La preuve sur internet: le cas de la vente en ligne( Télécharger le fichier original )par Kouadio Pacôme FIENI Université de Cocody-Abidjan - D.E.A. 2006 |
II : Le critère du lieu de la conclusion du contrat de vente261. En matière contractuelle, le principe est que le contrat est formé au lieu où se trouvent les parties et au moment où leurs volontés se rencontrent. La mise en oeuvre du principe ainsi dégagé pose un problème dès lors que le contrat est conclu en ligne. 262. Pour un tel contrat, conclu sur un site web marchand, on pourra retenir comme lieu de conclusion, soit le lieu où est hébergé le site, soit le lieu de résidence du vendeur, soit le domicile de l'acheteur. Dans le même ordre d'idée, on pourra réputer formé un contrat conclu par courrier électronique au lieu de l'émission de l'accord, ou au lieu de réception202(*). 263. Théorie de l'acceptation et théorie de l'émission. La doctrine, sur la question de la détermination du lieu de la conclusion du contrat, a largement débattu. Deux théories ont dominé les débats en la matière. Il s'agit de la théorie de l'émission de l'acceptation ou théorie de l'acceptation203(*), et la théorie de la réception. 264. Sans reprendre, ici, les développements de ces théories, on peut simplement retenir qu'en dernière analyse, la théorie de la réception semble être la solution consacrée sur la question du lieu de la conclusion du contrat204(*). On considère qu'il y a réception dès que la manifestation de volonté parvient dans la sphère de puissance du pollicitant. Le contrat est conclu au lieu et au moment où le message d'acceptation parvient dans le système de l'offrant. 265. Interprétation. Rappelons que les normes de droit international privé renvoient fréquemment aux notions de domicile, de résidence, d'établissement, de siège de l'activité, de siège de l'administration des personnes morales205(*). Le problème d'interprétation de ces notions, dans l'univers de l'Internet, s'était posé. On s'est demandé si le lieu où est localisé l'ordinateur dans lequel sont exécutées les informations transmises à travers Internet, ou bien si le site Internet, peuvent en eux-mêmes compléter les notions de « résidence, d'établissement ou, celle d'une succursale, d'une agence ou de tout autre siège de l'activité »206(*). 266. Solutions envisagées. En théorie comme en pratique, deux possibilités existent : ou on fait application de la loi du pays où l'information, lato sensu, stockée sur un serveur est ainsi à la disposition du public, ou on applique celle du ou des pays où le public a accès à cette information. 267. Sollicitation active de l'internaute. Si l'on penche pour la première solution, on observera, par exemple, que le contrat est réputé conclu en France, s'agissant d'une information ou une offre de produits ou de services mise à la disposition du public ivoirien, malien, sénégalais ou autres, sur un serveur situé en France. 268. L'ensemble des droits positifs, aussi bien aux Etats-Unis qu'au Pays-Bas, en Allemagne qu'en France, semble s'orienter vers cette solution, tenant compte des principes généraux du droit et de la spécificité de l'outil Internet. Les informations sont, en principe, soumises à la loi du seul pays dans lequel elles sont mises à la disposition des internautes (loi du serveur), dès lors que cette mise à disposition se fait d'une manière passive, qui implique que l'internaute sollicite activement lesdites informations. On considère alors qu'il se déplace vers le serveur afin d'en récupérer l'information de son choix, et ainsi conclure la convention au lieu où est localisé ce serveur207(*). 269. Réception d'informations sans sollicitation préalable. Par contre, dans l'hypothèse où les informations sont envoyées activement, sans que l'internaute auquel elles sont destinées les sollicite préalablement, dans des pays autres que celui où est situé le serveur, on considère généralement que ces informations tombent alors sous le coup des lois du pays de réception, la convention étant alors réputée conclue dans ce pays. 270. Le cyberspace comme élément d'extranéité ? Par ailleurs, toujours dans le cadre de la localisation du contrat conclu en ligne, on a agité la question de savoir si le cyberspace pouvait être considéré comme un élément d'extranéité ; autrement dit, peut-on considérer le cyberspace comme un lieu à part, dont la situation géographique ne se trouve pas sur les espaces terrestres, et donc étranger aux internautes ? 271. Théorie GUILLEMARD. Sur cette question, Sylvette GILLEMARD, dans sa thèse208(*), estime que le cyberspace est une localisation, et que ce faisant, il constitue un élément d'extranéité. Elle pense, qu'il ne faut pas considérer le cyberspace exclusivement comme un moyen de communication, au même titre que le téléphone par exemple. Le faire, c'est, selon elle, maintenir le cadre exclusivement terrestre, et donc géographique des relations entre les contractants. 272. Contre cette conception, elle pense qu'il faut reconnaître au cyberspace une qualité spatiale, et ainsi admettre l'existence d'une entité qui se situe en dehors de la planète et de son découpage territorial. A ce titre, cette entité est « étrangère » à la terre et à ses territoires. L'espace virtuel est « étranger », et l'activité qui s'y déroule est en dehors des territoires nationaux qui forment la terre. 