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Le temps de l'insertion des jeunes, une considération rituelle et temporelle

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par James MASY
Université de Nantes - Master 2 - Sciences de l'éducation 2008
  

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Conclusion de la première partie

Pour E. Durkheim, nous l'avons vu, « la vie sociale dérive d'une double source, la similitude des consciences et la division du travail social. L'individu est socialisé dans le premier cas, parce que, n'ayant pas d'individualité propre, il se confond, ainsi que ses semblables, au sein d'un même type collectif ; dans le second, parce que, tout en ayant une physionomie et une activité personnelles qui le distinguent des autres, il dépend d'eux dans la mesure même où il s'en distingue, et par conséquent de la société qui résulte de leur union. »1 Mais aujourd'hui la machine sociale cumule les pannes, la dernière en date semblant être celle de l'ascenseur. L'État-providence paraît obsolète, tant au niveau philosophique que technique. Selon P. Rosanvallon « la conception traditionnelle des droits sociaux n'est plus vraiment opératoire pour répondre aux dédis nouveaux de l'exclusion. »2 La solidarité organique s'entend dans une société où le groupe est l'entité première et le collectif répond au besoin individuel dans la mesure où ce dernier est aléatoire et souvent ponctuel. En revanche dans une société où le salariat se précarise, où les transformations sociales au travail comme hors travail vont « dans le sens d'une plus grande flexibilité »3, où le chômage devient une situation stable, où l'individualisme se gorge d'égoïsme social, c'est la spécificité des situations personnelles qui ouvrent droit à une éventuelle solidarité bien souvent consentie contre engagement et entendue comme assistance. Tandis que l'absence de droit nourrit l'assistantialisation en soumettant les individus à un degré de dépendance de plus en plus important, les « ayants-droit » sont peu à peu transformés en assistés par des évolutions juridico-administratives et stigmatisés par le ressentiment collectif. L'enquête BVA est à ce titre élogieuse, les personnes interrogées se montrent intransigeantes quant aux contreparties du RMI, elles sont 98 % à considérer que cela suppose de rechercher un emploi, 96% à estimer qu'il est nécessaire d'accepter un stage en formation, et 93% pour qui il semble nécessaire de faire des efforts pour s'insérer

1 Durkheim. E ; De la division du travail social: livre I ; op.cit. ; p. 179

2 Pierre Rosanvallon ; La nouvelle question sociale ; op.cit. ; p. 197

3 Robert Castel ; la métamorphose de la question sociale ; op.cit ; p. 757

socialement.1 Cela n'est pas sans rappeler P. Rosanvallon qui, terminant « La nouvelle question sociale » en 1995, argue « qu'il n'est plus possible de parler abstraitement des droits sociaux [et qu'il faut donc] de plus en plus expérimenter des façons inédites de lier les droits avec des contreparties positives. »2 R. Castel concluait dans le même temps son ouvrage « Les métamorphoses de la question sociale » en affirmant qu' « il n'y a pas de cohésion sociale sans protection sociale »3. Non que nous ne souhaitions opposer ces deux grands auteurs, il apparaît pour autant substantiel de mettre en débat ces deux citations.

L'un affirme le pourquoi du droit social et pose la question du « tous » donc du « qui » que subodore la cohésion sociale, l'autre induit le « comment » en répondant par la « contrepartie positive ». Qu'est-ce que cela peut signifier ? Est-ce s'inspirer du workfare de Bill Clinton, qui tenta aux États-Unis une moralisation des bénéficiaires des minimas sociaux en leur imputant la responsabilité de leur situation et en indexant leurs droits à des obligations ? Selon P. Rosanvallon, cette « contrepartie positive » est avant tout une contractualisation qui tend à rendre son utilité sociale à l'individu. Il voit en cette obligation positive plus que le droit de vivre, le droit à vivre en société. Selon lui c'est donc la contractualisation qui rend à la personne son utilité sociale. E. Durkheim argumentait dans son chapitre sur la « solidarité contractuelle » que tout n'était pas contractuel dans le contrat. Pour lui « les seuls engagements qui méritent ce nom sont ceux qui ont été voulus par les individus et qui n'ont pas d'autre origine que cette libre volonté. Inversement, toute obligation qui n'a pas été mutuellement consentie n'a rien de contractuel. Or, partout où le contrat existe, il est soumis à une réglementation qui est l'oeuvre de la société et non celle des particuliers, et qui devient toujours plus volumineuse et plus compliquée. »4 Si l'auteur traite ici du contrat au sens économico-salarial, son argumentaire se tient tout aussi bien dans le cadre du contrat qui lie aujourd'hui l'« assisté » à l'État. En continuant dans ce dévoiement de la pensée du sociologue, la notion de libre volonté suppose indépendance et autonomie, qui sont les deux mamelles de l'individualisme de la fin du XVIIIè siècle. Consentir que le contrat est un accord entre « êtres indépendants et autonomes »5, suggère que ces deux qualités ne puissent être remises en cause. La déstabilisation qu'engendre la précarité n'agirait donc pas sur la capacité à construire son individualité, souvent afférée au statut professionnel, ou à subvenir à ses besoins vitaux et primaires. Or comme nous l'avons vu plus haut les droits

