La preuve sur internet: le cas de la vente en ligne( Télécharger le fichier original )par Kouadio Pacôme FIENI Université de Cocody-Abidjan - D.E.A. 2006 |
SECTION 2 : LES PERSPECTIVES DE DROIT COMPARE154. Dans le cadre des relations contractuelles se rapportant à une opération de vente sur Internet, divers documents électroniques sont susceptibles d'être échangés112(*). Dans l'hypothèse d'un litige opposant les parties à la vente, celles-ci devront apporter la preuve de leurs allégations. Cette tâche se révèle délicate lorsque les éléments de preuve sont essentiellement des documents sous la forme électronique. Ayant perçu ces difficultés et la nécessité de les surmonter, des Etats113(*) ont récemment mis en place un corpus de règles destinés à reconnaître juridiquement l'écrit électronique (I) et la signature du même genre (II). I : La reconnaissance juridique de l'écrit électronique 155. L'avènement de l'Internet a rendu les règles de preuve de droit commun, contenues dans le Code civil, inadaptées. Le législateur, notamment français, procédant à une réforme du droit commun de la preuve, a adopté une définition nouvelle de la preuve littérale (A) et pris soin de reconnaître une force probante à l'écrit électronique (B). A- La nouvelle définition de la preuve littérale 156. La loi française du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve propose une nouvelle définition de la preuve littérale. Ce texte remet en cause l'assimilation historique de la preuve littérale au support papier. En effet, comme le souligne l'exposé des motifs du projet de loi, les dispositions du Code civil sur la preuve ont été rédigées à une époque où le papier était le seul support utilisé pour constater l'existence et le contenu des contrats et en faire la preuve. 157. Extension de la notion de « preuve littérale ». La loi du 13 mars 2000 étend la notion de preuve littérale ou par écrit à tous les écrits114(*), qu'ils soient papiers, électroniques ou autres. Selon le nouvel article 1316 du Code civil : « La preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d'une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quels que soit leur support et leurs modalités de transmission »115(*). 158. Comme on l'observe, cette définition est extensive, ce qui valide toutes les formes d'écrits, y compris ceux sous forme électronique. L'écrit avait, traditionnellement, fini par se confondre avec son support papier116(*). L'article 1316 nouveau met fin à cette confusion. Ainsi, la preuve littérale est redéfinie afin de la rendre indépendante de son support. Ce principe d'indépendance de l'écrit par rapport au support est également énoncé dans le Code civil québécois117(*). L'écrit demeure un moyen de preuve quel que soit le support sur lequel il se trouve, à moins que la loi n'exige un support spécifique118(*). Le juge ne pourra donc refuser qu'un document soit déposé en preuve pour le seul motif qu'il ne se trouve pas sur un support traditionnel tel que le papier. La preuve littérale ne s'identifie plus au papier, ne dépend ni de son support matériel, ni de ses modalités de transmission. On peut ainsi constater que le droit de la preuve s'affranchit du monopole ou de la « tyrannie »119(*) du papier. 159. Soutenir que la preuve par écrit ne dépend ni du support, ni de ses modalités de transmission, correspond au souci de respecter le principe de neutralité technique et médiatique120(*). La jurisprudence et la doctrine ont depuis longtemps mis en exergue le fait que l'écrit était dissocié de l'instrument et de la matière qui ont permis de le réaliser121(*). Plus récemment, la Cour d'appel de Versailles a reconnu la validité d'un écrit sans support matériel122(*). De même, la Chambre commerciale de la Cour de cassation s'est également prononcée sur l'usage d'un crayon à papier lors de la rédaction d'un acte sous seing privé123(*). 160. La preuve littérale reçoit donc une définition nouvelle adaptée aux exigences des transactions passées sur le réseau, notamment à celle de la vente en ligne. Désormais, la preuve littérale ne s'identifiera plus à son support papier124(*). Elle ne dépendra pas non plus des modalités de sa transmission. La Loi uniforme canadienne précise, à ce propos, qu'il ne peut y avoir de discrimination sur la base du médium125(*). La suite de signes constituant l'écrit doit être ordonnée de façon à être intelligible, c'est-à-dire produit de manière lisible et compréhensible par l'homme. Ainsi, un texte peut être crypté, mais il doit pouvoir être déchiffré pour posséder une vocation probatoire126(*). B- La reconnaissance de la force probante de l'écrit électronique 161. La force probante est traditionnellement reçue comme l'efficacité d'un moyen de preuve127(*). La reconnaissance de la force probante de l'écrit électronique s'apprécie au regard de son équivalence avec l'écrit sur support papier d'une part (1), et au regard du règlement des conflits de preuve d'autre part (2).