273. Illustration. Le raisonnement de Sylvette GUILLEMARD conduit à considérer que tout contrat conclu sur Internet est nécessairement un contrat international. Ainsi, si deux commerçants ivoiriens, domiciliés sur le territoire de la Côte d'Ivoire, concluent un contrat sur Internet, ce contrat ne peut être national, mais nécessairement international du fait de l'élément étranger que constitue l'espace virtuel Internet. Ce qui amène alors à déclencher le raisonnement de droit international privé. 274. Critique de la théorie GUILLEMARD. Certes, l'analyse est séduisante, mais nous devons prendre du recul par rapport à celle-ci. En effet, suivre la logique de l'auteur serait admettre que les parties à un contrat conclu en ligne, même situées sur le même territoire et ayant la même nationalité, puissent élire le droit applicable à leur relation en vertu de la mise en oeuvre de la loi d'autonomie. Ainsi, dans l'exemple des deux commerçants ivoiriens domiciliés en Côte d'Ivoire et contractant sur Internet, ils pourraient décider de soumettre leur contrat à la loi d'un Etat autre que l'Etat ivoirien. Cette situation peut conduire à échapper, de façon artificielle à la loi qui, raisonnablement, devrait régir la convention. Cela n'est pas souhaitable. C'est pourquoi, il convient de relativiser l'analyse de Sylvette GUILLEMARD. 275. Risques et litiges éventuels. A l'instar de tout contrat, la vente en ligne comporte des risques juridiques susceptibles d'engager les parties dans un contentieux. Ces risques peuvent se développer dans cet univers nouveau, immatériel, que représente Internet. L'acheteur ne peut alors, matériellement, toucher, goûter, tester l'objet ou le service convoité préalablement à son engagement ; il le découvre après coup, c'est-à-dire, au moment de la livraison. 276. Dans ces conditions, le bien acheté peut ne pas être conforme à ses attentes, à la description figurant sur le site Internet du commerçant. Il peut y avoir également défaut de paiement de la part de l'acheteur. Les raisons de se plaindre ne manquent pas. Le litige né, il faudra le résoudre, soit par la voie extrajudiciaire, soit par la voie judiciaire. 277. Résolution extrajudiciaire du litige. S'agissant du règlement extrajudiciaire du litige, les parties peuvent convenir de ne pas recourir aux tribunaux étatiques, ceci compte tenu des avantages que présente l'alternative de la justice privée. Les motifs du recours à un mode alternatif de règlement des différends tiennent le plus souvent à un souci de discrétion, d'efficacité et de rapidité. 278. Les principaux modes de règlement extrajudiciaire des litiges sont au nombre de deux : l'arbitrage et la médiation209(*). De nombreux organismes ambitionnent de faciliter le recours à ces modes alternatifs. Plusieurs sites se proposent ainsi de résoudre en ligne les litiges210(*). 279. Recours à la résolution judiciaire. Mais les modes de résolution des litiges extrajudiciaires peuvent échouer. Il faudra alors recourir au règlement judiciaire. Sur la question, il faut observer que la plupart des règles nationales et internationales dégagent un principe commun. Il est unanimement posé que le tribunal du lieu du domicile, résidence ou établissement du défendeur, est compétent ; il s'ensuit que les tribunaux de l'Etat dans lequel celui-ci est établi sont compétents. 280. En somme, le régime de la compétence territoriale interne est étendu à la compétence internationale avec toutes ses implications. Il faut, en outre, ajouter la règle de la compétence fondée sur la nationalité, suivant laquelle les tribunaux ivoiriens sont compétents dès lors qu'un national ivoirien est partie au litige en qualité de demandeur ou de défendeur. 281. Les questions liées à la compétence internationale sont d'importance, car l'application de telle ou telle loi est souvent tributaire du tribunal saisi de l'affaire. Ceci dit, notre analyse ne s'inscrira pas dans la perspective de l'examen des conflits de juridictions211(*). 282. En effet, s'agissant du problème de la preuve de la vente en ligne, la question qui revêt une importance considérable est celle de la loi applicable à cette preuve. Ainsi, parmi les divers ordres juridiques auxquels est connectée la relation contractuelle en ligne, quel est celui qui sera appelé à régir la question de la preuve de la vente? * 202 Séverin COUTELLIER et Ludovic DURINDEL, « La loi applicable aux contrats conclus sur Internet », op. cit., p. 8. * 203 Selon la théorie de l'émission de l'acceptation, le contrat est formé au moment et au lieu où l'acceptation a été expédiée par l'acceptant. Aucune condition supplémentaire n'est exigée. * 204 Bien établie dans les communautés d'affaires, la théorie de la réception permet, d'une part, de former le contrat au lieu de celui qui initie l'entente et, d'autre part, de retarder le moment de la conclusion et ainsi de s'assurer que les contractants souhaitent réellement s'engager. Vincent GAUTRAIS, François JACQUOT, Pierre LEMYRE et alii, Le guide juridique du commerçant électronique, Paris, Litec, 2001, p. 93. * 205 V. art. 3 et 4 de