2. Les assistés, ces étranges
non-intégrés
Mais de qui parle-t-on lorsque l'on évoque avec force
les assistés ? Peut-être que l'analyse populaire emprunte de la
fameuse locution : « ils profitent du système ! », nous
permettrait de mesurer les liens qu'entretiennent l'exclusion et l'assistance.
Mais afin d'éviter l'écueil d'une explication sommaire de «
la construction sociale de la réalité »2, nous
nous limiterons à la compréhension du triptique : pauvres,
exclus, assistés.
2.1. La pauvreté, infrastructure de l'exclusion
Le paradigme de l'assistance est intimement lié
à celui de la pauvreté depuis les travaux de Georg Simmel au
début du XXè siècle. Pour G. Simmel, « C'est à
partir du moment où ils (les pauvres) sont assistés,
peut-être même lorsque leur situation pourrait normalement donner
droit à l'assistance, même si elle n'a pas encore
été octroyée, qu'ils deviennent partie d'un groupe
caractérisé par la pauvreté. Ce groupe ne reste pas
unifié par l'interaction entre ses membres, mais par l'attitude
collective que la société comme totalité adopte à
son égard. Par conséquent, la pauvreté ne peut, dans ce
sens, être définie comme un état quantitatif en
elle-même, mais seulement par rapport à la réaction sociale
qui résulte d'une situation spécifique. » En ce sens
être assisté est la marque identitaire de la condition du pauvre,
le critère de son appartenance sociale à une strate
spécifique de la population. Mais là encore les travaux sont
abondants et viennent contredire l'analyse de G. Simmel. La pauvreté est
aujourd'hui d'un point de vue officiel quantitative on parle volontiers de
pauvreté absolue déterminée par rapport à la
satisfaction de certains besoins ou de pauvreté relative
déterminée par rapport au niveau de vie de l'ensemble de la
1 Marc-Henry Soulet , Penser l'exclusion aujourd'hui: non
intégration ou désintégration; p.1-9 ; in marcHenry
Soulet (dir.) ; De la non intégration ; Presse Universitaire de
Fribourg ; Fribourg ; 1994 ; p; 4.
2 Peter Berger, Thomas Luckmann ; La construction sociale de
la réalité ; Armand Colin ; Paris ; 2006
population (en France, on retient habituellement 50 % du
niveau de vie médian. En France, comme dans tous les pays d'Europe, le
seuil de pauvreté est défini de manière
relative)1 et à cela peuvent être ajoutés des
indicateurs sociaux non monétaires qui puissent être relier entre
eux (qualité de l'habitat et de l'environnement ;santé, logement
et situation financière des ménages ; participation à la
vie associative, électorale, etc, et contacts sociaux).
Selon l'Observatoire National de la Pauvreté et de
l'Exclusion Sociale (ONPES), si l'on retient l'indicateur monétaire, et
en se référant à l'enquête Revenus fiscaux de
l'INSEE dont les dernières exploitations datent de 1996, « le
nombre de ménages pauvres se situerait, selon les conventions de calcul
retenues pour l'évaluation du revenu, entre 1,7 million et 1,8 million,
soit entre 7,3 % et 7,9 % des ménages. Mesurée sur les individus,
et non plus sur les ménages, la population pauvre représenterait,
toujours en 1996, de 4,5 millions à 5,5 millions de personnes (8
à 10 % de la population) »2. En ne retenant que les
indicateurs élémentaires de conditions de vie (28 répartis
selon : difficultés budgétaires, retards de paiement, restriction
de consommation, conditions de logement), il est proposé un calcul qui
permet d'établir pour chaque ménage une échelle globale de
difficultés. Ainsi « si l'on retient les ménages qui sont
confrontés à un cumul de huit difficultés ou plus, on
trouve 12,6 % de ménages défavorisés en termes de
conditions de vie en 1999. Avec un seuil de sept difficultés, on aurait
trouvé 16 % de ménages défavorisés en termes de
conditions de vie, 9 % si on avait retenu neuf difficultés.
»3 L'ONPES parle d'une pauvreté administrative pour
rappeler les 3,2 millions d'allocataires des différents minima sociaux.
En comptabilisant les conjoints et personnes à charge on passe à
5,5 millions de personnes, soit environ 10 % de la population. Bien plus que de
proposer une analyse des modes de calcul et de leur congruence avec les taux
retenus, nous souhaitons ici étayer l'idée de la polysémie
des notions étudiées et conclure avec M. Bresson pour qui «
l'idée que les traits négatifs se combinent et se renforcent fait
glisser l'interprétation de la pauvreté vers le cumul de
handicaps. »4 Nous affirmerons d'ailleurs avec elle et dans les
pas de G. Simmel que la pauvreté correspond à « un statut
social spécifique, inférieur et dévalorisé
»5.
L'enquête menée en 2000 par Observatoire
auprès de personnes interviewées sur de nombreux sites d'accueil
(administrations, mairies, organismes de sécurité sociale, ANPE,
associations, CHRS), dégage un nombre intéressant de
caractéristiques qui corroborent les
1 Source INSEE ; Nomenclature-Définition-Méthodes ;
EPCV « Conditions de vie » ; http://www.insee.fr/
fr/nom_def_met/sources/ope-enq-epcv-fixe.htm , [ consulté novembre
2007]
2 Source : INSEE/DGI : enquête Revenus fiscaux 1996 ; in
Observatoire national de la Pauvreté et de l'exclusion ; Rapport 2000 ;
La Documentation Française ; Paris, 2000 ; p. 22.
3 Ibid. ; p. 23.
4 Maryse Bresson ; Sociologie de la précarité ;
op.cit. ; p. 32.
5 Observatoire national de la Pauvreté et de l'exclusion ;
Rapport 2000 ; op.cit. ; p. 39.
propos ci-dessus, pour peu que l'on considère que les
sites relèvent principalement de l'aide aux personnes en
difficulté.
« - Les deux tiers des personnes interrogées ont
entre 20 et 39 ans.
- Les deux tiers des personnes interrogées
déclarent disposer de ressources inférieures au seuil de
pauvreté monétaire (3 500 francs mensuels pour une
personne seule).
- Plus de la moitié (55 %) déclarent
bénéficier d'un minimum social.
- Un tiers des personnes interrogées déclarent
ne pas disposer d'un logement stable. - Les trois-quarts
d'entre elles sont célibataires.
- Les niveaux de formation sont très
faibles : près de la moitié d'entre elles ne
dépassent pas le niveau collège et plus d'un quart
déclarent rencontrer des difficultés de lecture et de
calcul,
- 65 % des personnes interrogées déclarent
être au chômage au moment de
l'enquête.
- 40 % des personnes interrogées sont venues entre
quatre et dix fois (ou plus) au guichet pour le même sujet qui les y
amenait le jour de l'enquête »1
On saisit tout à fait dans ces caractéristiques
l'idée d'un « cumul de handicaps » qui fonde inexorablement
l'infrastructure de l'exclusion. On retrouve donc les caractéristiques
et les différentes analyses d'enquête concordent la
précédente démonstration en insistant toutefois sur le
lien entre pauvreté et absence ou irrégularité de
l'emploi. L'ONPES, par exemple note, que « la mise en évidence des
liens entre la pauvreté et le marché du travail est difficile car
le niveau de vie et la pauvreté sont toujours mesurés au niveau
du ménage, alors que l'emploi concerne les individus. »2
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