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Le temps de l'insertion des jeunes, une considération rituelle et temporelle

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par James MASY
Université de Nantes - Master 2 - Sciences de l'éducation 2008
  

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Chapitre Deux

Le rite et quelques auteurs en perspective

Initiations, rituels, rites de passage, de puberté, rites profanes, rites contemporains, actes d'institution, techniques sociales symboliques... voici une liste non exhaustive des termes tirés des travaux issues des sciences sociales, de l'histoire des religions ou encore de la psychologie. Cette déclinaison atteste de l'intérêt que les scientifiques ont porté à ce fait social dont les premières traces remontent au paléolithique. A travers cela les sociétés se sont appliquées à maîtriser le temps, et les humains à transmettre leurs valeurs fussentelles sacrées ou profanes.

Il aura fallu près de deux siècles d'observation aux ethnologues et autres anthropologues ou folkloristes pour qu'aujourd'hui les sciences sociales tentent d'analyser les sociétés post-modernes au travers du prisme des rites et rituels. Émile Durkheim, Arnold Van Gennep, Marcel Mauss, Mircéa Eliade, furent sans aucun doute les précurseurs de la conceptualisation du rite. Aussi notre socle théorique ne pourra pas éviter ces auteurs et leurs théories sur la question. Mais ce socle ne saurait être complet sans évoquer l'évolution du concept. A ce titre nous nous appuierons sur les actes du colloque de Neuchâtel de 1981 : Les rites de passage aujourd'hui, ainsi que sur les travaux de Martine Segalen, Joël Gendreau, Claude Rivière ou encore Victor W. Turner.

Il eut fallu une encyclopédie pour confronter les théories et leurs auteurs, c'est pourquoi nous aborderons le sujet en toute modestie et dans le but de permettre au lecteur une représentation plus précise de ce concept qui nous permettra plus en aval de mesurer la réalité de l'insertion à travers le prisme des rites

1. Ritus: la quête originelle

Rite est emprunté au latin ritus qui signifie ordre prescrit, c'est d'ailleurs l'Église qui en France, intègre le rit au XVè siècle pour évoquer le degré de solennité. Au XVIè siècle il est étendu, à l'ensemble des religions et désigne « l'ensemble des cérémonies du culte en usage dans une communauté »1, puis au geste particulier prescrit par une religion à partir du XIXè siècle . Le linguiste E.Benveniste note que ce terme fut associé à des formes grecques et indo-européennes évoquant le rapport entre les dieux et les hommes, et renvoie l'étymologie à une analyse cosmogonique. Mais ce sont les sciences qui ont réellement participé à la croisade du sens, avec toutefois quelques limites à l'universalisation.

L'éthologue J.Huxley propose de baser son étude sur la comparaison des comportements rituels chez l'homme et chez l'animal. Cette théorie qui argue d'une formalisation du comportement étroitement liée à la sélection naturelle laisse apparaître des failles que le sociologue Claude Rivière met à nu dans son ouvrage Rites profanes. D'accord sur des analogies ponctuelles entre les deux espèces, il est cependant en désaccord sur la généralisation de cette théorie nous expliquant que « les rites sont des comportements sporadiques qui caractérisent seulement certains membres, alors que le rite animal répétitif caractérise toute une espèce »2. Nous citerons en exemple les parades amoureuses et les luttes de pouvoir entre les mâles et laisserons le soin au lecteur de mesurer le niveau d'analogie.

La théorie de R. Girard, diplômé d'histoire et professeur de lecture comparée à l'université de Stanford (USA) qui se veut pluridisciplinaire fait du mimétisme l'explication unique et originelle du rite. L'homme est selon R.Girard désireux de ce que l'autre désire déjà, c'est ce désir d'appropriation de l'autre et la frustration inhérente, qui génèrent la violence. Aussi est-il nécessaire d'y remédier par le sacré sur lequel on opère un transfert collectif. Le sacrifice humain au dieu, en vue de calmer sa colère, image tout à fait le propos de l'auteur. Claude Rivière qui adhère par ailleurs à quelques exposés de l'auteur réaffirme la singularité de chaque rite et exprime son désaccord par un laconisme sans ambiguïté : « Pas plus que toute violence n'est sacrée, le sacré n'est réductible à la violence »3.

Si toutefois le rite est un acte que l'on note ancestral et universel, nous ne pouvons cependant pas assurer aujourd'hui d'une origine unique. La parcimonie de notre quête

1 Dictionnaire culturel, op.cit.

2 Claude Rivière, Rites profanes, Paris, Puff, coll.Sociologie d'aujourd'hui, 1995, p. 42

3 Claude Rivière, Rites profanes, op.cit., p. 38

laisse entendre que l'origine n'est pas au centre du débat . C'est donc du côté de la fonction que nous devons nous pencher. Et c'est dans les classifications que nous retrouvons ce point de vue.

2. Essai de catégorisation systématique du rite.

Les premières classifications groupaient les cérémonies selon leurs mécanismes mais les isolaient de leurs milieux et de l'ensemble rituel qu'elles pouvaient représenter. L'école animiste distingua en son temps, au travers des travaux des anthropologues britanniques E. Burnett Tylor et J. George Frazer, les deux premières catégories de rites (animiste et sympathique). Tandis qu'en opposition à cette dernière naissait l'école dynamiste qui amena deux nouvelles catégories (dynamiste et contagionniste). Cette dernière fit valoir quatre types du rite : direct ou indirect et positif ou négatif. Cette catégorisation admet deux théories et quatre techniques qui fonctionnent par opposition mais dont la faible valeur heuristique fut vivement démontrée. Par exemple à travers les rites de naissance dans le sociétés totémiques qui sont animistes puisque la puissance est personnifiée dans un totem, sympathiques au regard de l'animal qui est la référence, positifs parce qu'il s'agit surtout d'une représentation des qualités de l'animal (courage, ruse, sagesse...), indirects parce que l'enfant développera cette personnalité plus tard. Un même rite peut donc être assimilé à plusieurs catégories.

Alors que J.G. Frazer présentait ces rites comme la preuve de l'irrationalité des populations indigènes, É. Durkheim sociologue et anthropologue français, s'attachait à démontrer le lien entre les religions et les structures sociales dont elles sont issues. Selon lui « les rites les plus barbares ou les plus bizarres, les mythes les plus étranges traduisent quelque besoin humain, quelque aspect de la vie soit individuelle, soit sociale »1. Il démontra tout d'abord que le profane n'avait pas d'existence sans le sacré, comme l'impur n'existe pas sans le pur. Puis à partir d'études sur différents peuples il dégagea un classement en trois catégories, qui organise les temps sociaux dans une alternance profane, sacrée. Les cultes négatifs ou « tabous » marquent souvent le passage d'un état à un autre, une limite entre le profane et le sacré. Les cultes positifs, souvent festifs, sont périodiques et marquent le temps de la vie religieuse et par là même le temps social. Les rites piaculaires relatifs à l'expiation sont une obligation rituelle face à une situation (blessures corporelles face à la sécheresse). Ces célébrations sont, pour le sociologue, surtout un espace temps collectif auquel les individualités s'abandonnent. « Les rites sont avant tout,

1 Emile Durkheim, cité in Martine Segalem, Rites et rituels contemporains, Paris, Nathan, 2002, p. 10

les moyens par lesquels le groupe social se réaffirme périodiquement »1, ils tendent à supplanter l'être naturel inscrit dans l'égoïsme du quotidien et à valoriser l'être social qui unifie le groupe. Parti du sacré qu'est le rite, il est arrivé au social qu'est sa fonction.