la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles ; également l'art. 3 de la Convention de la Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels. * 206 Ugo DRAETTA, Internet et commerce électronique en droit international des affaires, op. cit., p. 25. * 207 Par exemple, considérons une société de vente en ligne, La Roxann, spécialisée dans la vente de logiciels de jeu de société, qui met son catalogue à la disposition du public sur Internet au moyen d'un serveur situé au Canada ; cette mise à disposition sera régie par les lois canadiennes, le Canada étant considéré comme le lieu de conclusion du contrat, lorsqu'un internaute situé au Ghana se connecte sur ce catalogue. Ce dernier est alors dans la même situation que le citoyen ghanéen qui prend l'avion pour consulter et acheter les jeux contenus dans le catalogue de La Roxann dans une boutique québécoise. * 208 Sylvette GUILLEMARD, « Le droit international privé face au contrat de vente cyberspatial », op. cit., p. 471 et s. * 209 Comme personne ne peut être contraint à opter pour cette modalité de règlement des litiges, il faut donc un accord dans ce sens. En cas d'arbitrage, l'arbitre reçoit des parties la mission de vider les différends qui les opposent par une sentence arbitrale qui s'impose à elles. En revanche, dans la médiation, la mission du médiateur n'est pas aussi autoritaire car son rôle consiste seulement à rechercher avec les parties les termes d'un accord amiable supprimant la difficulté qui les oppose. * 210 En même temps qu'il fait naître de nouveaux types de contentieux, le développement de la pratique du réseau et des activités commerciales sur Internet suscite une évolution des méthodes de traitement des litiges. Les sites qui proposent en ligne un règlement des litiges sont en plein essor. Certains d'entre eux se sont spécialisés dans un seul mode de règlement, dans un seul type de litige. Les sites de résolution en ligne des litiges utilisent la technique de la médiation ou de l'arbitrage selon le cas, ou les deux. L'un des premiers centres dédiés à la résolution en ligne des litiges fut le cyber-tribunal, centre de résolution des conflits cybernétiques qui avait été présenté en juin 1998 par le Centre de recherche en Droit public de l'Université de Montréal. L'activité du cyber-tribunal a pris fin pour faire place à un nouveau projet de résolution en ligne des différends dénommé « eResolution ». En France, une association privée créée en 1997 et dénommée « IRIS » propose des services en ligne pour la résolution des petits conflits liés à l'utilisation de l'Internet. Aux Etats-Unis, l' « on line omtuds office » propose un service de médiation en ligne. * 211 L'expression de « conflit de juridictions », une expression « profondément installée dans le langage des internationalistes » (Pierre MAYER et Vincent HEUZÉ, Droit international privé, 9e éd., Paris, Montchrestien, 2007, p. 197, n° 275), est bien entendu dérivée de celle de « conflit de lois ». On s'accorde pourtant à dire que l'utilisation de l'expression de conflit de juridictions est impropre parce qu'elle laisse entendre qu'il y a un conflit à résoudre, alors qu'il s'agit simplement pour une juridiction donnée de statuer sur sa propre compétence, à l'exclusion de celles des autres juridictions étatiques (v. Bernard AUDIT, Droit international privé, 4e éd., Paris, Economica, 2006, p. 274, n° 326). Les règles concernant la compétence juridictionnelle sont, on le sait, des règles unilatérales. En raison du principe de souveraineté des États, elles ne permettent nullement d'octroyer compétence à des juridictions étrangères. Elles doivent se limiter à déterminer si le tribunal étatique est compétent ou pas, de son seul point de vue, pour régler le litige dont il est saisi. Cela signifie que le juge saisi n'a pas le pouvoir d'attribuer compétence à un juge étranger, sauf à enfreindre l'indépendance qui caractérise les États souverains. En d'autres termes, si le tribunal s'estime incompétent après avoir été saisi d'un litige international, il ne peut renvoyer les parties à soumettre leur cause devant le tribunal étatique qu'il juge mieux placé pour statuer (V. par exemple : « en effet, le Code de procédure civile n'a pour but que de régler les modes de procéder devant les tribunaux français et de fixer la compétence entre les différents tribunaux français qui peuvent être appelés à connaître d'une contestation ; (...) les lois françaises de procédure ne peuvent avoir pour effet d'attribuer juridiction à des tribunaux étrangers », Trib. Civ. Tours, 10 janvier 1896, LETTS et autres, confirmé par Orléans, 18 novembre 1896, JDI 1897, pp. 328-329). En matière de compétence juridictionnelle, le respect de la souveraineté et de l'indépendance des États est donc strictement observé. Chaque État est libre de déterminer le contentieux international susceptible d'être porté devant ses juridictions. À moins qu'il n'ait conclu un accord international à ce propos, il n'est pas tenu de coopérer avec les autres États pour qu'ensemble ils se répartissent le règlement des litiges internationaux. Le chef de compétence ne sert donc qu'à indiquer si le juge saisi est compétent, de son seul point de vue étatique. |
|