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Le temps de l'insertion des jeunes, une considération rituelle et temporelle

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par James MASY
Université de Nantes - Master 2 - Sciences de l'éducation 2008
  

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2.3. Défaillance du grand intégrateur ?

C'est donc comme suppose C. Daniel « une contrainte purement financière - elle même dépendante de l'état du marché du travail qui trace la frontière entre les chômeurs relevant du régime dit d'assurance et les chômeurs relevant du régime dit de solidarité. »4 On assiste donc à une double transformation conjuguant chômage de masse et précarisation du travail qui sont « les conséquences nécessaires des nouveaux modes de structuration de l'emploi, l'ombre portée des restructurations industrielles et de la lutte pour la compétitivité - qui effectivement font de l'ombre à tout le monde. »5 Ne seraient-ce

1 Christine Daniel ; L'indemnisation du chômage depuis 1979 ; op.cit. ; p. 8.

2 Roberts Castel ; La précarité : transformation historique et traitement social; in Marc-Henry Soulet (dir.) ; De la non intégration ; p. 11-25; op.cit ; p. 12.

3 Christine Daniel ; L'indemnisation du chômage depuis 1979 ; op.cit. ; p. 17.

4 Ibid. p. 19.

5 Robert Castel ; les métamorphoses de la question sociale ; op.cit. ; p.649.

point là les affres d'une « machine à exclure »? Le travail comme « grand intégrateur »1, dont nous parle Yves Barel, qui « caractérise le statut qui place et classe un individu dans la société paraissait s'être imposé définitivement au détriment des autres supports de l'identité, comme l'appartenance familiale ou l'inscription dans une communauté concrète »2 subirait-il une telle transformation qu'il nous faille adhérer à la thèse d'une hyper-modernité ? Ce Grand Intégrateur ne serait-il plus à même de « demeurer le principe de l'organisation sociale, de l'ordre social, ainsi que le principe donateur de sens aux hommes, à leur action, à leur pensée »3? A ce débat au fort niveau d'abstraction nous préférerons parler d'une mutation sociétale qui entraîne dans son sillon la solidarité organique, (sans pour autant suggérer quelque anomie) et sème une certaine « morale des égoïsmes sociaux »4.

P. Rosanvallon nous en livre un exemple très éloquent lorsque qu'il évoque que « bientôt le fumeur sera requis de choisir entre son vice et le droit à un accès égal aux soins et le buveur d'alcool sera menacé du paiement de surcotisations sociales. »5 On comprend là ce qui est présumé dans certains discours appelant à l'initiative et à la responsabilité individuelle. Ce qui fut un combat pour des droits sociaux, une justice sociale, en un mot l'équité, est aujourd'hui resservi comme la cause du marasme économique. En fustigeant les « assistés » qui ne sont souvent que des « travailleurs sans travail »6 comme les appelle Hannah Arendt, des « inutiles au monde »7 selon R.Castel, s'est opéré un glissement social important qui considère en son ensemble une division et plus encore, une opposition. Cette dichotomie sociétale abrite un discours non-moins aggravant de l'assistanat lorsqu'il touche à la prestation. P. Rosanvallon constate qu'« un nombre croissant de ménages trouvent du même coup injuste de se voir exclus de prestations sociales ou familiales [de plus en plus soumises à des conditions de ressources] et se considèrent comme maltraités, voire défavorisés, comparativement à des foyers qui cumulent complément familial, allocation logement, allocations scolaires, etc. »8

Ce type de discours construit sur la cristallisation de l'action publique dans sa « lutte contre l'exclusion » construit, à son tour, une stigmatisation des soit-disant « effets des politiques sociales ». Si je ne puis jouir des droits que m'ouvrent mes cotisations, pourquoi d'autres le pourraient-ils lorsqu'ils ne travaillent pas et donc ne cotisent pas ? Cet

1 Yves BAREL, "Le Grand Intégrateur", Connexions, n°56, 1990.

2 Robert Castel ; les métamorphoses de la question sociale ; op.cit. ; p.622.

3 Yves BAREL, "Le Grand Intégrateur", Connexions, n°56, 1990. p.94

4 Noëlle Burgi; La machine à exclure; op.cit.; p. 48.

5 Pierre Rosanvallon; La nouvelle question sociale; op.cit. ; p. 36.

6 Hannah Arendt, cité in Robert Castel ; les métamorphoses de la question sociale ; op.cit. ; p.623.

7 Ibid.

8 Pierre Rosanvallon; La nouvelle question sociale ; op.cit. ; p. 91

argument, économiquement viable, fort d'égoïsme social fut d'ailleurs employé en 1990 dans un discours où le bruit et l'odeur tenaient la dragée haute aux stigmates sociaux. Au delà de ce que le message sous-tend, c'est davantage l'identification de la responsabilité relayée par les politiques qui est à souligner. Il est convenu que c'est une partie de la population identifiée de tous qui est à la source du problème. Et l'idée a fait son petit bonhomme de chemin, selon Denis Fougère et Nadir Sidhoum, « depuis 2000 on assiste à la mise en place d'un véritable "séparatisme social" »1 qui distingue les personnes qui n'ont pas de contact avec la pauvreté et pour qui « le Revenu Minimum d'Insertion risque d'inciter les gens à s'en contenter »2 et celles qui y sont confrontées de près ou de loin.