Pour A. Van Gennep, ethnologue, « c'est le fait même de vivre qui nécessite les passages successifs d'une société spéciale à une autre et d'une situation sociale à une autre »2. Le temps est au centre de cette citation. Le fait même de vivre évoque le processus vital, de la naissance à la mort, et vient corroborer l'idée d'E. Campi, selon laquelle « la nécessité de certains rites va de pair avec la nécessité de contrôler le temps »3.

Lors de ses recherches A. Van Gennep note l'analogie entre les cérémonies de passage cosmique (lune, saison ...) et celles de passage humain (naissance, puberté sociale, mariage, mort ...). Il dégage dans un premier temps la notion de séquence cérémonielle, entendant par là l'ensemble des actes d'un rituel considéré chronologiquement. Il distingue ensuite une catégorie spéciale les rites de passage qu'il décompose en trois catégories que sont : les rites de séparation ou préliminaires, les rites de marge ou liminaires et enfin les rites d'agrégation ou post-liminaires.

Cette catégorisation est accueillie avec réticence par l'école de « L'année sociologique » dont M. Mauss se fait le porte parole en y publiant un article assimilant A. Van Gennep à J.G. Frazer et sa théorie à du « vagabondage historique et ethnographique »4. En effet M. Mauss considère le rite comme « une action traditionnelle efficace »5. Il cite en exemple l'absorption de substances toxiques qui plongent le corps et l'esprit dans un état second et qui peut être vue comme un rite lorsque l'état atteint est imputé au sacré. Le rite est selon lui est une pratique symbolique à laquelle on adhère par croyance de résultats. Pourtant plus qu'une catégorisation visant à répertorier des rites identiques chez différents peuples, A. Van Gennep réagit face à un procédé qui extrait les rites de leur séquence et les considère individuellement, « leur ôtant ainsi leur raison d'être principale et leur situation logique dans l'ensemble des mécanismes »6. Ce débat nous amène à concevoir le rite hors de sa fonction sacré et davantage dans sa fonction sociale.

1 Emile Durkheim, cité in Martine Segalem, Rites et rituels contemporains, op. Cit., p. 10

2 Arnold van Gennep, Les rites de passage, Paris, Picard, 1981, p.4

3 Edith Campi, Rite et maitrise du temps, in Pierre Centlivres et Jacques Hainard, Les rites de passage aujourd'hui, Lausanne, l'Age d'Homme, 1986, p. 131

4 Marcel Mauss, cité in Martine Segalem, Rites et rituels contemporains, op. cit., p. 33

5 Martine Segalem, Rites et rituels contemporains, op. cit., p. 16

6 Arnold van Gennep, Les rites de passage, op.cit., p. 127

3. L'initiation, une deuxième naissance

De sorte de mieux comprendre le schéma des rites de passage et de ses généralités mais aussi de nourrir notre recherche, nous imagerons ce dernier par la notion, encore utilisée, de rites de puberté dont A. Van Gennep se fit vif contestataire. En effet, il insiste sur le fait que la puberté peut être physiologique ou sociale. Ainsi chez les jeunes filles la puberté se traduit au niveau du corps par sa transformation et surtout par les menstruations qui sont totalement individuelles et varient selon les ethnies1. Il est par ailleurs convenu institutionnellement que la puberté physique ne puisse être un élément déterminant dans l'accès à la puberté sociale. Le mariage ou le droit à la sexualité semblent en être les exemples type, puisque chaque culture et chaque pays les conçoivent à des âges différents. Chez les jeunes garçons,la puberté physiologique est d'autant plus difficile à consacrer qu'elle n'est pas aussi nette que les menstruations de la jeune fille. Le seul point de repère pourrait être la première émission de sperme encore que celle-ci puisse passer inaperçue lorsqu'il s'agit de mucus. Aussi est il souvent convenu que la puberté physique masculine soit délimitée en son commencement par l'apparition de poils pubiens ou encore de barbe. L'auteur préfère donc la notion de rites d'initiation à celle de rites de puberté. Nous lui emprunterons ce terme pour la suite de notre recherche bien que l'initiation ne soit pas réservé aux classes d'âge puisqu'on retrouve cette notion pour les sociétés secrètes ou encore les confréries professionnelles, etc. Il est intéressant de constater que l'initiation (du latin initiatio) est tout d'abord associée à la religion puisqu'elle définit jusqu'au XVIIIè siècle, l'admission aux mystères, la transmission de savoirs ésotériques.

3.1. Souffrir pour mourir et renaître pour devenir

Pendant longtemps les mutilations furent le stéréotype de la représentation des rites d'initiation, elles le sont encore aujourd'hui (circoncision, excision...). Toutefois elles ne sont qu'une partie du rite de passage qui confère à l'enfant sa nouvelle place, fusse t-elle d'adolescent ou d'adulte. Attendu que nombre de monographies sur ces rites, non mixtes pour une grande partie, sont issues d'observations menées par des chercheurs masculins, les études sur les rites féminins sont donc limitées et peu nombreuses. Nous nous attarderons donc sur les études plus approfondies des rites masculins collectifs que sont la circoncision et la subincision ainsi que les mises en scène qui les entourent, qui comme nous le verrons sont les éléments essentiels de l'initiation.

M. Eliade, historien des religions, associe la circoncision à un thème mystico-rituel

1 Brière de Colmont et Aran cité in Arnold Van Gennep, Les rites de passage, op.cit., p. 96

qui suggère une deuxième naissance. L'enfant est d'abord tué par des « Êtres mythiques » puis ressuscité par eux mais changé à l'état d'un homme nouveau. La souffrance de la circoncision symbolise la mort initiatique, c'est à dire la mort à la condition profane. La résurrection est symbolisée par le changement corporel et donc l'accès au sacré par l'aptitude à la procréation (la connaissance du « grand mystère »). Selon M. Eliade « être introduit à la vie sexuelle équivaut pour le novice, à participer à la sacralité du monde et de l'existence humaine »1. A. Van Gennep voit en les rites d'initiation usant d'une mutilation la séparation du monde asexué et l'agrégation au monde sexuel. Il voit ainsi dans chaque sorte de mutilation (subincision, scarification ...) une différenciation symbolisant l'agrégation définitive de l'individu. Cependant, il en dénie le rapport avec la procréation puisque l'âge de la mutilation peut aller du 7ème jour à la 20 ème année, que sa pratique ne corrobore pas la connaissance physiologique du corps et de la procréation et enfin qu'elle diminue le plus souvent le désir sexuel du mutilé ou de la mutilée par manque de sensibilité (circoncision, excision...). M. Eliade distingue, quant à lui, les mutilations et confère à la subincision deux sens. Un premier qui voit en cette mutilation, le symbole de l'androgénie qui incarne la totalité et donc la perfection, puis un second sens, tiré des explications de l'anthropologue F. Ashley Montagu (1905-1999) qui voit en cette mutilation l'imitation de la femme, par la possibilité donnée à l'homme d'éliminer son « mauvais sang ». En somme le novice « sort de ces mutilations sanguinaires radicalement régénéré (...) ces opérations trouvent leur explication et leur justification sur le plan religieux, car l'idée de régénération est une idée religieuse »2. Pour A. Van Gennep l'explication est plus simple. Le corps est un simple morceau de bois que chacun taille à son idée. Les peuples ont agit sur les parties du corps qui dépassent et sont donc plus voyantes. L'idée de l'ethnologue est séduisante mais ne peut s'appliquer aussi généralement que son schéma. Le clitoris, dont l'ablation est un rite de passage reconnu, ne dépasse pas ou peu pour qu'on ne lui concède la place d'organe dépassant.

