurs devront-ils restituer le bien immobilier préempté ? L'effet de la nullité de cette vente faite en période suspecte est très défavorable pour l'acheteur qui est confronté à de multiples difficultés. Étendre les effets de la nullité mettra d'autres créanciers face aux problèmes des créances impayées et les exposera à des ouvertures de procédures collectives à leur encontre. Bien que conscient de ce problème, la jurisprudence a limité l'annulation de cession subséquente faite par l'acquéreur aux cessions à titre gratuit 27. La solution est juste et contient l'extension des difficultés. 24 C. com, art. L. 641-13 et suivants. 25 C. rur, art L. 412-12. 26 C. rur, art L. 142-4. 27 Cass. com. 30 juin 2004 : Bull. civ. IV n° 137; Act. proc. coll. 2004/15, n° 191, note J. Vallansan. |
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