Devons-nous en conclure que « le tour de force de l'offensive idéologique lancée par le néolibéralisme est d'être parvenu à convaincre une majorité de citoyens que les plus vulnérables, quoique sacrifiés sur l'autel de la transparence des comptes et de la réalité des coûts, méritent leur sort, et plus encore sont redevables à la collectivité des traitements qu'elle veut bien leur administrer du haut de la science managériale »3 ? Ce serait là faire preuve comme l'aurait dit Pierre Desproges d'un anti-libéralisme primaire. Mais qu'à cela ne tienne, nous affirmons avec R.Castel que « le tout économique n'a jamais fondé un ordre social (...) et que la nécessité de ménager à chacun une place dans une société démocratique ne peut s'accomplir par une marchandisation complète de cette société »4.

Les transformations du marché du travail, dans ce qu'il procède de compétitivité à l'interne comme à l'externe, ou les modifications dans les dispositifs de protection sociale, influent sans aucun doute sur les phénomènes d'appauvrissement économique et social. Phénomènes qui relèvent essentiellement de la non-intégration en ce qu'elle « renvoie à l'idée d'un état d'incomplétude, de morcellement et de non-intégralité (non épanouissement?) faisant suite à un processus inachevé dans ce sens. »5

R. Castel se demandait ce qu'avaient en commun le chômeur de longue durée, le jeune en quête d'emploi et consommateur de stages, l'adulte isolé qui s'inscrit au RMI, la mère de famille " mono parentale ", le jeune couple étranglé par l'impossibilité de payer traites et loyers. Il répondait à cette question par la « désaffiliation » qui rend compte de la complémentarité de deux axes : l'intégration par le travail (stabilité, précarité, expulsion) et la densité de l'inscription relationnelle dans les réseaux familiaux et de sociabilité ( forte

1 Denis Fougère et Nadir Sidhoum ; Critères socio-économiques de l'intégration ; op.cit. ; p. 46

2 Ibid.

3 Noëlle Burgi; La machine à exclure; op.cit.; p. 42

4 Robert Castel ; les métamorphoses de la question sociale ; op.cit. ; p.624

5 Nicolas Queloz ; La non-intégration, un concept qui renvoie fondamentalement à la question de la cohésion et de l'ordre sociaux ; in Marc-Henry Soulet (dir.) ; De la non intégration p.151-163; op.cit ; p. 151.

insertion relationnelle, fragilité relationnelle, isolement social); qualifiant ainsi quatre « zones différentes de densité de rapports sociaux »1 (intégration, vulnérabilité, assistance, désaffiliation). De son côté S. Paugam aurait pu y répondre par sa théorie de la « disqualification sociale », qui comprend trois phases (fragilité, assistance, rupture), par laquelle il entend « un processus qui refoule, d'étape en étape, des franges croissantes de la population dans la sphère de l'inactivité et de l'assistance augmentant pour elle le risque de cumul de difficultés. 2»

En conclusion, que l'on parle avec R. Castel de « zones de désaffiliation » ou avec S. Paugam de « phases de disqualification sociale », et avec bien d'autres encore nous en convenons, il est admis comme une quasi unanimité que l'assisté en tant qu'objet de recherche ne peut être lu comme une homogénéité et que quelque soit le type de bénéficiaire, «l'assisté social est d'abord le fruit d'une construction sociale » 3. Une des démonstrations symptomatiques réside dans les modalités de comptage statistique des populations concernées, elles sont avant tout déterminées par des choix politiques qui définissent des caractéristiques donnant droit à prestation. Peut-on parler d'une politique d'intégration ? L'aide économique dont peut jouir une frange de la population participe telle d'une intégration d'une non-exclusion ou bien de ce qu'il convient aujourd'hui d'appeler l'insertion ? Si l'on postule avec nombre d'auteurs que les mécanismes d'intégration connaissent des « ratés » (euphémisme s'il en est) il convient alors d'affirmer que l'action publique n'a pas enrayé les divers processus d'exclusion en oeuvre depuis plusieurs décennies. Nous prendrons en exemple le sur-chômage qui touche une partie de la population. Sans vouloir user de stigmatisation, nous relèverons tout de même que le taux de chômage pour des jeunes issus de l'immigration est jusqu'à cinq fois supérieur que celui des jeunes dont les deux parents sont nés en France. Ce constat trouve certes plusieurs éléments d'analyse dont le parcours scolaire et le capital relationnel ou encore la discrimination et les études sont autant de variables qui permettent de l'étayer. Peut-on ou doit-on en ce cas parler d'intégration ou d'insertion? L'idée ici n'est pas de proposer une réponse ni d'assurer cette analyse mais de souligner que si l'on évoque facilement les principes fondateurs de l'intégration, il serait peut-être de mise aujourd'hui de s'intéresser à ceux de l'exclusion non comme un état mais comme un processus aux effets économiques certains, auxquels s'ajoutent la menace d'une « désociabilisation » qui prospère. L'étude de cette menace participerait d'ailleurs d'un des grands débats que compte l'insertion, à