Dans certains cas, comme chez les Kurnai tribu d'Australie étudiée par l'anthropologue A-W Howitt, la cérémonie ne comporte aucune violence. L'initiation est faite de tabous alimentaires (rites négatifs), de transmissions du sacré par la représentation dramatique de l'histoire du commencement et de la séparation définitive du monde maternel symbolisé par le rejet de la mère (rite préliminaire ou de séparation). S'ensuit une période variant de 5 à 7 mois de retraite dans la brousse plus ou moins accompagnée par leurs tuteurs, (rite liminaire ou de marge). Dans ce cas précis, il s'agit surtout d'une

1 Mircea Eliade, Initiations, rites, sociétés secrètes, Paris, Gallimard, 1959, p. 67

2 Ibid., p. 73

instruction religieuse, sociale et morale qui fera des novices ceux qui savent (rite postliminaire ou d'agrégation).

Cependant l'initiation peut comporter une phase dramatique beaucoup plus prononcée, ainsi qu'un renforcement du secret et nombre d'épreuves physiques vécues au nom de la divinité. Les novices sont souvent soumis à des interdictions en tout genre comme chez les Wiradjuri, l'interdiction de se coucher avant que la voie lactée ne se soit tout à fait dévoilée dans le ciel. M. Eliade suggère que de ne pas dormir dépasse le simple effort physique que représente la fatigue, il est avant tout la preuve de la force spirituelle, de la présence au monde, de la conscience, de la responsabilité. Chez les Yamanas de la terre de feu (Australie) ou dans tribus amérindiennes de Californie occidentale (Amérique du nord), on interdit aux novices de boire et de manger durant les trois premiers jours. Cette interdiction peut être levée au fur et à mesure de l'accès du néophyte aux connaissances religieuses de l'origine des aliments. Le mutisme du novice est un des interdits omniprésents dans ces cérémonies, il renforce le symbole du nouveau-né qui ne sait ni manger tout seul, ni parler mais qui grandit et accède donc à un domaine de possibles de plus en plus large.

Toutes ces épreuves ont, pour but selon M. Eliade, de préparer à une existence difficile, mais ont aussi une fonction religieuse très complexe. L'ensemble de ces exercices ascétiques amène progressivement le novice à la méditation. Le néophyte est tout à la fois préparé à assumer ses responsabilités d'adulte et éveillé spirituellement. Cette introduction à la culture de l'esprit implique la mort de la condition profane, celle de l'enfance, et la renaissance au sein des initiés, de ceux qui peuvent savoir. D'après A. Van Gennep ces rites négatifs assurent un affaiblissement tant physique que mental destiné à faire perdre toute mémoire de sa vie enfantine au novice, et accentuent le symbolisme de la mort. Ce n'est qu'une fois mort à sa condition profane qu'il sera initié au travers de rites positifs lui inculquant l'histoire sacrée de la tribu. Il pourra ainsi renaître à la condition « d'homme instruit, conscient des devoirs qui lui incombent en sa qualité de membre de la communauté »1

Ainsi les deux auteurs sont sur ce point en accord. Le rite d'initiation est un passage du profane au sacré ou de celui qui ne sait pas à celui qui sait. Or la nature du savoir est essentiellement portée sur l'histoire de la tribu, laquelle se rapporte au « continuum temporel irréversible : passé-présent-futur »2. Cette irréversibilité du temps qui passe

1 A-W. Howitt, cité in Arnold van Gennep, Les rites de passage, op.cit., p.109

2 Edith Campi, Rite et maitrise du temps, in Pierre Centlivres et Jacques Hainard, Les rites de passage aujourd'hui, op.cit., p. 131

génère l'angoisse de la mort, aussi le rite s'inscrit-il dans une circularité temporaire agissant comme un écran face à l'avenir. En reconduisant l'espace temps du rêve, le groupe s'en trouve régénéré au travers des actes sociaux que représentent les rites. Mais c'est surtout la négation de l'avenir, par ce retour perpétuel à un point zéro d'un point de vue cosmogonique, qui permet de le nier et par là même « d'abolir le temps et surtout nier la mort »1. Aussi nous conviendrons à l'instar de Nicole Belmont que les rites de passage sont plus qu'une structuration du temps, ils en sont une manipulation symbolique visant à le maîtriser. Il est évident que dans nos sociétés contemporaines, ce n'est pas la négation de l'avenir mais au contraire sa préparation, comme nous le verrons plus loin, qui est au centre du modèle rituel.

3.2. Limbus ou limen, ne plus être au point de se soumettre

Avant d'approfondir la théorie du rite, il convient de noter l'analogie symbolique de la racine des termes usités par les chercheurs. Ainsi le stade de liminalité de Victor Turner ou encore le rite liminaire de A. Van Gennep trouvent très probablement leur origine dans « limes », signifiant en latin chemin et frontière, qui donna limites. Limbes qu'utilise V. Turner, est emprunté du latin limbus et définit dans la théologie catholique, « le Séjour de ceux qui sont morts sans avoir commis de pêché mortel effectif, mais n'ont pas été libérés du péché originel par le baptême »2 (les enfants morts sans baptême). De la même façon liminaire reprend cet entre-deux. Dans les deux cas il s'agit d'une limite qui marque l'identité de l'être avant de le rendre identique à sa communauté, fusse-t-elle sexuée ou magico-religieuse.

La théorie de A. Van Gennep est en ce sens pertinente qu'elle permit à nombre de chercheurs de les approfondir. V. Turner est de ceux là. Il introduit deux concepts nouveaux : le stade de liminalité (ou liminarité) et la communitas. Le stade de liminalité renvoie à la marge. Il est toutefois intéressant d'insister sur ce stade en reprenant les rites d'initiation qui comportent généralement une longue période liminaire. Nous avons vu que ces périodes de marge sont ponctuées par des tabous alimentaires ou autres interdictions qui affaiblissent le novice. Il est à noter que cet affaiblissement combine la mort et la naissance, pas encore mort et pas encore né. Dans cet entre-deux le néophyte n'a plus d'identité , il n'est plus l'enfant d'hier, n'est pas encore l'homme de demain. Il est soumis à l'autorité de ses tuteurs ou instructeurs qui peuvent à chaque instant lui infliger quelque punition que le novice acceptera sans dire mot. Comme le souligne J. Gendreau, « cette

1 Ibid., p. 132

2 Dictionnaire culturel, op.cit.

situation met en évidence le pouvoir de la communauté et surtout celui des anciens »1 sur les néophytes.

Mais c'est aussi cette situation qui permet aux individus du collectif de créer la communitas. Une forme de relations hors norme, « une communauté non structurée ou structurée de façon rudimentaire et relativement indifférenciée, ou même une communion d'individus égaux qui se soumettent ensemble à l'autorité générale des aînés rituels. »2 V. Turner l'oppose radicalement à la structure, puisqu'elle n'émerge que lorsque la structure n'existe pas. Elle est l'anti-structure sociale à l'opposé « d'une nature abstraite régie par la norme, institutionnalisée, de la structure sociale »3. La communitas est un espace d'immédiateté et de spontanéité qui ne saurait s'inscrire dans le temps, elle est intemporelle et éphémère, ni sacrée, ni profane, ni politique, ni religieuse. Elle est une communauté secrète dans le rite, elle est « un lieu humain essentiel et générique sans lequel il ne pourrait y avoir aucune société »4. V. Turner continuera ses travaux en les transposant à notre société et y repérera des phénomènes de nature liminoïde, il appuiera sa théorie sur l'adhésion des jeunes à des bandes (hippies, hell's angels, ...).