162. La jurisprudence avait déjà posé les jalons d'une équivalence probatoire entre les écrits traditionnel et électronique en décidant que « l'écrit peut être établi et conservé sur tout support, y compris par télécopie, dès lors que son intégrité et l'imputabilité de son contenu à l'auteur désigné ont été vérifiées ou ne sont pas contestées »128(*). La nouvelle loi française, abondant dans le sens de cette jurisprudence, en a repris l'idée en ses articles 1316-1 et 1316-3. 163. Aux termes du nouvel article 1316-1129(*) du Code civil français issue de la loi du 13 mars 2000, « l'écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité ». Pour sa part, l'article 1316-3 de la même loi précise : « L'écrit sous forme électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier ». 164. Assimilation de l'écrit électronique à l'écrit papier. En posant cette règle, le législateur, par l'assimilation qu'il réalise ainsi, ouvre la voie à un recours de plus en plus fréquent à l'écrit électronique pour la préconstitution de la preuve. Il n'est pas discutable, en effet, que le message électronique puisse être fixé, sous la forme d'informations binaires, sur un disque dur, sur un CD-ROM ou toute autre mémoire de masse comme il en serait des mots ou autres symboles quelconques exposés sur une feuille de papier. La force probante de l'écrit électronique est, aujourd'hui, reconnue par plusieurs législations. Ainsi, l'article 4 de la loi tunisienne indique que « la conservation du document électronique fait foi au même titre que la conservation du document écrit »130(*). 165. Valeur juridique. De même, le droit québécois précise que « la valeur juridique d'un document, notamment le fait qu'il puisse produire des effets juridiques et être admis en preuve, n'est augmentée ni diminuée pour la seule raison qu'un support ou une technologie spécifique a été choisi. Le document dont intégrité est assurée a la même valeur juridique, qu'il soit sur support papier ou sur un autre support, dans la mesure où, s'il s'agit d'un document technologique, il respecte par ailleurs les mêmes règles de droit »131(*). 166. En tout état de cause, l'équivalence probatoire ayant été affirmée, en cas de contentieux dans lequel les titres seraient concurremment invoqués, la loi fait obligation au juge de régler le conflit.
167. Actuellement, le Code civil tel qu'applicable en Côte d'Ivoire, héritage du Code napoléon, ne contient aucune disposition réglant les conflits de preuves littérales. Cette question du règlement des conflits de preuve ne fait l'objet d'aucune disposition dans le Code civil pour cause de monopole de l'écrit privé sur support papier. 168. La loi du 13 mars 2000 est venue combler cette lacune en droit français. Avec la reconnaissance d'autres écrits, il est probable que des conflits en découlent. Ainsi, la superposition de flux d'échanges papier et électronique peut engendrer de sérieux risques de divergences, notamment si l'une des parties a intérêt à expédier un courrier postal qui invalide ou qui diffère d'un message électronique représentant une offre ou l'acceptation d'une offre (ou l'inverse) de vente. 169. Casuistique et pouvoir du juge. La question du conflit de preuve littérale est désormais régie par l'article 1316-2 du Code civil qui prévoit qu'il appartiendra souverainement au juge, lorsque la loi n'a pas fixé d'autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties, de déterminer, au cas par cas, en tenant compte des circonstances de l'espèce, quelle est la preuve littérale la plus vraisemblable. 170. Le juge se voit ainsi octroyer un large pouvoir d'appréciation en cas de conflit en matière de preuves littérales. Cette prérogative du juge connaît néanmoins des atténuations. Aussi, ne peut-il exercer son pouvoir discrétionnaire dans deux hypothèses :