1 Robert Castel, les métamorphoses de la question sociale, op.cit., p.669

2 Serge Paugam, La disqualification sociale, in Marc-Henry Soulet (dir.) ; De la non intégration p.111-135; op.cit ; p. 86

3 Michel Messu, Statuts et identités des assités sociaux, in Marc-Henry Soulet (dir.), De la non intégration p.111-135, op.cit, p. 132

savoir le primat du social sur l'économique ou son contraire.

Il est évident que l'exclusion et l'intégration sont intimement liés à l'insertion. Tous d'abord parce que ce qui était un constat hier devient une menace aujourd'hui, il ne s'agit donc plus de soigner mais de prévenir; ensuite parce que l'enjeu du second semble être lié au dessein du troisième. Ce lien qui unit des notions qui se voulaient exclusives les unes des autres sont des « termes très connotés, qui ont leur histoire, qui sont bien situés dans le temps et l'espace, et qui répondaient (et répondent encore) à des besoins sociaux et politiques. »1

L'exclusion est donc un processus relatif au travail qui subit une double influence. Une première, politico-scientifique qui par le déplacement juridicoadministratif des statuts agit sur la définition de l'inadaptation au travail ou de la pauvreté, et une seconde qui s'appuyant sur la première renvoie aux effets socio-économiques dont le cumul rend plus ou moins visible la délimitation entre exclus et intégrés, favorisant ainsi la stigmatisation de certaines populations. Cette double influence pose de fait la question de la gestion sociale et économique de ces publics aux marges de la société pour lesquels la société salariale est taxée. Cette transformation progressive des statuts amènent à une remise en cause de la solidarité qui voit, surgir le phénomène des assistés auquel est imputé la « crise » et se concentrer les politiques de lutte contre l'exclusion sur la prévention assurant une plus grande stigmatisation.

1 Michel Messu, Statuts et identités des assités sociaux, in Marc-Henry Soulet (dir.), De la non intégration p.111-135, op.cit, p. 132

Nous avons vu dans les chapitres précédents l'origine de l'action sociale et comment se fondent des notions ou encore comment se caractérisent les catégories sur lesquelles s 'appuie l'action publique. Nous allons ici tenter de définir ce qui traduit une dimension cachée des transformations sociales : « le passage de politiques menées au nom de l'intégration à des politiques conduites au nom de l'insertion »1. A ces fins nous appréhenderons la notion à travers deux dispositifs et leurs publics puis dans un second temps à travers une approche plus sociologique. Nous avons fait le choix d'évincer de notre développement les parcours d'insertion, tout d'abord parce qu'ils sont aussi hétérogènes que les situations personnelles des personnes visées comme nous le verrons en dernière partie, ensuite parce que cet effet de catégorisation des parcours amène à une lecture idéaltypique, c'est-à-dire en quelque sorte un tableau de pensée qui n'est ni la réalité historique, ni la réalité authentique. Dégager de l'insertion un idéal-type imposerait l'exhaustivité, or c'est de notre point de vue chose impossible.

Nous ne souhaitons pas opposer les logiques d'auto-insertion et d'hétéro-insertion de J.L Laville ou les types mobilités volontaires ou contraintes, etc, de C. Dubar et D. Demazière. Car « si plusieurs recherches sont parvenues à déchiffrer le sens et le monde vécu de la galère, à retracer les logiques d'engagement dans l'emploi, à identifier des stratégies de différemment d'entrée dans la vie adulte, élucider les signification subjectives des processus d'insertion à partir de l'expérience diversifiée des jeunes demeure un objectif essentiel de la recherche »2 que nous aborderons dans une troisième partie.

1 Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, op. cit., p. 675

2 Didier Demazière, Claude Dubar, Analyser les entretiens biographiques, PUL, Laval, 2004, p. 281

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera