2.2. Le chômage : assurance, solidarité ou
assistance ?
Nous avons vu ci-dessus avec G. Simmel que la pauvreté
ouvrait droit à une assistance, par conséquent les « clients
» des services sociaux sont vus à l'instar des exclus comme les
laissés pour compte de l'inéluctable effritement de la
société salariale qui comptait en 1975 près de 80% de la
population active en CDI et moins de 65% au milieu des années
19903. L'assistance devient vite une situation qui implique une
dépendance à l'État social qui devient dans ce cas le
grand ordonnateur du préambule de la constitution
1 Ibid. ; p. 100.
2 Observatoire national de la Pauvreté et de l'exclusion ;
Rapport 2000 ; op.cit. ; p. 25
3 Robert Castel ; les métamorphoses de la question
sociale ; op.cit. ; p.646.
de 19581. Toutefois, sans succomber aux charmes
prosélytes d'un libéralisme qui tend à responsabiliser les
populations touchées par l'exclusion ou la pauvreté, nous pouvons
nous poser la question de ce qu'induit cette relation de dépendance.
Afin d'y répondre nous proposons d'appuyer notre réflexion sur
les travaux de Christine Daniel au sujet de l'indemnisation du chômage.
Nous ne tenons pas à expliquer le taux de chômage ou à
entrer dans la polémique du calcul, mais à situer le rapport
social immanent aux politiques dites d'assistance.
L'Union Nationale Interprofessionnelle pour l'Emploi dans
l'Industrie et le Commerce (UNEDIC), créée en 1958, est
responsable de la gestion financière du système. Elle met en
place la règlementation décidée par les partenaires
sociaux, fournit les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre. La
France compte deux types de régime, un premier qu'est l'assurance
chômage relevant du régime dit « assuranciel » et le
second qu'est la prestation de l'État qui relève d'avantage d'un
régime dit « de solidarité ». Les deux régimes
sont cumulés, ce qui permet à une personne au chômage de
percevoir une indemnité forfaitaire de l'État liée
à l'âge du demandeur. Bien que cette opposition loin d'être
anodine nous renvoie au débat du premier chapitre entre
l'économie et le social, la forme duale de cette indemnité est
unifiée en un seul groupe social, les chômeurs. Dans son
enquête C. Daniel relève deux résultats qui nous
intéressent au plus haut point. Le premier concerne la forte
différenciation des droits indemnitaires des chômeurs entre 1979
et 1998, expliquée par « la prise en compte du passé
professionnel dans le calcul des droits »2. Le second concerne
la réduction significative des droits d'une catégorie de
chômeurs que sont « les demandeurs d'emploi plus jeunes, ayant eu
une activité plus précaire, avec des salaires plus faibles ou
encore travaillant à temps partiel »3, expliquée
par l'effet cumulatif des réformes de 1982, 1984 et 1992. En
synthèse la réforme de 1982 introduit la notion de
références d'activité préalables qui induit une
durée d'indemnisation ; celle de 1984 dissocie le régime
assuranciel de celui de la solidarité impliquant la création de
populations différenciées (les assurés relevant des
cotisations et les assistés relevant de l'impôt.) ; enfin celle de
1992 instaure une allocation unique dégressive qui réduit le
montant au fur et à mesure du temps en même temps que la
durée. Une rapide lecture des tableaux suivants nous permettra de
mesurer l'impact des diverses politiques.
1 Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un
emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son
emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances.
2 Christine Daniel, L'indemnisation du chômage depuis
1979, in revue de l'IRES n°29, Hiver 98-99, p.6
3 Ibid., p. 6.
Tableau 1. Évolution des droits à
indemnisation d'un demandeur d'emploi de moins de 50 ans, avec un salaire
référence égal au SMIC
(droits évalués en nombre SMIC cumulés)
Durée d'affiliation
|
1979
|
1982
|
1984
|
1990
|
1992
|
1997
|
3 mois
|
20,67
|
2,40
|
1,69
|
1,62
|
0
|
0
|
4 mois
|
20,67
|
2,40
|
1,69
|
1,62
|
2,08
|
2,72
|
6 mois
|
20,67
|
12,32
|
7,83
|
9,15
|
4,53
|
4,46
|
8 mois
|
20,67
|
12,32
|
7,83
|
9,15
|
8,55
|
8,46
|
12 mois
|
20,67
|
17,28
|
15,65
|
17,85
|
8,55
|
8,46
|
14 mois
|
20,67
|
17,28
|
15,65
|
17,85
|
16,93
|
16,28
|
Source : IRES, 1999
La durée d'affiliation évoquée dans les
tableaux correspond au temps de cotisation, le nombre de smic cumulés
s'entend comme un capital final perçu à l'issue de la
période d'indemnisation (ci-dessus) et enfin la durée
d'indemnisation correspond à une période ininterrompue de
versements des droits soit le maximum possible (ci-dessous).
Tableau 2 . Évolution de la durée
d'indemnisation d'un demandeur d'emploi de moins de 50 ans, ayant un salaire de
référence égal au SMIC
(durée en nombre de mois)
Durée d'affiliation
|
1979
|
1982
|
1984
|
1990
|
1992
|
1997
|
3 mois
|
36
|
3
|
3
|
-
|
-
|
0
|
4 mois
|
36
|
3
|
3
|
3
|
4
|
4
|
6 mois
|
36
|
21
|
15
|
15
|
7
|
7
|
8 mois
|
36
|
21
|
15
|
15
|
15
|
15
|
12 mois
|
36
|
30
|
30
|
30
|
15
|
15
|
14 mois ou plus
|
36
|
36
|
30
|
30
|
30
|
30
|
Source : IRES, 1999
L'intérêt de ces deux modes de calcul tient en ce
qui semble être une augmentation ou une diminution en matière de
temps s'avère être des maintiens au regard économique. Les
deux tableaux nous offrent un constat qui marque la transformation de la
question
sociale. Bien qu'il ne s'agisse que de pourcentages
associés au chômage, il est aisé de comprendre le
déplacement qu'opèrent de telles réformes qui se cumulent.
Tandis que l'on diminue le taux de couverture lié au régime dit
assuranciel, on augmente celui placé sous l'égide du
régime dit solidaire. Cette rupture juridico-administrative
entraîne une rupture sociale en ce sens que les ayant-droit d'hier
deviennent les assistés d'aujourd'hui. On peut à ce propos
ajouter les niveaux de prestation qui sont dans le cas de l'allocation plancher
de l'UNEDIC supérieure de 20% à celle de l'État, et les
exigences plus sévères pour ouvrir droit à l'Allocation
Spécifique de Solidarité (ASS) allouée par
l'État.1 Au cumul des réformes s'adjoint la
transformation de la société salariale qui subit de
véritables « processus de déstabilisation qui sont à
l'origine de l'accroissement de la vulnérabilité
»2, contribuant ainsi « à ce que les
salariés les plus exposés au risque de chômage soient aussi
de moins en moins bien protégés par les régimes
d'indemnisation. »3 Si l'on croise cette lecture avec celle du
type d'emploi occupé par les populations les plus jeunes (30% des jeunes
actifs ont un statut hors CDI, 13 % travaillent moins de 30h par semaine et 26%
bénéficient d'un contrat aidé), on ne peut que constater
combien ces mesures ont un effet excluant sur certains types de population.
Il faut bien évidemment contextualiser ces
réformes et ces conséquences qui s'affichaient dans un souhait
d'équilibre financier et ajouter qu'elles furent commanditées par
un gouvernement de gauche. Quelle que soit l'orientation politique, ces
réformes ont un effet cumulatif et touchent principalement les personnes
qui sont aussi les plus exposées aux risques de chômage en
épargnant dans le même temps les salaires les plus importants.
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