1 Enquête BVA ; Synthèse des principaux enseignements de l'étude : Opinion des Français sur la santé, la protection sociale, la précarité, la famille et la solidarité ; juin 2006 ; p. 40

2 Pierre Rosanvallon ; La nouvelle question sociale ; op.cit. ; p. 222

3 Robert Castel ; la métamorphose de la question sociale ; op.cit ; p. 769

4 Emile Durkheim ; De la division du travail social: livre I ; op.cit. ; p. 168

5 Louis Dumont, cité in Robert Castel ; la métamorphose de la question sociale ; op.cit ; p. 754

sociaux sont subordonnés à « la spécificité de situations personnelles »1. La solidarité est toujours concédée sous forme dite assurancielle à ceux et celles qui ont pour cela cotisé assez, mais les assurés d'hier deviennent peu à peu les assistés d'aujourd'hui. Ceux et celles qui ont cru en l'avenir, jusqu'à emprunter des sommes importantes pour améliorer leur quotidien, se sont heurtés à une nouvelle réalité qui s'apparente à la définition qu'avait Aragon du présent : « Ce perpétuel mourir, qu'on appelle, faute de mieux, le présent. »

La plongée dans les abysses de la désaffiliation a quantité d'origines, de causes, mais suit un processus emprunt, des politiques économiques à l'oeuvre sur le marché du travail et de l'individualisme croissant qui lui est intimement lié par le biais du libéralisme. Ne pas participer de ce grand mouvement socio-économique peut apparaître excluant pour certains ou salvateurs pour d'autres. Quoi qu'il en soit, désormais l'aide est contractualisée, tournée vers l'utilité sociale, centrée sur l'emploi. Et dans cette contractualisation le projet pèse comme une épée de Damoclès au dessus des têtes des contractants qui n'ont pas la capacité au moment présent de se tourner vers l'avenir.

Selon Jean-Pierre Boutinet le projet nécessite au moins deux niveaux d'abstraction ; un premier qu'est celui du temps chronologique et du temps vécu qui se réfère à l'existence ; et un second qu'est l'espace de vie et l'espace topologique, qui se réfère à l'habitat. Tous deux sont fortement imbriqués, puisque chacun est nécessaire à la définition de l'autre. Nous pouvons de la même façon nous référer aux travaux de Joseph Nuttin sur la motivation qui considère le projet comme « un besoin qui, au niveau du fonctionnement cognitif, cherche son issue dans une relation avec le monde et revêt une forme comportementale concrète : une structure moyen-fin. »2 Nous connaissons autrement cette double transaction dans l'utilisation quotidienne des coordonnées spatio-temporelles. Là ou je me trouvais hier. La banalité du propos peut faire sourire le lecteur, mais c'est faire fi des études psychologiques qui affirment l'inégalité existante entre les individus devant l'empan temporel. Il est souvent évoqué le cas du prisonnier asilaire ou pénitentiaire, de l'enfant ou du vieillard dépendant, du réfugié, du déporté, du SDF... Mais notre volonté ne s'inscrit pas dans une recherche de la fonction des temporalités dans l'insertion mais de la fonction de l'insertion dans les temporalités.