171. Quoiqu'il en soit, le juge est investi d'un pouvoir souverain d'appréciation relativement à la preuve littérale qui est la plus vraisemblable133(*) en fonction du cas qui lui est soumis. La vraisemblance est un critère d'origine jurisprudentielle, récemment rappelé par la doctrine à propos des preuves technologiques134(*). La notion de vraisemblance peut paraître a priori subjective. L'acte doit permettre une approche de la vérité, faire présumer celle-ci sans la prouver entièrement. La qualification de la vraisemblance relève du pouvoir exclusif des juges du fond et échappe au contrôle de la Cour de cassation135(*). 172. L'appréciation du juge consistera à rechercher ce qui lui semble vrai ou bien le titre qu'il considère comme étant le plus crédible. Il faut espérer que le juge, confronté à la preuve électronique, n'ait pas, vis-à-vis de cette dernière, une attitude de défiance systématique qui le conduirait à prendre le parti de l'écrit traditionnel chaque fois qu'un conflit surgirait entre les deux types de preuve. 173. A travers la redéfinition de la preuve littérale pour la rendre indépendante de son support, ainsi que la reconnaissance de l'efficacité du document électronique, la consécration de l'égalité entre le papier et l'électronique est affirmée. * 112Entre autre : e-mail, formulaires de commande en ligne ou envois de factures électroniques. * 113A titre d'exemples: la France avec la loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve ; le Canada avec la Loi uniforme de 1997 sur la preuve électronique. * 114Lettres, caractères, chiffres, signes, symboles. * 115Comme sus-mentionné, cette définition a été entièrement reprise par l'article 18 du Règlement n° 15/2002/CM/UEMOA relatif aux systèmes de paiement des Etats membres de l'UEMOA. Outre les instruments classiques de paiement, le Règlement aborde notamment la monnaie électronique, le porte-monnaie électronique, la signature électronique, le virement électronique et la preuve électronique. * 116Pourtant le dictionnaire définit l'écriture comme la « représentation des mots, des idées, du langage au moyen de signes », Petit Larousse 2002, p. 258. * 117Code civil du Québec (C.c.Q.), art.2837 ; Stéphane CAIDI, « La preuve et la conservation de l'écrit dans la société de l'information », (2004), lex électronica, vol. 9, n° 1, p. 63, édité sur http://www.lex-elctronica.org/articles/v9-1/caidi.htm. * 118C.c.Q., art. 2837. * 119Michel VASSEUR, « L'informatique et quelques unes de ses applications en matière bancaire », Rev. Franç. Comptabilité, 1979, p. 613. * 120Vincent GAUTRAIS, « Le contrat électronique au regard de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information », in Vincent GAUTRAIS (dir.), Droit du Commerce Electronique, Montréal, éd. Thémis, 2002, p. 3 et p. 7. * 121Aix-en-Procence, 27 janvier 1846, DP 1846, 2, 230. * 122Versailles, 12 octobre 1995, RTD civ. 1997, p. 137, obs. Jacques MESTRE. * 123C.c.Q., art. 2837 ; Stéphane CAIDI, « La preuve et la conservation de l'écrit dans la société de l'information », (2004), Lex electronica, vol. 9, n° 9, p. 63, édité sur http://www.lex-electronica.org/articles/v9-1/caidi.htm. * 124Eric CAPRIOLI, « Le juge et la preuve électronique », Juriscom.net, 10 janvier 2000, édité sur http://www.juriscom.net/universite/doctrine/article7.htm. * 125Art. 5 de la Loi uniforme. V. à ce sujet John GREGORY, « technomogy Neutrality and the Canadian Uniform Acts », p. 1, disponible à l'adresse http://www.lexum.umontreal.ca/conf2002/actes/Gregory.html.
* 126« L'introduction de la preuve électronique dans le code civil », étude par un groupe d'universitaires, JCP 1999, éd. G., I, n° 6, p. 68. * 127Lexique des termes juridiques, 13ème éd., Dalloz, 2001, p. 268. La force probante indique ainsi quelle est la puissance de la preuve administrée à l'encontre de toute preuve contraire ou le poids de cette preuve dans l'esprit du juge. * 128Cass. Com., 2 décembre 1997, JCP 1998, éd. G, II, 10097 ; D. 1998, p. 192, note Didier MARTIN. * 129V. également l'art. 19 du règlement n° 15/2002 de l'UEMOA précité. * 130Loi n° 2000-83 du 9 août 2000 relative aux échanges et au commerce électroniques. * 131Art. 5 de la loi québécoise concernant le cadre juridique des technologies de l'information adoptée et sanctionnée le 21 juin 2001. * 132Les conventions sur la preuve consistent pour les parties à prévoir, dans un écrit, les preuves qu'elles s'autorisent à produire réciproquement devant les tribunaux en cas de litige. * 133Pour une illustration de la vraisemblance en jurisprudence appliquée au commencement de preuve par écrit de l'art. 1347 du C. civ., v. Cass. Civ. 15 mai 1934, DP 1934, 113 ; également DH 1934, 329. * 134Daniel AMMAR, « Preuve et vraisemblance, Contribution à l'étude de la preuve technologique », RTD civ. 1993, p. 499 et s. * 135Cf., par exemple, Civ. 1re, 21 octobre 1997, Bull. civ. I, n° 284 ; Colmar, 12 novembre 1948, D. 1949, p. 72. |
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