Il est évident que la liminalité, qu'elle permette ou non la communitas, est une manipulation effective du temps. C'est fondamentalement ce point de vue des rites qui nous intéresse. La question de n'être plus et pas encore, renvoie bien entendu à la question enfant-adulte mais surtout nous permet d'imaginer l'insertion des jeunes comme cette période liminaire durant laquelle il leur sera inculqué une nouvelle réalité à travers une épreuve qui n'a rien de mystique qu'est la recherche d'un emploi stable. Cette accession à un emploi stable agrègera le jeune à un nouveau groupe, il quittera la communitas pour se consacrer à sa nouvelle fonction. Nous sommes peut-être là à la limite de l'analogie, car si l'on dit qu'il y a rite de passage, il faut rappeler que cela suppose une situation obligatoire dotée d'un fort pouvoir social et un encadrement du processus qui permet la transmission d'un savoir. Nous retrouvons bien évidemment le fort pouvoir social par l'obligation de travail et donc d'insertion dans la société. Quant à l'encadrement, il est tout à fait concevable de le consentir aux personnes des institutions ou associations qui oeuvrent pour une insertion professionnelle. » Nous retrouvons d'ailleurs cette idée dans l'inculcation des habitus liés à l'entreprise dont parle B. Charlot5.

1 Joël Gendreau, L'adolescence et ses rites de passage, Rennes, Presse Universitaire de rennes, 1999, p.. 17

2 Victor Turner, Le phénomène rituel, Paris, PUF,1990, p. 97

3 Victor Turner, Le phénomène rituel, op.cit., p. 124

4 Ibid., p. 98

5 Bernard Charlot, Les jeunes, l'insertion, l'emploi, op. cit

4. Une vue contemporaine du rite : agrégation ou ségrégation ?

Nous avons largement évoqué ceux qui deviennent, mais qu'en est-il de ceux qui ne deviennent pas ? Le sociologue français Pierre Bourdieu qui concède à A. Van Gennep ou

V. Turner d'avoir décrit un phénomène social de grande importance sans avoir fait beaucoup plus, éclaire la fonctionnalité du rite par l'acte d'institution. Il reprend la notion de limite lui imputant un avant et un après, et lui confère une signification sociale, celle de séparer. La séparation, non comme espace temps mais comme « l'institution » d'une différence qui consacre ceux qui ont vécu le rite de ceux qui ne l'ont pas vécu et ne le vivront jamais. Par la circoncision l'enfant mâle est consacré homme mais est aussi différencié de la femme qui ne sera jamais circoncis. L'auteur emploie à ce titre la notion de « rites d'institution » entendant institution au sens d'instituer un héritier. Par cette notion, il suggère la légitimité à être. Il reprend ironiquement une expression du latin : tu enseignes la nage aux poissons, dont le sens est pour lui celui du rite. Il fait de l'homme biologique un homme social qui sera connu et reconnu homme, fut-il frêle et efféminé. C'est d'ailleurs ce qui le différenciera de la femme forte et masculine.

P. Bourdieu attribue une efficacité symbolique aux rites d'institution car ceux-ci agissent sur le réel en agissant la représentation de celui-ci. Cette efficacité tient en ce que l'investiture d'une personne « transforme la représentation que se font les autres agents et surtout peut-être les comportements qu'ils adoptent à son égard, et ensuite parce qu'elle transforme du même coup la représentation que la personne investie se fait d'elle même et les comportements qu'elle se croit tenue d'adopter pour se conformer à cette représentation »1. Le rite devient donc une autorité socialement reconnue qui impose à l'individu son identité, et les limites inhérentes. Nous reprendrons pour imager ce propos la métaphore de la muraille de Chine qu'utilise l'auteur. Elle a pour fonction d'empêcher les intrusions mais aussi les sorties. Nous comprenons alors l'aspect ségrégatif que sous-tend le rite dans le cas d'une investiture dans la bourgeoisie. Sans aller jusqu'au sacre du roi, l'héritage porte en lui les stigmates du rite d'institution, attendu que c'est, dans la mesure du possible, le mâle le plus vieux de la fratrie qui hérite. Il bénéficie d'un traitement particulier qui le distingue de ses frères et soeurs, par lequel il est encouragé à « vivre conformément à sa nature sociale »2 et dans le même temps découragé de transgresser les limites, de démissionner. L'acte d'institution devient l'inculcation de la morale et des sacrifices que nécessitent la conservation de privilèges. L'auteur rebondit sur

1 Pierre Bourdieu, Les rites comme acte d'institution, in Pierre Centilvres et Jacques Hainard, Les rites de passage aujourd'hui, op.cit., p. 208

2 Ibid., p. 210

l'inculcation pour mentionner la stratégie d'incorporation de cette différence sous forme d'habitus, en faisant ainsi une seconde nature qui récuse une éventuelle contre-nature que serait la démission.

C'est d'ailleurs ce qui explique, selon lui, le rôle des rites négatifs que sont les pratiques liées au corps (tabous, mutilations ...). « Tous les groupes confient au corps, traité comme une mémoire, leurs dépôts les plus précieux »1, de sorte que la souffrance devienne adhésion. Certaines expériences psychologiques démontrent que l'adhésion est d'autant plus forte que le rite initiatique est sévère. Là encore, l'inculcation est au centre du processus et réunit autant qu'elle sépare. Il est fréquent de noter dans les rites anciens l'apprentissage d'un code secret, propre à l'ensemble des initiés, qui les distingue des autres et les identifie à un groupe. L'analogie avec les signes extérieurs ou incorporés (vêtements, langage, démarche, goût...) qui distinguent les agents sociaux sont autant de rappels à l'ordre de leur identité, de leur position sociale.

N'avons nous pas en souvenirs cette image de la culotte courte qui retient une chemise au blanc éclatant sur les épaule de laquelle repose un pull en laine marine, le tout assorti de hautes chaussettes blanches enfermées par des souliers en cuir fraîchement cirés ? S'il est un fait que tous les enfants ne sont pas vêtus de la sorte, il est fort à parier que le lecteur de fera son analyse sociologique et mesurera dans le même temps la portée de la notion de « rappel à l'ordre ».

Si l'auteur ne concède aucune magie à ces actes d'institution, leur vouant plutôt une volonté de manipulation du futur par le passage d'un avant à un après, il leurs accorde cependant une fonction miraculeuse. Celle de parvenir « à faire croire aux individus consacrés qu'ils sont justifiés d'exister, que leur existence sert à quelque chose »2. Car sans cela le rite aurait-il autant de pouvoir ? Cela pose naturellement la question de la justification à vivre, de ceux et celles qui ne sont pas encore, ces inutiles à la société, ces assistés. Dans sa théorie l'auteur propose d'analyser les actes d'institution à travers la construction d'une représentation fondée sur la distinction entre les institués et les noninstitués. En cela nous nous approchons de la situation d'insertion qui demande aux insérables d'être insérable, c'est à dire de se construire une employabilité, jusqu'à des fois devoir changer de patronyme afin d'éviter toute discrimination.

