La preuve sur internet: le cas de la vente en ligne( Télécharger le fichier original )par Kouadio Pacôme FIENI Université de Cocody-Abidjan - D.E.A. 2006 |
CONCLUSION403. Peut-être plus que tout autre développement technologique l'ayant précédée, l'explosion des nouvelles technologies de l'information et de la communication a semblé questionner tant la pertinence que l'efficacité du droit comme instrument de régulation de l'espace social. Par sa plasticité et sa libre circulation au travers des réseaux toujours plus étendus et interconnectés, l'information numérique semble remettre en question une des institutions juridiques les plus importantes : le contrat. 404. L'un des problèmes majeurs soulevés par l'Internet et se rapportant au contrat est celui de la preuve. Rapporter la preuve d'une relation contractuelle n'est pas toujours chose aisée pour les parties. L'entreprise se révèle davantage difficile lorsque la transaction est réalisée par le biais de l'Internet. La vente en ligne, modalité du commerce électronique est aujourd'hui en pleine expansion. Les modes classiques de preuve dans la plupart des Etats africains et notamment en droit positif ivoirien ne sont, certes, pas démunis pour fournir aux parties des moyens de rapporter la réalité de leurs échanges, en particulier par la mise en oeuvre du principe de la liberté de la preuve en matière commerciale. 405. Toutefois, les solutions du droit positif apparaissent insatisfaisantes. L'Afrique de tradition orale283(*), participe très activement déjà au phénomène cyber. Grâce à l'OHADA, le droit des affaires connaît une harmonisation en Afrique. Mais comment pratiquer aujourd'hui efficacement le droit des affaires sans prendre en compte le commerce électronique ? Ceci renvoie à une exigence : l'Afrique, appelée à être un partenaire incontournable du commerce électronique doit se doter d'un droit de la preuve en adéquation avec celui-ci. Plus spécifiquement, il s'agit de sécuriser les relations contractuelles dans le cadre de la vente en ligne ; cela passe nécessairement par l'adoption de normes correspondant à la réalité virtuelle. 406. Pour ce faire, la nécessité d'une adaptation est urgente aujourd'hui où le commerce électronique est en expansion. Tandis que de nombreux Etats, en Occident, ont aménagé leur droit de la preuve pour l'adapter à la réalité électronique de la vente en ligne, en Côte d'Ivoire, aucune réflexion profonde n'a encore été menée sur la question. Les échanges via les réseaux électroniques sont un phénomène mondial. Et la plupart des pays développés sont en train d'adapter leur cadre législatif aux échanges électroniques. 407. En Europe, la Directive du 13 décembre 1999 sur les signatures électroniques définit le cadre dans lequel doivent s'inscrire les lois nationales : l'Italie et l'Allemagne ont déjà modifié leur législation. Aux Etats-Unis, la situation diffère d'un Etat à l'autre, et plusieurs projets concurrents de lois fédérales sur le cyberespace sont en projet. 408. L'apparente capacité de l'Internet à défier le droit a justifié en 1997, en France, la commande par le Gouvernement d'une étude au Conseil d'Etat, dans le but d'identifier les moyens s'offrant à l'Etat pour réguler efficacement ce média. Publié en 1998, le rapport a réaffirmé en toute confiance le rôle du droit comme « instrument privilégié de la construction de ce nouvel espace », soulignant que non seulement « les questions juridiques suscitées par le développement d'Internet et des réseaux numériques ne sont pas de nature à remettre en cause les fondements mêmes de notre droit », mais qu'au contraire, « elles confirment la pertinence de la plupart des concepts généraux, parfaitement transposables à ce nouvel environnement, même si certaines adaptations sont nécessaires »284(*). 409. L'adaptation des principes du droit de la preuve au contexte des transactions électroniques, loin d'un simple aménagement mécanique, est synonyme de bouleversements profonds qui n'épargneront ni les principes qui sous-tendent, ni les pratiques qui entourent le droit de la preuve. 410. La question essentielle, dans l'hypothèse de l'adaptation, est de savoir comment le droit de la preuve va s'adapter au phénomène de la numérisation, notamment en matière de vente en ligne. Parce que la vente en ligne met en oeuvre des flux transnationaux de données électroniques, le législateur français, inspiré par la Loi type de la CNUDCI de 1996 sur le commerce électronique, s'est prononcé pour la reconnaissance juridique de l'écrit électronique à travers la loi du 13 mars 2000. Cette loi exprime la force d'adaptation du droit français, qui avait reconnu l'obsolescence des principes classiques du droit de la preuve fondés sur la prééminence de l'écrit papier et de la signature manuscrite, face à l'informatisation des échanges. 411. Le législateur français a définitivement institué l'équivalence fonctionnelle entre signatures manuscrites et signatures électroniques. Le rôle de la signature électronique est désormais analogue à celui de la signature manuscrite. Elle doit garantir l'authenticité de l'identité de celui qui a effectué l'opération et l'intégrité du document échangé. La signature doit être exclusivement attachée à la personnalité de son auteur qui en a la totale maîtrise et rester l'expression de l'autonomie de sa volonté. Elle doit être l'instrument le plus sûr et le plus immédiat de l'identification de son auteur. Son caractère inimitable devrait garantir la sécurité des contrats de vente. 412. La signature électronique peut désormais conférer à un message électronique une valeur juridique certaine. L'admission de la signature en tant que mode légal de preuve par certaines législations occidentales semble bouleverser le formalisme de la pratique contractuelle. On sort désormais de la preuve d'un support et de la rigidité conceptuelle à laquelle elle peut renvoyer. 413. Avec la vente on line, nous sommes en présence d'une véritable mutation, qui révolutionne le monde contractuel. L'avenir de la vente en ligne, partant du commerce électronique, est subordonné à la mise en place d'un droit de la preuve réaliste, c'est-à-dire un droit qui tient compte des spécificités, sinon de la nature électronique de la transaction. C'est la raison pour laquelle il serait souhaitable que le législateur ivoirien, à l'instar de ses homologues occidentaux et à l'image de certains Etats africains tels que la Tunisie, le Cap-Vert et l'Afrique du Sud, procède à une réforme du droit de la preuve pour tenir compte des exigences des nouvelles technologies de l'information et de la communication285(*). Car il n'est pas évident que le juge ivoirien, confronté à la solution d'un litige posant une question de preuve de documents électroniques dans le cadre d'une vente en ligne, en l'absence de dispositions légales en la matière, se prononce pour leur crédibilité en termes de preuve. 414. Force est donc de constater que le juriste ivoirien est amputé sur Internet face à la vente en ligne. Il est alors urgent que le législateur, qui jusqu'à présent, regarde passivement le développement des transactions en ligne, partant de la vente en ligne, se saisisse de la question, car son impact sera important sur le développement économique au niveau national, mais aussi mondial. 415. En tout état de cause, la question de la réforme du droit de la preuve ne saurait rester longtemps ignorée, car avec les transactions en ligne, de plus en plus courantes, la fin du papier semble annoncée. 416. Parce qu'elle se noue dans un espace transnational, la vente en ligne, par cette dimension internationale, va nécessairement et inéluctablement poser des problèmes de droit international, spécialement de droit international privé. La relation commerciale, affectée d'un élément d'extranéité, soulève des préoccupations classiques de la matière. Il s'agit notamment de la détermination de la juridiction compétente, et du droit applicable au rapport en cause. En d'autres termes, les problèmes traditionnels de conflits de juridictions et de conflits de lois vont survenir, qu'il faudra régler. 417. Mais, on se rendra très vite à l'évidence que si les problèmes sont traditionnels, l'espace Internet apporte quelques facteurs de complication relativement à la détermination, notamment du lieu de la conclusion du contrat et celui de son exécution. Où situer ces lieux ? Même si quelques propositions ont été faites, se posant parfois comme des principes en la matière, il faut reconnaître qu'ils ne sont pas définitivement fixés, partant le débat reste toujours ouvert à de nouveaux apports. 418. Il a été également intéressant d'aborder la vente en ligne sous l'angle de sa preuve en droit international privé. La question de la preuve en droit international est délicate. L'examinant sous l'angle du droit applicable, nous avons pu constater que la matière présente diverses facettes qui rendent complexe son appréhension par une règle unique de conflit de lois. Plusieurs auteurs, parmi les plus célèbres tels le doyen BATIFFOL, André HUET, et récemment Eric FONGARO, n'ont pas manqué de relever le caractère hybride des règles de preuve qui, parce qu'ayant une nature processuelle pour les unes, ressortissent à la lex fori, et une nature substantielle pour les autres, ressortissent ou à la lex loci actus ou à la lex causae. Là également, les efforts de la doctrine pour dégager des règles claires à l'enrichissement de solutions jurisprudentielles stables sont importants. 419. Les problèmes liés à la vente en ligne ne s'arrêtent pas à la preuve de la vente. Cette première étape en cache d'autres tous aussi fondamentaux : la sécurité des paiements en ligne et la responsabilité civile sur Internet notamment. A l'instar de la preuve, ces questions méritent également que des réflexions leurs soient consacrées. Dans tous les cas, les questions abondent sur le réseau. 420. Aux termes de cette étude, certes, nous avons fait une tentative dans un monde nouveau, interactif, en perpétuel mouvement. Des questions ont été examinées et des pistes de solutions ont été proposées. Nous avons mis en relief les particularités techniques du nouvel environnement, ce qui nous a permis de déceler les difficultés qu'il peut imprimer à l'institution contractuelle. Mais, nous n'avions pas la prétention d'épuiser le débat ; c'est une entreprise, d'ailleurs, quasiment impossible. Et nous achevons cette étude -avec le curieux sentiment de la commencer, car en vérité nous la commençons- en nous rendant à l'évidence suivante : Internet n'a pas finit d'interroger le juriste ! * 283Il est évident que l'Africain, naturellement communicatif, utilise énormément les outils de communication. Aujourd'hui, le transfert progressif des activités culturelles et commerciales vers les NTIC ne trouve qu'une seule résistance en Afrique : le manque de moyens. * 284Conseil d'Etat, Internet et les réseaux numériques, op. cit., p. 12. * 285 On pourrait, par exemple, par l'insertion de nouvelles dispositions, dans le Code civil et dans le Code de procédure civile, commerciale et administrative, admettre et organiser l'administration des procédés de preuve en adéquation avec la vente en ligne, et avec les échanges électroniques en général. |
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