Nous pouvons à ce sujet nous poser la question de la place des institutions dans le rapport au temps. L'individualisation ne procède t-elle pas aussi d'une division sociale du rapport au temps ? Entre la société des agendas et celle du rituel cosmogonique, n'est-ce qu'une distinction temporelle du vécu ? N'y aurait-il pas là un enjeu dans la construction

1 Robert Castel ; la métamorphose de la question sociale ; op.cit ; p. 768

2 Joseph Nuttin ; Théorie de la motivation humaine ; PUF ; Paris ; 1980 ; p. 275

du futur dont la jeunesse n'a cessé d'être le porte drapeau depuis plus de deux siècles ? L'action publique en témoigne. Des patronages militants du XVIIIè siècle aux politiques de paix sociale du XXè siècle, les dispositifs en faveur des jeunes se chevauchent. Même s'« il s'agit toujours ou presque de les insérer dans la société, d'éviter qu'ils ne perdent toute idée du fonctionnement social, d'empêcher que la situation difficile dans laquelle se trouve une partie des jeunes générations ne se transforme en mouvement contestataire généralisé et incontrôlable. »1 On retrouve dans cette citation les éléments prééminents de l'intérêt d'une action en direction des jeunes : un certain contrôle du temps. La société ne saurait se couper de la base de son futur: la jeunesse, condition sine qua non de la construction du futur

S'il est aujourd'hui un projet qui se distingue des autres c'est le projet politique, dans toute sa splendeur, qui englobe le tout social et s'inscrit dans une volonté de transformation, de rupture. Nous avons pu voir dans cette première partie combien ce projet reposait sur le travail dont l'obtention semble être l'avènement final de leur intégration. Mais peut-on assurer que l'insertion soit dénuée de temporalités pour les jeunes qui vivent ce processus ? Considérant une éventuelle temporalité, doit-on convenir d'une échéance qui caractériserait l'état final de l'insertion ? Si comme le dit J.P. Boutinet, la valorisation du projet suit une certaine déritualisation de la vie, peut-on affirmer qu'il devient un palliatif à cette dernière?

Alors que nous proposons une vision de l'insertion comme processus, nous convenons que l'état recherché est déjà une projection en ce que sa construction nécessite une perception de l'avenir possible. Nous comprenons que toutes ces questions ouvrent un débat plus important qu'est la place de la construction des perceptions temporelles dans les situations de vie, au sens de l'existence. Mais nous nous limiterons à une période assez trouble qu'est l'insertion des jeunes sortis du système scolaire.

1 Patricia Loncle ; L'action publique malgré les jeunes ; l'harmattan ; Paris ; 2003 ; p. 202

DEUXIEME PARTIE

Un cadre théorique

...

La jeunesse ,

une marge pour construire l'avenir

Chapitre Un
Juvenis, jeune, jeunesse
Une catégorie sociale et un processus

De l'enfant roi à l'adulte inachevé, qu'est il advenu de l'espace de transition qui jouxte l'enfance et la vie d'adulte ? Des dictons populaires, « il faut bien que jeunesse se passe », « il fait sa crise d'adolescence » à l'institution Ministère de la Jeunesse et des Sports; cet espace se nomme et s'octroie dans le même temps une identité sociale et un concept psychologique.

L'adolescence ou la jeunesse ? Cette délimitation, plus qu'un stigmate, focalise les préoccupations de ce nouveau siècle dans les sociétés post-modernes. Une situation de crise dans la construction psychologique et un conflit de génération dans la trajectoire de socialisation.

Mais comment aujourd'hui peut-on déterminer la jeunesse ? Elle fait partie de l'enfance, on parle du jeune-enfant ; mais aussi de celle de l'adulte quand on évoque le jeune-adulte. Elle est tantôt adjectif et se trouve corrélée à la durée de vie, tantôt nominative d'un individu investi de qualités et de défauts. Elle est le groupe identifié dans l'adjectif. Elle est un regret, une nostalgie pour ceux et celles qui voient apparaître dans le miroir la première ride.

Elle est cet entre-deux, cette crise, cette rupture, cette marge et cette appartenance, cette mue, ce heurt, cette outrecuidance et ce futur qui dort.

Elle n'est qu'un mot, comme le disait Pierre Bourdieu !

1. La justice se plie aux lois biologiques et sociales

La loi n'use pas des notions d'adolescence ou de jeunesse et préfère conserver la notion de statut légal qui oppose majeur à mineur et adulte à enfant. L'âge de la "majorité", le moment où une personne est considérée comme capable d'exercer ses droits sans l'aide de ses parents ou de ses tuteurs, a varié suivant les époques, suivant le sexe des individus concernés et suivant sa finalité (capacité à se marier, capacité à jouir de ses droits civiques et politiques...). Il a été admis jusqu'à la Révolution que la pleine capacité civile n'était atteinte qu'à 25 ans. Révolution qui fût favorable aux jeunes générations puisqu'elle abaissa l'âge de la majorité à 21 ans. En 1974 elle est de nouveau abaissée, à 18 ans.

Bien qu'elle ne conçoive que deux statuts civiques, la loi porte pourtant un regard affûté sur la notion d'enfance. D'abord en lui octroyant des droits par le biais d'une convention internationale, ensuite parce qu'elle s'appuie sur l'âge de l'état civil pour lui conférer des degrés d'autonomie que seule la science associée à la philosophie avaient pu faire valoir. Une des dernières avancées en la matière est sans aucun doute la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Elle précise que « le médecin peut se dispenser d'obtenir le consentement du ou des titulaires de l'autorité parentale sur les décisions à prendre lorsque le traitement ou l'intervention s'impose pour sauvegarder la santé d'une personne mineure, dans le cas où cette dernière s'oppose expressément à la consultation du ou des titulaires de l'autorité parentale afin de garder le secret sur son état de santé »1.

Dans le cas présent la loi retient la notion de maturité en investissant les intéressés du « droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d'une manière adaptée soit à leur degré de maturité s'agissant des mineurs... »2. Dans le cas de la sexualité, on parle de consentement sexuel à quinze ans bien que le terme ne soit pas ainsi formulé puisque cette notion de consentement n'est que suggérée à la lecture des textes concernant les atteintes sexuelles sans violence sur mineur .

Dans les deux cas présentés ci-dessus, on peut apprécier l'attachement de la loi à des degrés tacites de responsabilité. Dans le premier exemple, on peut lire la question de l'avortement ou plus simplement de contraception. Ainsi l'État reconnaît que « dans certaines conditions, l'enfant devient maître d'une partie de lui même »3. Dans cette reconnaissance, nous noterons le déplacement qui s'opère sur la majorité. Il ne s'agit plus d'une majorité civique dont la fonction calquait le rite de passage. Mais d'un passage qui

1 Loi du 04 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité des systèmes de santé. Art. L. 1111-5

2 Ibid. Art. L. 1111-1

3 François de Singly, Enfants, adultes, vers une égalité des statuts ?, Paris, Universalis, coll. le tour du sujet, 2004, p. 9

s'étend de l'infans qui ne parle pas, à l'adultus parvenu au terme de sa croissance et qui peut se reproduire.

2. La vie est un long fleuve...

Le passage dont nous parlons plus haut marque selon Gérard Mauger « une double opposition jeune/enfant et jeune/adulte et l'opposition jeune/vieux »1. La première correspond à une trajectoire biographique, une étape de la vie; tandis que la seconde évoque un enjeu de pouvoir. Lorsque sont opposés deux groupes socialement inscrits dans des âges biologiques, on tend à homogénéiser ceux-ci selon des caractères communs. On concède à la jeunesse, la fougue, la vigueur mais aussi « la crédulité, l'ingénuité, la naïveté »2, pendant que le statut d'adulte permet au niveau légal d'être responsable et représente socialement une fin en soi. L'adulte a cessé de croître, il peut maintenant faire face à ses responsabilités, décider, il est mûr et indépendant, il a pour lui la sagesse du temps vécu. Mais ces classes d'âge sont basées sur « une donnée biologique socialement manipulée et manipulable »3. On a d'ailleurs vu la place de l'enfant comme le statut de l'adulte considérablement évoluer durant ces cent dernières années.

2.1. Où chaque berge est un statut

Le Personnalisme comme l'Éducation Nouvelle avaient en leur temps insisté sur la nécessité de considération de l'enfant. Pour François de Singly, ce sont bien les pédagogies nouvelles qui, au coeur des années soixante, ont progressivement amené les adultes et les institutions à prendre en considération l'enfant et son droit à s'exprimer. Cette « individualisation » de l'enfant, qui désigne le fait de le définir en référence à lui même, lui concède droit et pouvoir, et contraste avec les effets de socialisation. Dans les sociétés post-modernes les parents ne sont plus les agents socialisateurs qui se doivent de transmettre à la génération à venir les acquis des générations passées. A présent « ils sont des individus chargés de décrypter, d'interpréter les besoins des enfants afin d'aider ces derniers à devenir eux-mêmes. Ils doivent aussi mettre en place un environnement

1 Gérard Mauger, La jeunesse dans les âges de la vie. Une définition préalable, Temporalistes n°11, mai 1989; p; 7-11, p. 7

2 Termes de la définition de jeunes dans l'encyclopédie culturelle, op.cit.

3 Pierre Bourdieu, La jeunesse n'est qu'un mot, Entretien avec Anne Marie Métaillé, in Les jeunes et le premier emploi, Paris, Associations de âges, 1984, Ed. 1992, p. 521

susceptible de les aider dans cette ambition » 1. Il s'agit là non d'une nouvelle forme de socialisation mais d'un nouvel idéal. La socialisation doit favoriser l'autonomie en tant que « construction personnelle » du monde, et tendre vers l'émancipation des liens de dépendance. « L'Éducation ne consiste pas à seulement intérioriser les règles de vie sociale et morale, elle doit avant tout faire attention à développer la nature spécifique de chaque personne. » 2. Elle constitue donc une projection dans un futur non-loin dans lequel le sujet ne sera plus soumis aux forces attractives du groupe et sera ainsi capable de raisonner en terme individuel. A la lecture de F.de Singly il nous semble que l'enfant soit d'avantage le membre d'une génération que le « fils ou la fille de ».

Par ailleurs Jean Pierre Boutinet dans « L'immaturité de l'âge adulte », nous interpelle sur la transformation de « l'âge adulte » en « statut d'adulte ». C'est selon lui l'avènement de la société post-industrielle et son lot de précarités qui transforme « l'âge adulte de perspective en problème »3. Nous reprendrons ici l'adulte en tant que fait social tel que l'auteur le définit dans la société post-industrielle française, c'est à dire « le fait d'être actif, engendrant et éduquant des enfants, en attente d'insertion ou inséré, produisant des biens richesses ou services »4. Pourtant il note aussi une certaine fluctuation de l'entrée dans la vie adulte. Comme nous l'avons vu plus haut, la majorité civique n'est pas liée aux autres forme de majorité qu'elle soit sexuelle, identitaire, ou financière. Pour signifier ce « brouillage » des classes d'âge, terme qu'il emprunte à l'anthropologue et ancien économiste Georges Balandier, il s'appuie sur les travaux du psychanalyste Cornelius Castoriadis qui suggère qu'aujourd'hui « l'adulte découvre qu'il devient orphelin de deux grandes valeurs régulatrices de la modernité, l'autonomie de soi et la maîtrise rationnelle de son environnement »5. Il en veut pour preuve l'infantilisation de l'adulte face à des périodes de précarité de plus en plus nombreuses ou encore sa difficulté à appréhender les nouvelles technologies d'information et de communication tandis que l'enfant se les accapare. Dans ce bouleversement de la maîtrise de l'environnement, l'enfant prend une part considérable, il est même dans certain cas celui qui apprendra à ses parents. N'y a t-il pas là une situation de dépendance inversée ?

François de Singly note l'autonomie grandissante des enfants. Elle grandit en ce sens que les espaces symboliques de construction de l'identité de l'enfant se développent.

1 François de Singly, Le statut de l'enfant dans la famille contemporaine, in François de Singly, Enfants, adultes, vers une égalité des statuts ?, op.cit., p. 20

2 François de Singly, Le statut de l'enfant dans la famille contemporaine, in François de Singly, Enfants, adultes, vers une égalité des statuts ?, op.cit., p. 21, 22

3 Jean Boutinet, L'immaturité de la vie adulte, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, p. 11

4 Ibid., p 22

5 Ibid., p. 57

La chambre de l'enfant devient son univers géré par des règles souvent moins strictes que dans le reste de la maison. Le marché de la musique amène de plus en plus de produits à destination des enfants dés le plus jeune âge, avec des chansons à répétition (depuis Jordy à Ilona) qui rassasient l'appétit de « encore » à partir duquel l'enfant se construit. Cette distinction des espaces comme le développement du marché de la musique pour enfants sont des repères qui nous permettent de mesurer combien l'enfant accède au fil du temps à une autonomie grandissante.

Nous avons vu dans la première partie comment le milieu familial avait été infiltré par les institutions. La Caisse d'Allocation Familiale s'est depuis longtemps immiscée dans cette cellule, elle semble y être investie aujourd'hui plus qu'avant. La notion « d'accompagnement à la fonction parentale »1 est clairement énoncée. Derrière cet intitulé on retrouve des fonctions de gestion de budget ou encore des conseils éducatifs. Dans certaines situations les parents sont dépossédés de leur fonction primaire, il leur est demandé d'agir en éducation d'une façon spécifique qui renvoie à un modèle d'individualisation tel que F. de Singly le définit. Il est intéressant de croiser cette théorie avec l'autorité parentale.

Il n'est plus si aisé d'assumer sa parentalité, nous l'avons vu avec F. de Singly et l'enquête menée pour l'Union Nationale des Associations Familiales (UNAF) le vérifie à travers l'autorité. Bien que 80%2 des personnes interrogées estiment ne pas avoir de mal à se faire obéir de leur enfant , il existe une réelle différence liée à l'âge et au genre de l'enfant mais surtout au milieu social des parents puisque « le sentiment de réussir à se faire obéir augmente avec le niveau de revenu et le niveau d'études. Logiquement, l'autorité parentale s'exerce aujourd'hui plus difficilement dans les milieux les moins favorisés. De même, le milieu social est très clivant dans la forme que prend généralement l'autorité parentale : plus les niveaux de revenu et d'études sont bas, plus on note une tendance à conseiller l'enfant mais à le laisser agir comme il veut. A l'inverse, plus le milieu social est favorisé, plus les pères et les mères disent à leur enfant ce qu'il doit faire mais après en avoir discuté avec lui »3.

Nous pouvons constater que quelque soit le milieu social, il est marqué par la communication et dans une certaine mesure par la négociation. On comprend alors que certains parents se trouvent démunis dans la discussion, il y a là des enjeux de pouvoir qui

1 Caisse National d'Allocation Familiale, Portrait de notre institution, www.cnaf.fr, consulté le 04 juin 2006

2 Les parents et l'autorité parentale, enquête Ipsos / UNAF, février 2001, TOP FAMILLE Magazine, juin 2001

3 Les parents et l'autorité parentale, enquête Ipsos / UNAF, op. cit.

assurent à l'enfant une place dans la discussion et lui confère donc un degré d'autonomie dont la structure n'est pas sans rappeler l'action de la CAF dans certaines cellules familiales. Nous rejoignons là l'analyse de J.P Boutinet quant à la précarité de l'âge adulte dans notre société. Mais « le changement de statut des parents et des enfants ne modifie pas les spécificités des enfants et des adultes; elle complique incontestablement la relation pédagogique » 1.

2.2. Et au milieu coule la jeunesse

L'autonomie grandissante de l'enfant ne vient pourtant pas alléger son degré de dépendance. Olivier Galland2 parle dans ses travaux d'un allongement de la jeunesse qu'il attribue à une scolarité de plus en plus longue et une difficulté croissante à trouver un emploi stable qui conduisent les enfants à rester vivre chez leurs parents, ce qui implique une certaine dépendance. La jeunesse dure mais quand commence t-elle ?

Talcott Parsons3, pensait déjà à son époque que la prolongation de la scolarité pour beaucoup de jeunes constituerait une phase de socialisation à elle seule en ce sens que l'étudiant universitaire connaîtrait « un état prolongé de soumission à l'autorité des professeurs et d'éducateurs ce qui maintient une situation analogue à celle de la famille » 4. Une théorie qu'il a calqué sur les stades freudiens du développement, aussi nous ne saurions évincer la psychologie ou la psychanalyse de notre propos et sommes conscients de l'importance de la puberté, des transformations qu'elle entraîne et des modifications physiologiques qu'elle provoque en bouleversant l'image du corps. Mais nous ne souhaitons pas en faire notre grille de lecture unique comme c'est souvent le cas. « Les problèmes spécifiques qui se posent à l'adolescence et qui prennent la forme du conflit intergénérationnel, du mal-aise, de la recherche de son identité propre (...) retraduisent, extériorisent les difficultés de la succession sociale et culturelle entre générations »5.