1 Pierre Bourdieu, Les rites comme acte d'institution, in Pierre Centilvres et Jacques Hainard, Les rites de passage aujourd'hui, op.cit., p. 211

2 Pierre Bourdieu, Les rites comme acte d'institution, in Pierre Centilvres et Jacques Hainard, Les rites de passage aujourd'hui, op.cit., p. 214

5. Mais où sont nos rites d'antan ?

Nous ne saurions faire le tour de l'ensemble des rites ancestraux ou contemporains, sacrés ou profanes, de passage ou non, d'abord parce qu'ils ne sont pas directement concernés par notre recherche et enfin parce qu'il sont trop nombreux. Mais nous nous permettrons un court aparté qui permettra au lecteur d'apprécier la teneur de quelques travaux de ces dix dernières années en la matière. Nous n'évoquerons pas ici les rites ancestraux qui ont perduré à travers les siècles mais les actes sociaux qui ont été étudiés sous le prisme du rite. Que reste t-il de sacré dans les rites contemporains ? Le concept de rite doit-il être limité aux seuls faits magico-religieux ? Il est indubitable que les rites sacrés que sont ceux de la religion, restent l'origine constitutive de ces recherches. Toutefois nous ne pouvons nier un glissement vers le profane, à l'exemple du mariage qui reste entouré de nombreux rites mais dont l'essence s'est trouvée modifiée1. Nous ne porterons pas ici de regard sur les raisons de ce glissement et partirons du postulat que le rite contemporain est d'avantage un rite profane.

Pour les garçons, le rituel le plus important de ces deux derniers siècles est sans aucun doute le service militaire obligatoire de 1872 à 1996. Ce dernier assurait un passage, celui au statut d'homme ( « Après l'armée tu seras un homme mon fils ! »). Il comportait tous les stades du rite que A. Van Gennep avait schématisé. La conscription, qui durait un an et précédait le départ au service militaire , assurait le rite de séparation. Durant un an les conscrits tenaient une place sociale importante dans le village ou le quartier en l'organisation de certaines festivités. Cette année était souvent l'occasion de tester leur virilité au travers de beuveries, etc. Puis le conseil de révision, formé de docteurs de l'armée, proclamait l'aptitude au service. Cette aptitude assurait à l'instar des rites ancestraux, la masculinité sexuelle. L'incorporation en tant que rite de marge finissait le travail de transformation. On y retrouvait les épreuves ascétiques telles que la résistance physique, les châtiments corporels, etc qui créaient les communitas de V. Turner. « Après la quille, qui attestait une certaine désacralisation de la vie de caserne, le soldat retournait dans la ferme de ses parents où son père le recevait en adulte et lui remettait la charge d'une partie de son exploitation afin qu'il puisse devenir autonome et se marier »2. Plus qu'une généralisation, cette citation nous permet d'évaluer la fonction sociale du service militaire lorsqu'il était obligatoire.

Le bizutage, est le rite « polémique » par excellence. Aujourd'hui contesté au nom

1 Lire à ce sujet les différents ouvrages de Martine Segalem.

2 C.H Pradelles de la Tour, cité in Marc Bessin, Le recours au rite, le service militaire, in Rites et seuils, passages et continuités, L'Harmattan, Agora Débat Jeunesse n°28, 2002, p. 39

de la dignité humaine, il n'en est pas moins un rite de passage dont l'architecture reprend les principes fondamentaux. Il est à rappeler que le bizutage est surtout pratiqué dans les « grandes écoles ». Il consiste en une série d'épreuves qui « cherchent à tester l'endurance physique et psychologique du novice »1. On y retrouve les trois stades. La séparation est marquée par la perte de l'identité (déguisement, surnom...), la marge est produite par l'opposition des statuts nouveaux et anciens, ces derniers assurant le pouvoir symbolique (tribunal factice) durant la période liminaire. Ce n'est qu'à l'issue de certaines épreuves obligatoires (c'est souvent là que sont les déviances) que les novices sont agrégés au travers d'un bain purificateur. Loin de vouloir prendre partie dans le lourd débat du bizutage, il faut tout de même rappeler que ce bizutage, en plus de viser à transmettre un savoir nouveau (la tradition) de créer un groupe soudé, etc, est un élément auquel l'institution elle-même attache un intérêt particulier. Cette transmission de la tradition est une muraille de Chine derrière laquelle est inculqué le modèle d'Être que l'on souhaite voir sortir de cette institution.

Il en va de même avec les commémorations comme le 14 juillet qui réaffirment l'identité du groupe, son histoire; ou encore les catherinettes qui séparent les femmes mariées des femmes célibataires et encore l'entreprise qui véhicule son lot de rites et que dire de l'école. Bref, il serait aisé d'assurer que notre vite est ritualisée du berceau à la mort et que chaque changement de lieu, d'état, de situation sociale, de statut, d'âge est signifié par un rite de passage, car si chaque rite n'est pas un passage, selon A. Van Gennep chaque passage semble être un rite.

Ce chapitre nous a permis de traverser quelques unes de grandes théories sur les rites. Leurs divergences autant que leur complémentarité ne facilitent pas la lourde tache qui consiste à synthétiser près de deux siècles de recherche en une définition. Nous retenons donc celle de C. Rivière qui considère les rites « comme un ensemble de conduites individuelles ou collectives, relativement codifiées, ayant un support corporel (verbal, gestuel, postural), à caractère plus ou moins répétitif, à forte charge symbolique pour leurs acteurs et habituellement pour leurs témoins, fondées sur une adhésion mentale, éventuellement non conscientisée, à des valeurs relatives à des choix sociaux jugés importants, et dont l'efficacité attendue ne relève pas d'une logique purement empirique qui s'épuiserait dans l'instrumentalité technique du lien cause-effet. »2 Il nous faut modérer cette définition dans le cadre de notre recherche. Car si nous souhaitions lire l'insertion au regard de celle-ci, il nous faudrait alors postuler, que le « support corporel » a subi au

1 Martine Segalem, Rites rituels contemporains, op.cit., p. 49

2 Claude Rivière, Rites profanes, op.cit., p. 11

cours des siècles un déplacement inhérent au développement des sciences humaines (précisément la psychologie et la psychanalyse) et ce serait donc aujourd'hui la psyché qui porterait les marques de ces passages. Il n'est effectivement pas difficile d'imaginer ce déplacement, notamment dans le cadre de situations de marge qui sont souvent le théâtre de dépressions ou de grandes détresses. Cependant nous ne souhaitons pas avoir une lecture comportementale des « insérables » mais comprendre la structure sociale de ces espaces de transition et leurs effets. La définition de l'auteur est opérante dans le cadre d'une lecture anthropologique des rites mais ne peut convenir en tant que telle à notre recherche. Il est donc important de compléter cette définition par la fonction sociale des rites, car si ni le sens ni l'origine ne peuvent être définis une fois pour toute, leur fonction pourrait être, selon P. Bourdieu, la reconduction d'une institution, et la distinction des uns par rapport aux autres.

Il est évident que nous assistons aujourd'hui à un déclin de la ritualité en France et ailleurs, dont il nous faut chercher les causes, entre autre du côté de l'allongement de la jeunesse et l'affaiblissement de l'âge en tant que catégorie de classement mais aussi dans une réalité sociale qui « concourt à faire du mâle adulte un personnage moins prestigieux et moins unanimement respecté qu'autrefois »1. Mais cette déritualisation ne vaut pas dans tous les milieux qu'ils soient sociaux ou culturels comme nous l'avons vu avec P. Bourdieu. Par ailleurs comme nous l'avons déjà dit la déritualisation n'est pas un argument nécessaire pour en oublier l'essence, le sens, le dessein.

Quoiqu'il en soit, à ce niveau de notre recherche, positionner l'insertion comme une institution à reconduire, ou une institution de reconduction n'est pas envisageable. Bien évidemment au regard de notre définition de l'insertion, nous pourrions déjà assurer, qu'il existe des points communs mais que ceux-là ne déterminent en rien une tentative de ritualisation du passage à l'âge adulte. D'ailleurs le processus d'accès à l'âge adulte tel que nous l'avons explicité plus haut tient d'une représentation socio-constructiviste des âges, or dans les propos ci-dessus nous abordons les rites de façon très dialectique qui se réfèrent de près ou de loin à des visées plutôt fonctionnalistes. Il exista évidemment un modèle d'entrée dans la vie d'adulte dont la synchronie du franchissement des étapes induisait des seuils d'entrée et de sortie : « la fin des études, le départ de chez les parents, le début de la vie professionnelle, le mariage ou la vie en couple. »2 qui inscrivaient les phases dans des positions dialectiques. Le schéma que propose A. Van Gennep a pour lui de permettre d'identifier ces stades dont on sait qu'ils sont pour chacun des processus menant à celui

1 Olivier Galland, Sociologie de la jeunesse, op. cit., p; 78

2 Olivier Galland, Sociologie de la jeunesse, op. cit., p. 130

d'après. La structure du rite en trois phases permet d'illustrer les principaux passages qui jonchent la trajectoire biographique de chaque individu. L'enfance serait la période préliminaire (séparation) durant laquelle le sujet est séparé de sa mère, on retrouve à l'intérieur de cette période différents stades Freudiens déjà évoqués qui tendent vers la différenciation enfant/mère. La jeunesse serait la période liminaire (marge), un no man's land social à l'intérieur duquel se formerait des communitas (groupe de pairs), qui pourrait commencer par l'adolescence. L'âge adulte serait la période post-liminaire (agrégation), la reconnaissance à un statut universel. Les expressions de G. Mauger « ni enfant-ni adulte » ou encore « ni chômeur- ni salarié » nous renvoient très fortement cette idée de liminarité de la jeunesse et de l'insertion en ce qu'elle caractérise par le négatif une place sociale. « En outre, dans certains cas le schéma se dédouble : cela lorsque la marge est assez développée. »1 Nous pourrions dans ce cas considérer que la jeunesse soit une période liminaire qui comporte en son sein les trois phases du rite, la sortie du système scolaires en serait la séparation, le chômage la marge et l'insertion professionnelle l'agrégation. L'inculcation d'une subjectivité qui doive se centrer sur l'employabilité rend bien compte de cette obligation sociale de travailler, ce que du point de vue des rites nous appellerions la nécessaire agrégation au groupe des travailleurs sous risque d'exclusion de la collectivité.

Dans cette modeste revue des rites la tentative de manipulation du temps retient vivement notre attention. L'idée paraît d'un prime abord fort simple. Dans le rite traditionnel on reconduit le passé en instruisant les jeunes générations pour s'assurer d'un continuum social. Dans une vision plus contemporaine, on parlera d'effet de socialisation assurant toujours la reconduction d'une institution sacrée ou profane. L'une assure la répétition ad vitam d'une société magico-religieuse dans une temporalité qui élude le futur ; l'autre assure la reconduction d'une institution religieuse ou sociale dans une temporalité qui valorise le futur. Mais qu'est-ce-que construire une représentation de l'avenir ?

Il est pour cela nécessaire de penser le rite comme un organisateur du temps, comme une mesure, c'est-à-dire un ensemble de segments temporels qui mis bout à bout forme un continuum évolutif fondé sur « la continuité par laquelle une certaine transformation procède d'une autre selon une succession ininterrompue. »2 De sorte d'appréhender le temps sous cette forme, nous proposons de rendre compte au lecteur de sa construction et de sa pluralité.

1 Arnold V. Gennep, Les rites de passage, op. cit., p. 14

2 Norbert Elias ; Du Temps ; Fayard ; Paris ; 1996 ; p. 53

Le rite a depuis toujours participé de la construction sociale du temps par des effets de passages d'un état à un autre, comportant trois phases distinctes : la séparation d'avec le groupe d'origine, la marge où dans certains cas émerge la communitas, une forme sociale non-struturée, et enfin l'agrégation au groupe visé. Cette acception du rite se situe dans la démarche anthropologique qui admet une valeur sociale du rite. Dans nos sociétés contemporaines, la déritualisation a engendré une plus grande difficulté à situer les âges de la vie déjà perturbés par des transformations sociales et culturelles. Aujourd'hui il ne peut être question de rite au sens comportemental sans une nécessaire adaptation du concept, cependant sa structure comme base significative permet de supposer des espaces dans lesquels un passage est en cours.

« En fait l'expérience du temps comme flux uniforme et continu n'est devenue possible que par le développement social de la mesure du temps (...). »2

Pouvez-vous m'accorder quelques minutes de votre temps ? Je sais que vous n'en disposez que de peu, aussi je ne me permettrai pas de vous en faire perdre.

Définit de la sorte le temps paraît réifié au point de pouvoir le posséder. Quel étrange objet que celui-ci, car ni ne tient dans la main, ni ne s'arrête avec hier ou bien demain.

Il n'en finit pas de passer, il est toujours trop court, il est une partie de l'identité, il est contraint ou libéré. Il est somme toute le paradigme le plus universel.

Comprendre le temps c'est se confronter à ce qui nous en a été dit. Cette valeur qui existerait au delà de tout, compréhensible des seuls scientifiques de la nature et autres philosophes. Mais le temps est aussi et peut-être avant tout un construit social.

Alors pour en permettre la compréhension nous évoluerons à travers une sociologie de la temporalité qui, bien que peu officielle, n'en est pas moins formelle comme nous le soulignerons dans notre premier point. Afin de ne pas complexifier, un phénomène qui ne s'inscrit pas dans la simplicité, nous éluderons la question astrophysique en laissant Hubert Reeves le soin de nous en dédouaner :

« Ce qui est important, c'est que le temps n'est pas une notion a priori, comme le pensait Kant. Elle n'est pas automatiquement sous-jacente à tout ce que nous pouvons penser et dire. C'est une notion qui a ses limites. Qui disparaît dans certaines conditions, pour laisser place à d'autres. Il faut se faire une raison, elle n'est valable que dans certaines conditions de notre univers, et ne s'applique pas partout, ni "tout le temps". »3

1 Le temps régit la vie

2 Norbert Elias ; Du Temps ; Fayard ; Paris ; 1996 ; p. 47

3 Entretien avec Hubert Reeves ; s.n ; 2008

1. Il était une fois...

Cette formule, dont on doit à Charles Perrault la popularisation dés le XVII è siècle, nous renvoie, outre le conte de fée, à un passé ancien qui n'est pas défini. C'est là toute la subtilité de ce que l'on appréhende comme un phénomène d'un haut niveau de synthèse. Au delà même de ce que représente pour chacun ce temps dans lequel la formule le projette, il ne nous interpelle pas sur cette représentation, attendu que chacun porte en lui le niveau de synthèse nécessaire à l'orientation temporelle, ce que l'on notera comme un habitus. Il serait pourtant fort intéressant de s'interroger sur la construction de ce voyage temporel. Tout semblant fonctionner comme une connaissance implicite du temps, il ne nous est que peu familier de solliciter à ce point l'aspect socio-cognitif du temps. Nous nous garderons de tenter une approche cognitiviste en la matière, ne doutant pour autant pas qu'elle puisse enrichir notre recherche, et limiterons notre cadre théorique à la sociologie du temps, au sens de l'expérience que représente la société dans l'espace et le temps.

1.1 Le temps nous est conté

W. Grossin, sociologue du Temps, si l'on peut l'être, introduisait sa thèse en évoquant le temps, en ces mots :

« Il n'est rien de plus universellement familier que le temps, rien de plus mal connu car il échappe à toute saisie, rien de plus apparemment extérieur et inaccessible à l'homme qui n'en peut modifier "le cours", rien de plus intime puisqu'il est la vie même et la mort. »1

En effet, la vie est une séquence temporelle. La quasi nécessité de découper le temps, qui au gré des générations depuis les premiers hommes, s'est avérée être concomitante au simple fait de vivre, est vite devenue une problématique qui relevait pour les uns du sacré pour les autres d'un pragmatisme nécessaire. Le temps n'est pas une donnée abstraite qui se déroulerait sans l'humanité, pas plus qu'il est un objet propre aux sciences. Le temps est avant tout une perception de la succession des événements que l'on vit, qui devient une séquence temporelle par l'élaboration d'une image mentale qui synthétise les informations reçues.

Ainsi que la datation par carbone l'a démontré, les premiers instruments de détermination du temps remontent à -20 000 ans avant notre Ère. Et déjà ces instruments rendent compte de mouvements solaires et lunaires. Les peintures rupestres plus vieilles

1 William Grossin, Les temps de la vie quotidienne, Thése de doctorat, 1972, Paris V, p. 5.

encore, témoignent aussi, à travers les symboles utilisés, d'une temporalité des évènements au sens où elles traduisent un temps au travers de « scènes » indépendantes entre elles qui représentent la mort, la chasse, etc. Mais nous nous garderons de développer ce qui n'est qu'une conjecture. Quoi qu'il en soit dans les deux cas, les symboles marquent des évènements qui se succèdent, les premiers instruments percevant les cycles naturels, les peintures témoignant d'activités sociales ordonnées.

Prenons l'exemple de l'élaboration d'outils conceptuels, tel que L'os d'Ishango (-20 000 av J.C) marqué d'encoches, qui selon l'interprétation de d'Alexander Marshack témoigne de l'intérêt de l'homme préhistorique pour les activités dites «chronofactorisées»1, c'est-à-dire liées au déroulement du temps comme l'agriculture. Si son interprétation fait office de postulat polémique, elle ne fait que révéler, indépendamment de la capacité à communiquer à l'aide de symboles, l'importance du cumul expérientiel, la capacité à apprendre de son expérience.

De manière à imager notre propos nous emprunterons à N. Elias l'idée de la tabula rasa, par laquelle il expose sa théorie d'un temps construit socio-biologiquement en opposition à l'idée d'une appréhension innée. Un groupe d'humain dotés génétiquement des mêmes capacités à communiquer à partir de symboles,partant de zéro, sans passé, ne saurait dés les premières générations segmenter le temps de façon très élaborée. Il lui faut avant tout bénéficier de l'expérience qui lui permettra de développer des symboles transmissibles et cumulables. Ainsi les premières traces de déterminations temporelles sont la synthèse de l'expérience du temps physique vécu.

A travers cet exemple sommairement expliqué, il est somme toute plus aisé de comprendre que la détermination temps est une mise en relation de processus qui deviennent un ou des étalons de mesure plus ou moins précis et socialement normalisés favorisant une action sociale synchronisée. Il en va ainsi de toute conceptualisation temporelle, du gognon à l'horloge mécanique2. Sans besoin de retracer les étapes de ce qui est communément appelé la mesure du temps, on comprendra qu'elle s'inscrit dans un processus physique et permet avant tout une synchronisation des actions sociales. Le sablier permet par exemple l'équité du temps de parole dans la Grèce Antique tandis que la clepsydre indique au moines quand sonner la cloche pour la prière, ou la sirène de « l'embauche » des usines.

1 Jacques Victoor, L'homme préhistorique de Marshack : un génie en devenir, Kadath n° 37, Bruxelles 1980

2 Notons au passage que la notion d'heure date de la plus haute Antiquité, les Grecs l'ayant héritée des Égyptiens qui la tenaient eux-mêmes des Sumériens. La division du nycthémère en 24 heures serait en effet liée au système sexagésimal babylonien, fondé sur le symbolisme du cercle.

Pour aller plus en avant « dans le temps » et sur cette question, rappelons sommairement les travaux de D.S Landes qui voit en l'horloge mécanique « l'une des plus grandes inventions de l'histoire de l'humanité. »1 Dans son ouvrage autour des horloges mécaniques, il présente le temps comme un langage commun que d'autres appellent la discipline du temps, que lui subordonne à une obéissance, sans lequel aucune interaction ne serait possible. Il y développe l'idée de « révolution socio-culturelle » que représente l'horloge mécanique, mais ne précise pas l'origine du pouvoir de l'expérience temporelle. A partir de quelle nécessité, l'humain s'est-il résigné à subir le temps?

1.2. Le temps de le définir

Le temps comme nous l'avons expliqué ci-dessus, existe donc en tant que moyen d'orientation de l'humanité et il est tout à la fois le fruit de son expérience naturelle et sociale. Nous pouvons aujourd'hui assurer avec N. Elias que « le mot "temps" désigne symboliquement la relation qu'un groupe humain (...) établit entre deux ou plusieurs processus dont l'un est normalisé pour servir aux autres de cadre de référence et d'étalon de mesure. »2

La mesure s'accorde donc avec l'élaboration d'un « continuum social normalisé »3 c'est-à-dire la constitution d'un étalon de mesure, calqué sur des processus naturels plus ou moins précis, cycliques ou non (première pluie, neige, fruits, chasse, la grande tempête ou encore lune, saison, année, mort, Ère, etc. ), qui s'appuie sur l'expérience individuelle ou collective. En somme, c'est en référence à des évènements biologiques et sociaux que se construit l'étalonnage du temps. C'est ce que nous appelons un construit socio-biologique. Nous admettons donc que le temps est une élaboration, de plus ou moins haut niveau de synthèse, appuyée sur des évènements naturels et sociaux qui dans leur succession forme un flux uniforme et continu. S'il était besoin de corroborer notre acception du temps, nous emprunterions au même auteur le constat selon lequel, là où les instruments de mesure font défaut, «cette expérience du temps [comme flux uniforme et continue] fait aussi défaut. »4

Quelles que soient les écoles, il est convenu que le temps est énigmatique pour qui se pose la question, en ce sens qu'il est en mouvement perpétuel. Ce qui est aujourd'hui présent deviendra demain passé, et si l'on joue l'anticipation, alors demain qui est futur sera bientôt présent et finira comme aujourd'hui, en passé. Loin d'être un axiome dont l'universalité

1 David. S. Landes, L'heure qu'il est, Gallimard : Paris, 1987, p. 30

2 Norbert Elias ; Du Temps ; op.cit. ; p. 52. 53

3 Norbert Elias, Du Temps, op.cit., p. 54

4 Ibid., p. 47

ferait frémir, cette question de trois notions (passé, présent, futur) en définissant une seule (le temps), introduit en réalité une construction du temps liée à la vie, au sens de l'individu. Le présent n'existe que dans l'instant de l'humain vivant, et change donc avec chacun et à chaque instant. De la même façon les perceptions de l'avant et de l'après sont intimement liées au présent en tant que capacité à situer le simultané et le non-simultané, ce qui révèle un haut niveau de synthèse. Par ailleurs comme le souligne W. Grossin, il n'existe pas qu'un présent dont la durée serait uniforme, il existe des présents produits par des existences (individus, sociétés, régimes politiques, etc.) et « lorsqu'un présent disparaît avec l'existence qui le supportait, c'est le souvenir qui l'évoque, la mémoire qui le rappelle : il est devenu constitutif du passé . »1

Nous avons pour beaucoup oublié que la représentation du temps ne fût pas toujours celle de membres des états nations au chronos mécanique. Nous avons oublié dans les sociétés modernes que le temps est un apprentissage qui dépasse de loin notre propre vie, et qu'avant notre condition actuelle, le temps fut présidé par des actions orientées vers les besoins du groupe (agriculture, rites, etc), les uns et les autres pouvant se recouper. Certains moments de la vie pouvant faire l'objet d'un rite : comme le prêtre indiquant le moment des semailles dans certaines tribus d'Afrique. Il fut aussi un temps où la montre participait de la distinction sociale, non seulement au regard économique, mais aussi et surtout parce qu'elle révélait l'individualisation temporelle et permettait ainsi à ses possesseurs « d'organiser leur vie, dedans et dehors, en fonction de la discipline des autres. Il n'était pas à la portée de n'importe qui d'accepter ce joug. (...) il fallait une maîtrise de soi pour s'imposer ces contraintes. »2. Aujourd'hui il semble que le temps soit « un puissant stimulant pour la productivité »3. Ainsi le temps n'a d'unique que la société « qui lui a donné vie et qui la soutient »4 . E. Durkheim conclue ses travaux sur la vie religieuse par cette phrase qui nous semble fort bien synthétise notre propos :

« Dire que les concepts expriment la manière dont la société se représente les choses, c'est dire aussi que la pensée conceptuelle est contemporaine de l'humanité. »5

1.3. le temps du social

Si l'on doit à K. Marx de s'être le premier porté sur la question du temps suggérée par la synchronisation du travail, il est sans doute plus réaliste d'affirmer que, ce que nous

1 William Grossin, Temporalistes , n°13, janvier 1990, pp. 3-8, p. 7

2 David. S. Landes, L'heure qu'il est, p. 147

3 Ibid. , p.143

4 Simonetta Tabboni, Les temps sociaux, A. Collin : Paris , 2006, p. 29

5 Emile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, PUF : Paris, 2005, 5ème édition, p. 626

appelerons avec G. Pronovost, la « sociologie du temps » existe surtout par et avec celle du sacré et des religions et, de fait, les liens étroits qu'elle entretient avec l'anthropologie et l'ethnologie.

C'est à E. Durkheim que l'on doit cette conceptualisation. C'est dans son ouvrage portant sur les religions qu'il conclut à l'origine sociale du temps, affirmant que la catégorisation est « chose sociale ». Il poursuit, par ce qui deviendra sans nul doute le socle la sociologie du temps, en introduisant une notion, qui jusque là fût évincée par H. Hubert ou M. Mauss pour qui le sacré présidait le temps, déterminant que « (...) c'est le rythme de la vie sociale qui est à la base de la catégorie de temps (...) »1. Dans cette affirmation l'auteur induit la notion de conscience collective : « synthèse sui generis des consciences particulières »2 qui l'amènera à la notion « temps total »3 : un rythme de vie collective qui prédomine toutes autres formes de rythme dont il est le résultat. Il ne saurait donc exister de socialité sans la temporalité.

Dans la préface de l'ouvrage « Les cadres sociaux de la mémoire » de M. Halbwachs, qui fait aussi référence en la matière, J. Duvignaud taxe l'auteur de « durkheimien exact »4. En effet l'auteur y montre qu'il est impossible de concevoir le problème du rappel et de la localisation des souvenirs si l'on ne prend pour point d'application les cadres sociaux réels qui servent de repères à cette reconstruction qu'on appelle mémoire. Le problème de la durée et celui du temps ne se posent plus dans les termes qui furent ceux de la pensée philosophique traditionnelle. Il enjoint à « distinguer », écrit-il, « un certain nombre de temps collectifs, autant qu'il y a de groupes séparés. »5 Postulat que l'on retrouvera plus tard chez G. Gurvitch avec « la multiplicité des temps sociaux ». Plus un seul temps mais des temps.

Aux États-Unis, c'est vingt ans plus tard qu'en pleine crise économique G.H Mead, dans ses travaux sur le temps abordés à travers la philosophie du présent, explique que :

« la nature sociale du présent découle de son émergence. Je me réfère [dit-il] au processus de réajustement que l'émergence implique. La Nature prend de nouvelles figures, par exemple avec l'apparition de la vie, ou le système stellaire prend de nouvelles formes avec la perte de masse par l'effondrement d'atomes à travers les processus qui se passent au

1 Emile Durkheim , op. cit. , p. 628

2 Ibid. , p. 604

3 Ibid., p. 631

4 Maurice Halbwachs, La mémoire collective, (1950), 2éme édition revue et augmentée, Paris : Bibliothèque de philosophie contemporaine, 1967, préface. [en ligne] http://classiques.uqac.ca/classiques/Halbwachs_maurice/memoire_collective/memoire_collective.html

5 Ibid.

sein d'une étoile. Il [le présent] est une adaptation à cette nouvelle situation. »1

L'auteur affirme à travers une démonstration « physico-philosophique » que le présent est la réalité et que les notions de passé et de futur lui sont immanentes, de sorte que la réalité est une construction mouvante au gré de l'émergence. Plus qu'une somme le présent est une synthèse du passé, il est inédit et n'existe que dans son perpetuel renouvellement. Cette approche constructiviste sera fondamentale dans la tradition sociologique américaine. L'ouvrage de P.Berger et T. Luckmann, « La construction sociale de la réalité » en est fondamentalement influencé, puisque pour eux « la temporalité est une propriété intrinsèque de la conscience. [en ce sens que] (...) Chaque individu est conscient d'un flux intérieur du temps, qui à chaque fois est fondé sur les rythmes physiologiques de l'organisme (...). »2

Au début des années soixante, G. Gurvitch, sociologue français d'origine russe, ancre ses travaux dans la lignée de M. Mauss. Il sera surtout à l'origine de distinctions temporelles telles, que la sociologie en sera amenée à parler non plus de temps mais des temps. Il discerne les « temps-macrosociaux » des « temps micro-sociaux », lesquels sont divisés en sous-groupes. Non qu'ils ne soient intéressants, nous ne retiendrons pas ici la théorie de l'auteur, mais sommes conscients que ses travaux sont précurseurs dans l'essai de catégorisation temporelle et sont une source intarrissable de perspectives de recherches.

Ce qui nous est donné à voir à travers ces quelques auteurs, dont la liste n'est en rien exhaustive, est avant tout la place faite au temps dans l'étude de la « chose sociale ». En Europe comme aux États-Unis ce sont les crises qui amènent les sciences sociales à s'intéresser à cet axe, ce qui semble laisser penser que le temps a pris dans l'histoire une place de plus en plus liée à l'économie de marché.

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