L'adolescence par sa dimension biologique est propre à chaque sujet mais participe aussi de la reconnaissance en tant que catégorie sociale ou encore classe d'âge en référence à Pierre Bourdieu pour qui « la classification par âge (mais aussi par sexe et bien sûr par classe...) revient toujours à imposer des limites et à produire un ordre auquel chacun doit se tenir , dans lequel chacun doit se tenir à sa place »6. Car comme l'enfance, l'adolescence

1 François de Singly, Le statut de l'enfant dans la famille contemporaine, in François de Singly, Enfants, adultes, vers une égalité des statuts ?, op.cit., p. 30

2 Olivier Galland, Sociologie de la jeunesse, op. cit.

3 Talcott Parsons, in Claude Dubar, La socialisation, op. cit

4 François de Singly, Le statut de l'enfant dans la famille contemporaine, in François de Singly, Enfants, adultes, vers une égalité des statuts ?, op.cit., p. 30

5 François de Singly, Les jeunes, ces étranges familiers, in Les jeunes et les autres, Annick Percheron, Centre de Recherche Interdisciplinaire de Vaucresson, 1986, p. 27

6 Pierre Bourdieu, La jeunesse n'est qu'un mot, Entretien avec Anne Marie Métaillé, in Les jeunes et le

est rappelons-le une période de socialisation qui s'en distingue par une forte transformation du sujet, il paraît peut-être difficile de parler d'une seule adolescence tant les calendriers biologiques sont individuels (même si certaines études tendent à démontrer des variables sociales à ceux-ci). Toutefois sa généralisation dans les sociétés post-industrielles a amené une catégorisation sociale qui « coïncide avec le développement de poussées pulsionnelles, la poussée du ça, le développement d'une sexualité nouvelle marquée par la sexualisation des rôles masculins et féminins »1. En conséquence s'il n'existe qu'une adolescence, elle ne peut-être que psycho-physiologique. Nous emploierons donc l'adolescence pour marquer l'espace temps physiologique qu'est la transformation du corps et de ce qu'il procède de développement psychologique.

La massification de l'enseignement a t-elle participé de la massification du concept d'adolescence ou de celui de jeunesse? L'état de soumission dont parle T. Parsonns ou encore ce statut cette mise hors jeu symbolique dont parle P. Bourdieu, cette dépendance dont parle O. Galland ont favorisé un statut mi-enfant, mi-adulte, ni enfant, ni adulte. Ce statut s'est développé au fur et à mesure de la massification scolaire mais peut-on encore parler d'adolescence ?

Si l'on reprend la notion d'autonomie grandissante de F. de Singly, elle est décuplée par le temps qui passe. Plus un enfant vieilli plus il est autonome mais aussi plus les parents lui laisse de l'autonomie. Nous en voulons pour exemple l'enquête de l'UNAF qui montre que « les enfants de plus de 14 ans sont plus libres de leurs choix que les plus jeunes »2. L'accès à un degré d'autonomie supérieur amène à un monde extra-familial toujours plus riche et donc à « un temps de découverte et de liberté, d'expérimentation de soi, de formation personnelle où tout est possible »3. Cette phase est pleine de premières fois aux allures de rites initiatiques. Ces premières expériences, fussent-elles délictueuses avec l'alcool et la drogue, professionnelles par les jobs d'été, ou encore sexuelles, sont des pratiques dont « le commencement marque le processus de socialisation et tend à donner un nouveau statut dans le groupe de pairs » 4.

Il ne s'agit pas pour autant d'une succession d'étapes qui marqueraient la biographie du passage d'un âge à un autre, telle que les rites l'ont été. Au contraire cette

premier emploi, pp. 520-530

1 Jean Claude Richez, L'image de soi chez les jeunes, éléments pour un état de la question, in L'image des jeunes, Dossier documentaire sur la jeunesse, n°13, mai 2005.

2 Les parents et l'autorité parentale, enquête Ipsos / UNAF, op.cit.

3 Jean Claude Richez, L'image de soi chez les jeunes, éléments pour un état de la question, in L'image des jeunes, op.cit.

4 Marc Bessin, Les transformations des rites de la jeunesse, in Rites et seuils, passages et continuités, op.cit., p. 18

phase de socialisation « doublée d'un des effets fondamentaux de l'école qui est la manipulation des aspirations »1 maintient les jeunes dans un état constant de dépendance.

Du fait de l'allongement des études on assiste à un brouillage des aspirations. Tandis qu'hier les études étaient réservées et réservaient une condition sociale future très stable, aujourd'hui en même temps que chacun semble pouvoir aspirer à devenir professeur, avocat ou médecin, les titres décernés par l'école dévaluent du fait de leur accessibilité à des gens « sans valeur sociale ». Ou plus exactement ce que nous en dit S. Beaud est que « (...) la situation actuelle du premier cycle universitaire est le produit d'une histoire sociale qui le place au bas de la hiérarchie des filières post-bac. »2 Le but n'est pas ici d'étayer un propos sur l'école mais de favoriser la compréhension du phénomène d'allongement de la jeunesse doublé d'une dévalorisation du premier cycle des études supérieures, le tout opérant tel une désorientation sociale.

L'idée de O. Galland selon laquelle les jeunes « construisent progressivement, au gré d'expériences diverses leur statut et leur rôle d'adulte » sous l'égide parentale ou étatique selon les pays d'Europe, et que ceux-ci parachèveraient l'accès au statut d'adulte par la naissance du premier enfant, est largement corroborée par l'accroissement du nombre d'années entre la fin des études et le premier enfant entre les générations de 1955 à 1975. De la même façon la diminution du nombre d'années entre la fin des études et le premier logement marque une recherche d'indépendance de plus en plus précoce. C'est là une caractéristique que l'on ne retrouve pas dans le public que nous étudions. En effet deux tiers des jeunes usagers du réseau ML/PAIO vivent chez leurs parents. S'il est évident que la jeunesse est « un double processus d'insertion : sur le marché du travail et sur le marché matrimonial. »3, nous nous limiterons pour cette recherche au premier processus. Dans la suite de notre propos, nous utiliserons donc le concept de jeunesse pour évoquer l'étape de la vie sociale dans laquelle s'opère selon G. Mauger un « "double passage" : de l'école à la vie professionnelle, de la famille d'origine à la famille de procréation »4. Si l'on peut considérer que la jeunesse ne soit qu'un mot car comme le dit Pierre Bourdieu : « on est toujours le jeune ou le vieux de quelqu'un », on ne peut pas non plus l'identifier par sa classe sociale, mais « par son origine et un avenir de classe »5.

Comme le fait remarquer J.P. Boutinet, il existe nombre de métaphores pour évoquer la vie, on y trouve la course du soleil ou encore les quatre saisons de l'année

1 Pierre Bourdieu, La jeunesse n'est qu'un mot, op.cit., p. 524

2 Stéphane Beaud, 80% au bac... et après ?, La découverte : Paris, 2003, p. 310

3 Gérard Mauger, Jeunesse, insertion et condition juvénile, in Bernard Charlot, Dominique Glasman, Les jeunes, l'insertion, l'emploi, Paris, PUF, 1999, p. 55

4 Gérard Mauger, La jeunesse dans les âges de la vie. Une définition préalable, op.cit., p. 10

5 Ibid.

toutes fondées sur l'idée d'un cycle que mesure le temps. Nous retiendrons pour notre part celle qu'évoquent les titres de ce chapitre et finirons donc sur cette citation d'un poète indien : « La rivière n'atteindrait jamais la mer si les berges ne la contraignaient »1. Bien que très poétique cette métaphore omet les affluents et confluents qui jonchent le parcours sinueux de la rivière, ils sont chacun des passages d'un état à un autre, du ruisseau à la rivière, de la rivière au fleuve avant d'atteindre la mer.

Nous l'avons vu au travers de quelques auteurs que la catégorisation n'est pas chose aisée dans une société post-industrielle. Elle l'est d'autant moins que les espaces sociaux sont instables. La jeunesse est un espace temps comme chaque âge de la vie, faite de représentations qui s'appuient sur un calendrier que viennent renforcer l'âge de l'état civil et l'anniversaire. Par ailleurs, il convient de rappeler que la notion de jeunesse n'existe qu'en rapport à celle d'adulte, qui dans la tourmente de l'évolution des structures socioéconomiques abandonnent « le modèle d'entrée dans une vie adulte associée (...) à la stabilité professionnelle et conjugale »2 au profit de ce qui était l'apanage de la jeunesse : la transition, la mobilité. En somme, nous ne saurions définir un début et une fin si ce n'est la naissance et la mort, en aucun cas nous ne saurions avancer l'idée d'une frontière qui suive l'insertion.

1 Rabindranâth Tagore, Souvenirs d'enfance, Paris, Gallimard, 1998

2 Cécile Van de Velde, Devenir adulte, Paris, PUF, 2008, p; 2

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon