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Le temps de l'insertion des jeunes, une considération rituelle et temporelle

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par James MASY
Université de Nantes - Master 2 - Sciences de l'éducation 2008
  

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Conclusion de la deuxième partie

La jeunesse n'a plus de limites fondées sur des rites, ou plus exactement l'idée d'un passage à l'âge adulte est obsolète. La jeunesse est cependant toujours cette période liminaire qui précède en tout l'agrégation au groupe universel des adultes. Mais nous souhaitons insister sur l'idée d'une jeunesse vue comme un itinéraire inscrit dans la trajectoire sociale de la famille ; une jeunesse qui n'est pas délimitée par des étapes organisées chronologiquement, mais faite de conquêtes : « celle de l'autonomie financière, celle de l'autonomie résidentielle, et la transmission de l'héritage. Quant à la formation de la famille de procréation, elle est issue d'une période plus ou moins longue d'essais plus ou moins nombreux, conclue ou non par un mariage et/ou la naissance d'un premier enfant. »1 L'habitus n'est donc pas vu ici comme une incorporation simple et immuable des schèmes liés à quelque éthos mais « une trajectoire sociale définie sur plusieurs générations »2 impliquant ainsi la considération de « ruptures » biographiques. Quelle que soit la chronologie des conquêtes sus-citées, elles sont intimement liées à l'obtention d'un travail.

Si l'insertion des jeunes est aujourd'hui avant tout économique dans ce qu'elle suppose, elle n'en est pas moins une phase liminaire. Tout d'abord parce qu'elle ne correspond pas à un état non reconnu socialement, en effet l'idée d'insérable n'a pas de valeur pas plus que celle de demandeur d'emploi. Ce deux termes ne sont que les euphémismes d'une situation sociale éprouvée par un marché du travail déstabilisé. On comprend tout à fait l'impact souhaité de leur utilisation. Une transformation du langage des acteurs sociaux qui tentent aussi de définir une nouvelle identité des bénéficiaires. Cependant, il n'est pas assuré que ces mêmes bénéficiaires se considèrent de la sorte. Par ailleurs et toujours au regard de cette liminalité, sans reprendre tout ce que nous avons déjà développé à ce sujet, il est intéressant de la mettre en parallèle avec l'insertion par ce qu'elle renvoie de dépendance à une autorité. Nous avons vu l'aspect coercitif du CIVIS et la nécessité de répondre par son engagement à certains critères qui fondent l'insertion, tel que l'employabilité ou plus exactement « l'inculcation d'un habitus entrepreneurial (...) [et] de ce point de vue l'insertion apparaît comme une forme d'orthopédie morale (...)»3 On

1 Gérard Mauger, La jeunesse dans les âges de la vie. Une définition préalable, op.cit., p. 9

2 Claude Dubar, la socialisation, Paris, A. Colin , 2005, p. 71

3 Gérard Mauger, les politiques d'insertion, op. cit., p.14

retrouve ici un grand thème de la fonction liminaire : intégrer une réalité, apprendre à être ce qu'on nous dit que nous sommes. Pour autant nous ne disposons pas d'assez d'élément à ce stade de notre recherche pour convenir d'autres traits conséquents. De même la fonction sociale au sens bourdieusien, c'est à dire la distinction qu'opérerait l'insertion en tant que processus d'agrégation, permet de mettre en avant dans une certaine mesure l'acculturation de l'employabilité et ainsi situer l'insertion comme un processus qui agit directement sur l'individu.

Nous évoquions en concluant notre chapitre sur le temps, l'éternelle tentative de manipulation de ce dernier. Nous avons situé quatre points forts qui viennent interroger à multiples niveaux l'insertion des jeunes. La notion de cadre temporel soulève la question de celui de l'insertion. Peut-on définir un cadre à ce processus ? Existe -t-il réellement une temporalité de l'insertion qui puisse s'analyser au regard du cadre temporel qu'elle suggérerait ? La situation d'insertion est une temporalité singulière par ce qu'elle vise un état. Mais cette visée qu'on serait tenté d'appeler projet, ou bien objectif qui en est la cheville, induit une conception maîtrisée de l'horizon temporel. Ou encore une navigation érudite dans les limbes d'une précarité temporelle qui trouve son origine dans l'absence d'une socialisation qui ait considéré la temporalité. Cette quadrature du cercle nous montre que l'expérience du temps est aussi inégalement répartie que l'insertion, proposant même d'en être une des causes. La synthèse de l'expérience cumulée nous permet d'approcher la conscience temporelle et d'imaginer à partir de celle-ci les capacités de projection nécessaire à la construction d'une représentation structurée de l'avenir. Nous avons vu que la majorité des bénéficiaires des dispositifs d'insertion des jeunes étaient du côté des faibles niveaux scolaires, ce qui signifie aussi qu'ils n'ont que peu fait l'expérience du temps, sous forme de cadre, de synthèse, d'horizon. Par ailleurs il est aussi notable que nombre de bénéficiaires n'ont disposé et ne disposent que de peu de conditions sociales favorisant l'expérience du temps.

Une scolarité courte voire très courte cumulée à des conditions qui limitent leur expérience à celle de la non-structure ne permet par conséquent pas de tester cette jeunesse dont nous parle O. Galland. Cet espace intermédiaire qui combine les expériences dont la synthèse prépare à ce statut d'adulte, existe-t-il de la même façon pour ces jeunes qui ne vivent que peu la scolarité ? Doit-on imaginer qu'en l'absence de structure, se construisent des communitas qui viennent palier ce manque ?

TROISIEME PARTIE

Le corpus et son analyse

...

Tentative d'approche

de construction sociale des temporalités

Existe t-il un consensus entre Le suicide de Durkheim et La misère du monde ouvrage dirigé par P. Bourdieu ? D'un côté le tout social mathématisé, de l'autre l'hypersubjectivité laissée comme un matériau brut à la lecture de chacun. La traditionnelle opposition de méthodes consiste pratiquement à choisir son camp. Or cette opposition trompe le chercheur novice et laisse penser qu'il devrait favoriser telle méthode plutôt que telle autre. Cette recherche n'a pas échappé à un tel choix. De plus l'évolution du sujet n'a fait que complexifier le choix de la méthode.

C'est dans une perspective théorique que s'est construit ce choix qui paraît aujourd'hui d'une logique implacable. En effet à la lecture de quelques ouvrages relevant de l'insertion il m'est apparu très clairement deux types de recherche, l'une axée sur l'effet attendu de l'insertion, et l'autre sur le processus. Dans le cas de notre recherche il s'agissait du comprendre le ou les processus en oeuvre et leurs éventuelles fonctions sociales. Et puis en précisant la problématique, la simple formulation de cette dernière mît à jour la nécessaire démarche. En évoquant la notion de « construction d'une représentation », il paraissait évident de soumettre cette recherche au cadre théorique du constructivisme, ce qui amenait naturellement aux théories de la socialisation et ainsi à ce que nous avons déjà nommé le socioconstructivisme.

Tenter d'appréhender, à travers les processus en oeuvre dans une situation d'insertion, les pratiques et les représentations de chacun suppose de recueillir un discours . Ce qui nécessite alors de considérer la parole comme le vecteur du fait expériencé et de la pensée construite. C'est-à-dire comprendre l'expérience vécue comme une articulation entre « l'épreuve personnelle concrète, pratique, singulière, située dans le temps et l'espace social, et les enjeux collectifs dans lesquels ils peuvent se comprendre et doivent être

interprétés. »1 ; mais aussi l'ensemble organisé des représentations comme une réalité élaborée à partir de l'interprétation subjective du fait social.

En soumettant cette idée à la méthodologie, la question du choix ne se pose plus, l'entretien paraît évident. Mais c'est imaginer l'entretien comme une méthode. Or c'est dans la construction de la problématique que l'entretien trouve sa place dans une démarche plus globale, il n'est en fait qu'un outil parmi d'autres pour recueillir un discours. Ce sont donc ici des outils utilisés dans une démarche qui seront présentés et non pas une méthode. Car s'il est aujourd'hui une certitude pour moi, c'est qu'une recherche ne se construit pas autour d'une « méthode unique et canonique »2 mais autour d'une démarche outillée qui « engage des présupposés théoriques voire idéologiques ».3

1. Corpus

Avant d'entamer une présentation détaillée de ce qui fonde notre corpus, il convient d'en expliciter la nature.

Nous évoquions en introduction ce qui avait suscité cette recherche. Aussi dans le cadre du Master FFAST, dans lequel il est demandé de réaliser un stage pratique de 240 heures, nous avons souhaité effectuer ce dernier auprès d'un public en situation d'insertion et partir du public présent pour mener notre recherche. Ce fut là, une première difficulté. Les institutions accueillant sur une période plus ou moins longue le public visé, ne sont que rarement enthousiastes à l'idée d'accueillir un stagiaire qui ne souhaite pas se limiter à une présence statique ou à des travaux de secrétariat. Ce fut donc un premier échec que ce stage, qui tourna court après deux mois au sein de l'équipe.

Malgré ce premier échec nous avons entamé de nouvelles recherches. Après une rencontre avec la coordinatrice d'un chantier d'insertion, il fut convenu qu'il serait possible de mener des entretiens auprès des 15 jeunes présents sur le chantier. Malheureusement, près de trois mois plus tard le chantier périclitait, laissant s'évanouir dans la nature un corpus pré-établi.

1 Alain Blanchet, Anne Gotmann, L'enquête et ses méthodes : l'entretien, Paris, Nathan Université, coll. 128, 1992, p. 28

2 Robert Weil, La démarche sociologique, in Jean-Pierre Durand, Robert Weil, Sociologie contemporaine, Paris, Vigot, 2006, p. 405

3 Ibid.

1.1 Transformation de la question de recherche... et du corpus

Nous avons alors fait le choix, à ce moment, de remanier notre question de recherche et par là-même notre corpus. Ainsi nous avons fait le choix d'une question qui serait d'avantage transversale aux jeunes publics de l'insertion. Il nous restait tout de même à approcher ce public. Nous avons fait appel à diverses institutions ou plutôt à des informateurs relais. Il est évident que ce mode d'accès aux interviewés n'est pas sans danger en ce qu'il fausse la qualité réelle du volontariat inhérent à une enquête par entretien. Nous avons donc fait un premier choix de ne pas utiliser le réseau Mission Locale ou ANPE, institutions beaucoup trop polémiques auprès des jeunes pour pouvoir mener des interviews les plus neutres possibles. Mais la neutralité n'est pas de mise non plus dans des réseaux moins connotés, car si les informateurs relais sont avant tout des personnes de notre réseau personnel, ils sont surtout, pour les interviewés, la représentation d'une institution, ce qu'elle porte localement et même parfois plus, que ce soit dans une visée positive ou négative. Il est donc crucial d'avoir à l'esprit que « la demande de l'enquêteur (qui est une demande de recherche) se double d'une demande tierce (amicale, sociale, institutionnelle) pouvant brouiller le cadre contractuel de communication. »1 Bien sûr il assure d'une sélectivité qui permet de construire un corpus précis. Même si cette précision reste illusoire dans le cas présent, puisque les entretiens ont démontré que la grande partie des caractéristiques échappait aux informateurs relais. Pour exemple, nous recherchions quelqu'un dernièrement employé par le biais d'un contrat aidé, après quelques années de « galère ». Il s'est avéré que la personne présentée avait toujours travaillé et qu'elle travaillait aujourd'hui dans un objectif loin de l'insertion traditionnelle. Toutefois il n'est pas à nier que ce mode de sélection, s'il n'est pas neutre facilite considérablement l'approche auprès du public visé. Aussi une fois repérés les informateurs relais, nous leur avons fait part d'une première demande formulée en ces termes : « est concerné, par cette recherche, tout jeune âgé de 16 à 25 ans, impliqué ou ayant été impliqué dans un processus d'insertion officiel »2. Loin d'être très précis nous avons du détailler cette demande au regard des profils proposés. Une première sélection se fît en fonction du genre puis ensuite ce fut la situation sociale actuelle et enfin, la donnée la plus contraignante mais de loin la plus intéressante, ceux et celles qui sont réellement venus aux rendez-vous qu'eux mêmes avaient fixé avec les informateurs relais. Ce sont au total près de 12 rendez-vous qui ont été déclinés sans que nous n'en soyons prévenus. Cette donnée est très intéressante pour cette recherche, en ce qu'elle traduit la complexité de la situation de projection ou de

1 Alain Blanchet, Anne Gotman, L'enquête et ses méthodes : l'entretien, Op. Cit., p.57

2 Extrait de courriel adressé aux « relais » le 26 mars 2007

maîtrise du temps pour certains publics, mais l'eut été encore plus si nous avions pu en saisir les raisons véritables.

1.2 Présences significatives

Au final ce sont 11 jeunes qui ont été interviewés. Douze nous ont été proposés par un membre de l'équipe de prévention de la délinquance sur un quartier populaire de la région. Seulement six se sont présentés dont deux sur relance téléphonique eu égard à un premier « oubli » de leur part. Les entretiens se sont déroulés sur trois jours. Ces six premiers jeunes ont été retenus dans un panel de douze pour leur disponibilité. Leur représentation massive dans l'échantillon implique de bien considérer l'impact dans l'analyse. Si l'on considère que « l'appartenance au quartier joue sur le degré de discrimination auquel les jeunes doivent faire face »1, on doit la croiser avec l'origine ethnique des parents et le genre. Cela vient aussi percuter le faible taux de poursuite d'études supérieures chez les jeunes dont les parents sont originaire du Maghreb (13% des hommes et 20% des femmes)2 et le taux important de jeunes sortis du système scolaire sans diplôme (3 fois plus que chez les jeunes dont les parents sont français non issus de l'immigration)3.

Quatre jeunes en cours de formation professionnelle nous ont été proposés par un organisme de formation de la région à qui nous avions passé la consigne sus-citée, avec en plus une volonté de mixité dans l'échantillon. Deux ont été disponibles, le choix était limité mais fort heureusement il s'agissait d'un garçon et d'une fille. Il est à noter ici la formation suivie : un Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l'Éducation Populaire et du Sport. Formation inscrite dans une dynamique sociale dans laquelle les animateurs tiennent une position « d'enrichisseur de liens, producteur de créativité et d'innovation et acteur d'éveil social »4 dont la mission principale qu'ils se représentent « consiste dans la mise en place d'une dynamique de transformation sociocritique visant à rendre les individus acteurs de leur devenir et vecteur du changement par la mobilisation des ressources disponibles »5. Leur présence dans l'échantillon nécessite de maîtriser cette donnée dans l'analyse. On peut sans trop de difficulté imaginer que le contenu de leur formation, commencée cinq mois avant les entretiens, leur aura apporté matière à se situer personnellement et professionnellement; en même temps que des éléments qui facilitent la projection, attendu

1 Chantal Nicole-Drancourt, Laurence Roulleau-Berger, L'insertion des jeunes en France, PUF, paris, 2006, p.23

2 Ibid., p. 20

3 Ibid., p. 20

4 Tariq Ragi, Animateurs : formations, emplois et valeurs, in Agora, n°36, 2ème trimestre 2004, p.21

5 Ibid.

que c'est là un des apprentissages central de la formation, que de monter des projets.

Une jeune a été proposée par une professeur de danse d'une association culturelle, une autre par une coordinatrice de chantier d'insertion, et une dernière par un membre d'une association de jeunesse et d'éducation populaire. Nous ne redirons pas ici ce qu'implique l'utilisation d'informateurs-relais.

Il devait nous appartenir d'effectuer un tri au regard des variables pré-senties : âge, genre, situation sociale, niveau d'étude, lieu d'habitation, etc. Nous avons en fait du nous limiter notre tri au genre, au niveau d'étude et à la situation sociale actuelle. L'ensemble du corpus se répartit ainsi : (cf. tableau ci-dessous) :

Tableau 6. Répartition du corpus selon quelques variables

D.E: Demandeur d'Emploi ; N.I : Non-Indemnisé

Variable

Genre

Niv.
étude

Sit. sociale

Lieu
d'habitation

Nationalité Parents

Fratrie

Age

Nbre de perslmodalite

Masc

5

I

1

DE indemnisé

1

Prefecture

9

Algerien

4

13

1

18

1

Fem

6

III

1

DE non indemnisé

3

Ss Prefecture

2

Français

6

8

2

22

4

 
 

IV

2

DE non inscrit

1

Commune. Ruale

0

Tunisien

1

6

1

23

1

 
 

V

4

DE formation pro indemnisée

2

 
 
 
 

3

2

24

1

 
 

VI

3

DE chantier insertion

1

 
 
 
 

5

3

25

4

 
 
 
 

Salarié contrat aidé

2

 
 
 
 

2

1

 
 
 
 
 
 

DE. interimaire

1

 
 
 
 

1

1

 
 
 

Ttx

11

 

11

 

11

 

11

 

11

 

11

 

11

Bien que cet échantillon ne soit pas réellement représentatif, il reste pour autant proche de la réalité. Nous prendrons pour valeur de référence les jeunes suivis par la mission locale d'une agglomération de la région (20 antennes ou accueil). Les femmes représentent 51% du public suivi. Le niveau des études se réparti ainsi, le niveau V : 42,1%, le niveau VI : 8,5%, le niveau IV : 24,1% et enfin les diplômés du supérieur : 3,8%. Quant au niveau d'indépendance, 69,5% à vivre chez leurs parents (et 26% sans

logement autonome), 26,4% ont le permis.1

Cette proximité avec la réalité du public de cette institution soulève un nouvel intérêt fort important, rendre compte de la pluralité des situations d'insertion, ce que nous n'avions pas imaginé en début de travail. Cette pluralité amène implicitement à imaginer la recherche selon un axe quelque peu différent dans le traitement de ces données. Mais nous y reviendrons plus précisément en fin de chapitre.

2. Définition des lieux et des acteurs

Dans un article paru en 1994 dans une revue, G. Blanchet et A. Gotman ont réussi à mettre en avant, lors d'une recherche concernant les effets de l'environnement sur l'interview, l'impact considérable du lieux en même temps que la place des personnes lors de l'interview et ainsi de mesurer combien « la situation commande des rôles et des conduites spécifiques ».2

Conscient de cet enjeu, nous avons souhaité que ces entretiens se déroulent dans des locaux qui ne soient ni trop institutionnels, ni trop marqués par le cadre de la recherche. Toutefois il nous importait que ce lieu ne transgresse pas la logique selon laquelle l'interviewer, de qui émane la demande, « se rende vers l'environnement familier de l'interviewé »3.

2.1 un local marqué par la vie du quartier

Nous avons ainsi pu réaliser six entretiens dans un local investi par les jeunes et mis à disposition par la Sauvegarde de l'enfance. Le choix de ce local est avant tout lié à ce qu'ont pu nous transmettre les membres de l'équipe de prévention du quartier. c'est-à-dire la façon dont les jeunes occupaient cet espace. Une petite maison en bordure du quartier, pas de poignée à la porte d'entrée. Pour entrer : on frappe et on est accueilli. Une fois à l'intérieur, chacun semble vaquer à ses occupations. D'aucun prennent le thé ou le café dans le salon de jardin, d'autres jouent aux échecs ou racontent leur dernière aventure ; d'autres encore, à l'étage, accompagnés ou non, passent les coups de téléphone pour des démarches administratives ou professionnelles. Certains arrivent, d'autres partent. Les

1 Données issues du Bilan 2005 de la Mission locale de l'agglomération Mancelle

2 Alain Blanchet, Anne Gotman, L'enquête et ses méthodes : l'entretien, op. cit, p.71

3 Alain Blanchet, Anne Gotman, L'enquête et ses méthodes : l'entretien, op.cit, p.72

garçons arrivent souvent seuls, tandis que les filles sont au moins deux. Les murs regorgent de photos des équipes de foot locales. On trouve aussi des jeux, des fascicules de prévention, une mappemonde accrochée au mur, quelques papiers collés en guise de pensebête. Nous sommes installés dans une petite pièce au premier étage, dans laquelle siègent deux chauffeuses, une tablette, un bureau et son téléphone. Nous prenons soin d'orienter les chauffeuses de sorte que l'interviewé ait une vue sur la cime du magnifique cerisier qui fournit l'ombre nécessaire aux quelques buveurs de thé et café du salon de jardin et permet l'évasion du regard vers des cieux parfois plus cléments que nos yeux. Sur les six, deux furent vraiment courts (entre 30 et 40 minutes), il s'agit dans les deux cas de deux jeunes filles issues de l'immigration. Bien que les propos recueillis aient été sincères, nous avons noté que la cime du cerisier était vivement visée...

2.2 Un local marqué par un groupe en formation

Deux des onze interviewés sont issus d'un groupe en formation professionnelle. Nous avons donc souhaité les rencontrer sur le lieu de leur formation. En arrivant nous croisons deux jeunes fumeurs accrochés à une rambarde et à leur cigarette roulée. En entrant nous découvrons deux salles de classe : une première fade, vide, aux couleurs et mobiliers de l'éducation populaire de l'époque ; une seconde aux tons pastels qui arborent créations manuelles fantaisistes, ordinateurs, réfrigérateur, cafetière, jeux de société, canapés, table basse et même le vestige de sa première fonction : un tableau vert surplombé d'un vieux néon. Cette seconde salle a tout du foyer de jeune, il ne manque que le baby-foot. Les stagiaires de la formation sont disséminés dans les deux salles, en groupe, par deux ou seuls, ils réfléchissent, discutent prennent un café, lèvent la tête pour me saluer et retournent à leurs réalités. Nous y retrouvons la formatrice qui nous intègre rapidement en nous faisant visiter les locaux et en nous présentant aux personnes intéressées. Nous réaliserons nos entretiens dans un bureau adjacents entre midi et deux, l'heure du déjeuner. Les horaires ont été convenus à l'avance entre les interviewés et la formatrice. Le premier se déroule dans un bureau, sur un coin de bureau, assis sur des chaises de bureau, il sera pourtant plus long que prévu (1h30) et repoussera le second en fin de journée. Ce dernier se fera dans les canapés de la salle aux tons pastels une fois tout le monde parti. La frustration de voir les autres partir ne troublera pourtant pas notre interviewé, qui nous parlera posément durant (1h10).

2.3 Deux entretiens chez les personnes et un sur le chantier

Il est assez difficile de peindre l'intérieur d'une habitation personnelle, aussi nous nous limiterons à une impression générale. Dans les deux cas l'accueil fût fort convivial. Dans les deux cas l'entretiens se tînt dans le salon, un café à la main. Dans les deux cas, il s'agissait d'un appartement de jeune fille. Non que les appartements de jeunes filles se ressemblent tous, mais il est fort à parier que l'esprit "art-déco" soit plus présent sur les murs des jeunes filles que sur ceux des jeunes garçons. Au delà de ces pré-notions, le dernier point commun est la position relativement décontractée des deux interviewées.

Pour la jeune fille que nous avons rencontrée sur le chantier d'insertion, la décontraction n'était pas du tout de mise. En effet, ce chantier basé dans un appartement H.L.M, n'avait rien de très accueillant. D'abord parce qu'un chantier est rarement accueillant et ensuite parce que le seul local adapté à un entretien n'était autre que le bureau de la coordinatrice, qui représente le cadre institutionnel du chantier. C'est elle qui déclare les absences, qui fait le point avec les agents d'insertion, les Juges d'Application des Peines, les éducateurs, etc. C'est donc tout naturellement que la jeune fille, très jeune qui plus est (18 ans), semblait très tendue à l'idée de répondre à des questions. Et c'est donc tout aussi naturellement que l'entretien a viré au questionnaire. Ce n'est sans doute pas la seule raison de cet « échec », il nous appartient de mesurer ce que nous avons pu induire par notre comportement, plus globalement ce que notre rôle d'acteur induit.

2.4 La distribution des acteurs

De ces onze entretiens nous retiendrons un ensemble de variables qui les ont marqués par la représentation que l'interviewé pouvait avoir du rôle qu'il s'attribuait, et de celui qu'il attribuait à l'interviewer. S'il est évident que l'âge, le sexe, et la catégorie socioprofessionnelle ou encore l'origine ethnico-culturelle marquent inévitablement l'entretien, il est affaire du chercheur de réduire ce qui peut être un handicap à la construction d'un discours. Si le chercheur peut minimiser ces handicaps, il ne peut aller contre le risque que représente la mise en mot, d'un parcours et de ses maux.

Bien que nous ayons bâti notre entretien de la même façon à chaque fois, nous ne pouvons arguer avoir établit dans tous les cas « un cadre qui permette [au chercheur] de se soustraire à l'image sociale que lui attribue l'interviewé ».1 Nous avons, en grande partie, réussi avec les jeunes garçons à réduire la distance entre les positions sociales respectives en entamant systématiquement nos entretiens par une courte présentation de notre origine

1 Alain Blanchet, Anne Gotman, L'enquête et ses méthodes : l'entretien, op.cit, p.73

sociale en situant notre environnement de référence, ainsi qu'une présentation de notre parcours scolaire et professionnel, assez chaotique pour rassurer l'interviewé et créer ainsi un « monde référentiel commun pour qu'il s'exprime et développe son discours. »1 Nous avons profité de cette courte introduction pour présenter la recherche et son cadre éthique. Dans cette présentation nous avons pris garde de ne pas alimenter la dissymétrie par le langage et les attitudes. Même si dans certains cas la profonde détresse des uns et des unes devaient retentir sur notre visage, nous n'avons pas cédé à un misérabilisme empathique qui aurait plongé l'interviewé dans la production d'un discours de même nature.

Nous avons, sur l'ensemble, vécu trois entretiens comme des échecs avec trois de six jeunes filles. La question de l'échec est toutefois en suspend dans la mesure où nous n'avons pas défini les critères de l'échec, ni non-plus ceux de la réussite. Comme en témoignent Didier Demazière et Claude Dubar , « il n'y a pas de règles précises permettant de dire comment il faut procéder pour optimiser les conditions d'un entretien tout en respectant la déontologie de la recherche (anonymat, liberté de réponse, droit au silence...). Il n' y a que des situations concrètes de face-à-face entre un chercheur qui veut comprendre et un sujet qui veut parler. »2 Notre sentiment d'échec est assurément lié à la dérive de l'entretien en questionnaire et au peu de matériau récupéré. Toutefois à ce niveau de notre travail nous nous retrancherons derrière une citation de C. Dubar qui précise qu'« il est parfois difficile de faire la différence entre un entretien réussi mais difficile et un entretien sans marques de résistance mais qui ne permet aucune analyse utile. »3 Alors pourquoi parler d'échec ? Parce qu'il nous semble que dans deux des trois cas4, nous avons été induit en erreur par nos propres pré-notions. C'est directement notre histoire socioculturelle qui a pris le pas sur notre objectivité. Après avoir passé plus de vingt ans dans un quartier populaire, il est assez difficile de passer outre les codes sociaux, aujourd'hui quasiment promulgués au rang d'habitus, qui régissent les relations mixtes. En écrivant ces mots il nous vient à l'esprit que nous avons provoqué cette attitude en omettant la distanciation nécessaire à l'objectivité.

Si la dissymétrie sociale expliquée plus haut est tout à fait probante dans cet exemple elle est doublée d'une certaine crainte de « l'étranger » qui crée là encore une distance sociale entre les protagonistes. Ainsi lors de notre première série d'entretiens sur le quartier, nous fûmes bien étonnés d'être « craint ». D'abord parce que nous étions l'étranger

1 Ibid., p. 74

2 D. Demazière, C. Dubar, Analyser les entretiens biographiques, l'exemple de récits d'insertion, PUL, Laval, 2004, p. 87

3 D. Demazière, C. Dubar, Analyser les entretiens biographiques, l'exemple de récits d'insertion, op.cit., p.91

4 Entretiens : ; Ouarda et D2, Nazira

à ce moment précis (situation analogue à l'interview chez les personnes), et qu'en cela nous éprouvions une certaine appréhension; et ensuite par la représentation que les jeunes présents avaient de nous et qu'un d'entre eux oralisa sous forme de boutade en nous serrant la main : « vous êtes les RG1 ? » ce à quoi nous répondîmes par le négatif, pendant qu'un autre demandait si nous étions journaliste. Nous finîmes par pouvoir préciser notre présence en tant qu'étudiant dans le cadre d'un mémoire pour l'université. L'étonnement d'un intérêt scientifique pour les jeunes d'un quartier populaire les laissaient pour le moins perplexes. Et c'est une fois un premier entretien mené avec Majid que tout sembla entrer dans l'ordre. D'un seul coup les postulants à l'entretien se faisaient plus nombreux, au moins dans la volonté immédiate, puisque la projection n'aboutit pas toujours !

L'analogie avec les interviews chez les personnes tient en ce qu'il est toujours délicat d'être chez quelqu'un sans autre but qu'un but personnel. Jouir de l'accueil et du temps de l'hôte tandis que nous ne proposons qu'une extorsion d'information n'a pas de quoi mettre à l'aise. Pour autant ce ne sont pas ces entretiens qui nous ont posé problème.

3. Le cadre contractuel de la communication et réalisation de entretiens Nous avions présenté le cadre aux informateurs-relais par mail en ces mots :

Cadre de la recherche : Mémoire de Master 2

Discipline : Science de l'éducation

Sujet de la recherche :

Les 16-25 ans en situation d'insertion professionnelle et/ou sociale.

Objet de la recherche : Donner la parole aux jeunes 16 -25 ans usagers des dipositifs d'insertion

Quatre axes développés :

identité/ biographie (de la formation initiale à aujourd'hui)

loisirs

projets, rêves, envies...

sentiment sur l'insertion aujourd'hui

Règles liées à l'interview :

l'interview comporte une partie socio-identitaire à questions fermées

1 Renseignements Généraux

la deuxième partie ne comporte que des questions ouvertes.

la personne peut ne pas répondre à une question

les interviews sont anonymes

les interviews sont enregistrées avec l'accord de la personne

chaque interview enregistrée donnera lieu à une retranscription écrite qui sera soumise à la personne concernée (l'interviewé)

les interviews se déroulent sur le temps de travail de la formation (pour les jeunes en formation ).

Malgré ce cadre, l'anecdote sur les RG permet de mesurer l'écart entre le cadre proposé par les informateurs-relais et la représentation restante. Notre présentation de la recherche et du contrat de communication permettait de cibler l'entretien dans sa fonction valorisante socialement (la science s'intéresse à moi !), mais ne permettait pas d'éclaircir sa fonction scientifique (à quoi je sers réellement ?). Bien que chacun des enquêtés aient été en situation d'insertion, il ne leur apparaissait pas évident d'avoir quelque chose à en dire. Persuadé pour notre part d'avoir à faire à des experts, nous nous heurtions à leur sentiment de novice. Ce sentiment de noviciat a d'ailleurs lourdement pesé sur les entretiens lors des questions non-extensionnelles, c'est-à-dire d'avantage basée sur les sentiments ou la projection, que sur la description de l'existant. « Lorsque le thème est extensionnel, le discours répond à une exigence de vérité; par contre lorsque le thème est non extensionnel, le discours répond à un exigence de sincérité. »1 Cette sincérité se doit d'être « gagnée » par l'enquêteur, elle conditionne en grande partie la construction du discours. Toutefois « on ne garantira jamais l'absence de malentendus, l'évitement de tout impair de la part du chercheur ou la résistance du sujet à dire telle ou telle chose à un inconnu. »2

Fort des travaux de D. Demazière et C. Dubar, nous nous sommes attachés à favoriser le récit, sans tomber dans « l'illusion biographique »3 qui présupposerait que « la vie constitue un tout, un ensemble cohérent et orienté, qui peut et doit être appréhendé comme expression unitaire d'une " intention" subjective et objective, d'un projet... »4. L'intérêt du récit tient en la « non-directivité » de l'attitude de l'enquêteur, c'est-à-dire en sa capacité d'écoute. C'est sans doute à ce niveau que notre guide comme notre mode d'intervention in situ ont manqué d'expérience. Cela se traduit par un listing de questions qui viennent préciser celles invitant au récit. Notre grande difficulté est, semble-t-il, aussi

1 Alain Blanchet, Anne Gotman, L'enquête et ses méthodes : l'entretien, op.cit, p.77

2 D. Demazière, C. Dubar, Analyser les entretiens biographiques, l'exemple de récits d'insertion, op.cit., p.89

3 Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, sur la théorie de l'action, Seuil, Paris, 1994, p.81

4 Ibid.

inhérente au thème non-extensionnel et à la difficulté des participants à se décentrer du récit pour tendre vers un niveau d'abstraction beaucoup plus important lorsqu'il s'agit d'une projection.

Dés lors, se dessine la question fondamentale de la construction d'un guide interrogeant le rapport social au temps de jeunes souvent déstabilisés par cette notion. Raconter son passé et son présent au travers de questions pré-définies afin de mesurer en quoi ces deux temps peuvent préparer un futur peut sembler amener doucement l'interviewé aux questions associées à la projection, qui sous-tendent le projet professionnel ou au moins le projet d'insertion professionnelle ainsi que le projet de vie tel que le définit J.P. Boutinet lorsqu'il l'évoque comme « un projet à long terme qui concerne le style de vie que compte adopter d'ici quelques années le jeune : célibat, vie conjugale, vie maritale, mariage à l'essai, union libre, militance, engagement caritatif... »1 Nous sommes pourtant loin d'assurer comme l'auteur que le projet « permet aux individus arrivés à un certain stade de leur existence d'anticiper la séquence suivante face à un affaiblissement, voire une disparition des rites traditionnels de passage. »2

Nous avons construit notre guide, d'avantage au regard des pistes développées par A. Brillaud autour des représentations sociales de l'avenir. Ainsi on retrouve dans la mobilité sociale et la scolarité des jeunes interviewés, les enjeux de classe et en cela « la question des conditions et des médiations sociales déterminant la capacité des individus à gérer leur devenir... »3, qu'il s'agisse de mobilisation parentale et ou fraternelle quant à l'école du rapport étroit aux capitaux (culturels, économiques, social, symbolique) ou encore les espaces de socialisation dans lesquels évoluent les jeunes. Notre guid a donc tenté de restituer, ce que l'auteur nomme « les facteurs déterminant le seuil en deçà duquel il n'est de projection dans l'avenir qui puisse prendre sens en terme d'enjeux... »4; et en même temps de proposer une démarche qui ne mette pas en exergue la non-réponse, mais s'applique à produire des éléments de compréhension de la construction du rapport social au temps.

Il n'est pas chose simple de faire le bilan d'entretiens sans en avoir réellement extrait les informations qu'ils contiennent. Il n'est pas non plus chose facile d'avoir un regard réflexif sur une méthodologie sans risquer de l'opposer à une autre ou de tomber

1 Jean Pierre Boutinet, Anthropologie du projet, Quadrige, Paris, 2005, p. 83

2 Jean Pierre Boutinet, Anthropologie du projet, Quadrige, Paris, 2005, p.80

3 André Brillaud, Enjeux de apprentissages et représentations sociales de l'avenir, Éducation permanente n °136, 1998, p.70

4 André Brillaud, Enjeux de apprentissages et représentations sociales de l'avenir, Éducation permanente n °136, 1998, p.70

dans ce que D. Lapeyronnie appelle « l'académisme radical »1. Inviter au récit, c'est se risquer d'orienter l'enquêté vers, ce que P. Bourdieu qualifie « d'effort de présentation de soi ou , mieux, de production de soi », c'est-à-dire d'un manque de sincérité.

Il nous traverse bien souvent l'esprit que cette démarche puisse ne pas être, adéquate ou suffisante, dans ce même questionnement bouillonne l'échantillon et sa représentativité, le guide et sa pertinence, la problématique et son utilité. Mais nous nous réfugions dans ces moments derrière un extrait d'article de C. Dubar :

« Tout est bon, selon moi, qui permet de mieux comprendre et de plus expliquer, l'un ne pouvant, en sociologie, se séparer de l'autre (contrairement aux sciences de la nature). On pourrait donc défendre l'idée que le pluralisme consiste à pouvoir considérer les individus tantôt comme des agents, tantôt comme des acteurs, tantôt comme des sujets et tantôt comme des auteurs, permettant ainsi de comprendre et d'expliquer (de produire) "du social" . »2

4. L'analyse des entretiens

Expliquer les techniques d'analyse utilisées constitue un réel exercice de clarification de la production de sens. Il est important pour cela de revenir au guide d'entretien.

4.1. la directivité du guide

Dans le cadre de notre enquête, l'intérêt était de parler du temps sans pour autant partir sur une discussion philosophique. Nous avons donc regrouper les questions en trois grands thèmes (passé; présent ; futur) et à l'intérieur nous avons considéré, le vécu, les représentations, le souhait de la scolarité, du professionnel et du loisir. L'idée sous-tendue est la mesure de la représentation du temps comme un espace chronologique structuré par la socialisation primaire, c'est à dire par exemple imaginer la situation de marge pas comme une exclusion mais comme une non-intégration donc comme un processus inscrit dans le temps ou encore le projet comme une structuration méthodique du temps impliquant des apprentissages fondamentaux en la matière.

1 Didier Lapeyronnie, L'académisme radical ou le monologue sociologique. Avec qui parlent les sociologues, Revue Française de sociologie, 2004, 45-4, p. 621-651

2 Claude Dubar, Le pluralisme en sociologie : fondements, limites, enjeux, Socio-logos, Numéro 1,mis en ligne le : 21 mars 2006. http://socio-logos.revues.org/docum, consulté le 5 juin 2007

Toutefois, si le guide semblait reprendre les grands thèmes de la recherche, il fut lors des entretiens plus qu'un support. Il devint vite une attache profonde à la recherche qui ne tolérait pas la prose vagabonde des interviewés. Le découpage selon trois temps aurait permis un récit très naturel dans lequel venaient s'imbriquer les éléments recherchés. Mais plutôt que de laisser se tisser le fil de la parole, nous avons à de nombreuses reprises réintroduit le cadre de la recherche de façon maladroite, bien loin de la communication « non-violente » dont parle P. Bourdieu. Dans le protocole espéré d'un entretien, ce type d'intervention enferme et segmente le discours produit. Est-ce là ce que l'on nomme l'entretien semi-directif.

Car si la notion de directivité est claire, la non-directivité qui se fonde une interaction qui se construit au fur et à mesure, où le chercheur fait exploser le thème. A. Blanchet traduit la non directivité comme « l'ensemble des conduites d'un interviewer qui vise la production par un interviewé d'un discours continu et structuré sur un problème donné »1. Cela ne laisse pas une place très claire à la semi-directivité D'ailleurs l'auteur fustige la notion de semi-directivité qui désigne selon lui l'utilisation d'un guide d'entretien dans une démarche non-directive, attendu que selon lui « aucune des interventions du chercheur n'est indépendante des guides ou schémas implicites qui structurent sa vision du problème. »2 Nous nous abstiendrons de définir la semi-directivité autrement que par la formulation de questions finement ajustées au discours de l'interviewé sans donc lui couper la parole. Ainsi la semi-directivité pourra être appréhendée selon chacun au regard de ses orientations théoriques. Cette semi-directivité permet autant qu'elle l'empêche la construction d'un discours basé sur l'ensemble des représentations. Entre directivité et nondirectivité, grand est l'écart. Dans cet empan technico-théorique on retrouve toutes sortes de situations qui vont accueillir les entretiens. Chacun étant le fruit d'une interaction établie au regard des éléments développés plus haut et définissant certaines fois un retranchement vers la directivité pour s'assurer du recueil de données. Nous souhaitons par là insister sur le caractère singulier des entretiens et ainsi prévenir le lecteur que l'analyse qui devrait considérer ce paramètre ne le fera que peu ou prou.

4.2. l'analyse

Nous citions en début de chapitre La misère du monde en lui conférant une hypersubjectivité. Ce que D. Demazière et C. Dubar note comme une « posture restitutive qui,

1 Alain Blanchet & al., L'entretien dans les sciences sociales, Paris, Dunod ; 1985

2 Ibid.

refusant l'imposition de problématique, présente au lecteur les matériaux bruts. »1 ne nous paraît pas exagéré dans la mesure où le lecteur a à charge de faire sa propre analyse sans d'ailleurs lui en donné les réelles possibilités. Pourtant dans cet ouvrage il est frappant de mesurer combien l'émotion éprouvée à la lecture favorise la considération de la situation de l'interviewé. C'est en cela que la restitution transparente est intéressante. A condition d'en maitriser le jeu. La France invisible, ouvrage sorti en 2006, développe cette idée tout en mesurant les effets d'une restitution trop transparente. Il est évident que comme dans la « majorité des travaux de recherche reposant au moins en partie sur la réalisation d'entretiens, des affirmations diverses sont illustrées par des citations tirées de paroles retranscrites »2 celle-ci n'échappe pas à la règle. Elle a cependant cela de remarquable qu'elle allie avec finesse cadre théorique claire et restitution transparente. Soit deux postures complémentaires l'une illustrative et l'autre restitutive. L'intérêt que revêt pour nous cette double-posture est qu'au regard de notre corpus, nous ne pouvons imaginer une analyse biographique et nous inspirer des travaux de D. Demazière et C. Dubar, nous pouvons cependant procéder à une analyse thématique verticale et horizontale. En induisant un discours sur le temps, nous avons établi ces thèmes. Il nous reste cependant à rendre compte du cadre existentiel de l'interviewé.

C'est pourquoi nous avons choisi de procéder à une analyse en trois temps. D'abord la codification du discours à partir des thèmes évoqués. Ensuite une analyse verticale qui tente de situer le sujet. Et enfin une analyse thématique horizontale qui rend compte de l'expérience individuelle dans chaque thème

a) la codification

Nous avons procédé à partir de deux grilles qui relevaient chacune dans le discours les modalités au variables présentées. Pour le niveau d'indépendance, nous avons attribué ou oté un point par réponse positive. Le permis, un logement autonome, des revenus propres et un projet professionnel attribuait quatre points tandis qu'une aide parentale en otait un.

1 Didier Demazière, Claude Dubar, Analyser les entretiens biographiques, op. cit., p. 31

2 Ibid. p. 16

Tableau 7. Niveau d' indépendance des interviewés

 

Logement (+1
autonome)

Permis (+1 )

Revenus. Perso
(+1)

Projet. Pro (+1)

Aide.des. Parents
(-1)

Total

Joey

0

0

1

0

0

1

Nazira

0

0

0

0

0

0

Ouarda

0

0

0

0

0

0

Mélanie

0

0

1

1

0

2

Mohamed

1

0

1

1

0

3

Demnah

0

1

1

1

0

3

Majid

0

1

1

1

0

3

Aude

0

1

1

1

1

2

Tomy

1

0

1

1

1

2

Julia

1

1

1

1

1

3

Flore

1

1

1

1

0

4

Nous avons procédé de la sorte pour l'expérience temporelle en modérant selon deux ou trois modalités en fonction des variables. Chaque variable est regroupée à l'intérieur d'un thème plus général.

Par exemple la conscience temporelle comprend le passé, le présent et le futur. Le passé s'entend comme l'histoire familiale lointaine (grands-parents), proche (parents), immédiate (l'interviewé). Lointain assure un point, proche un demi, immédiat zéro. Le présent s'appuie sur la conception de G.H. Mead, c'est à dire la capacité à construire un récit de son présent qui soit une synthèse de son passé. Enfin le futur intégrait les projets, les stratégies, l'anticipation.

Pour le cadre temporel, nous avons attribué un point par cadre. Les loisirs, les relations aux institutions, l'activité quotidienne sont entendues comme une pratique régulière qui s'inscrit dans une constance.

En ce qui concerne l'horizon temporel, la présence de projets professionnel et de vie donnaient un point assurait à chacun un demi-point. La projection sur dix ans reconnaissait la simple capacité à bâtir un discours et les rêves supposaient leur réalisme. Les échéances considéraient le court et moyen terme et le long terme chacune pour un demi-point.

Si l'on reprend l'expérience temporelle de Joey. Il faut entendre l'évaluation de sa temporalité comme la méconnaissance de ce qui se rapporte à son passé, à l'incapacité de le lier à son présent, et à l'absence de projet, d'échéances reconnues. Son cadre temporel est lui distingué par ce qui fonde son activité, c'est à dire son expérience temporelle d'un point de vue qualitatif. Ainsi l'absence de loisirs formels et d'une activité quotidienne reconnue

marquent une absence relative de cadre même si par ailleurs sa fréquentation d'une structure d'accueil locale implique un cadrage reconnu en ce qu'il doit se soumettre à des horaires. Enfin l'horizon temporel distingue l'empan temporel entre aujourd'hui et un autre demain. C'est-à-dire que dans son cas Joey n'a ni de projet professionnel, ni de possibilité ou volonté de se soumettre à une projection sur dix ans, ni d'échéances , ni de rêves qui soient construit sur sa réalité objective.

Tableau 8. Expérience temporelle des interviewés

 

Temporalité

Cadre temporel

Horizon Temporel

Total / 10

Joey

0

1

0

1

Nazira

0

1

0

1

Ouarda

1,5

0

1

2,5

Mélanie

1

3

1,5

5,5

Mohamed

2,5

3

2

7,5

Demnah

2,5

2

3

7,5

Majid

3

2

3,5

8,5

Aude

3

2

3,5

8,5

Tomy

3

2

4

9

Julia

3

3

3,5

9,5

Flore

3

3

3,5

9,5

Il est bien entendu que cette codification relève de l'expérimentation et est à ce titre à utiliser avec les précautions qui s'imposent. Car les entretiens ne livrent pas un matériau assez précis pour proposer une codification qui le soit. En cherchant dans le discours des éléments de temporalisation, nous effectuons une catégorisation théorique partielle en ce qu'elle omet les éléments de construction d'un habitus temporel et subjective parce qu'elle ignore la valeur objective d'un budget-temps détaillé. Cependant il est à noter que l'empan entre les deux extrémités est assez considérable pour tenir compte, si ce n'est des résultats, au minimum d'une réelle différence des expériences temporelles.

b) l'analyse verticale et horizontale

Nous avons ici tenter de reconstituer à travers le titre l'élément fort du discours, et dans la restitution les idées secondaires. Pour Aude par exemple, la drogue tient une place importante et l'entretien s'il n'est pas orienté en ce sens déborde d'allusions, d'anecdotes, de paradoxes, mais en même temps son entrée en formation marque une rupture biographique. L'analyse verticale nous semble donc prétendre situer le cadre expérientiel en même temps que l'idée que l'interviewé s'en fait. Lorsqu'on lui demande d'imaginer sa vie dans dix ans, elle répond :

Aude - Ouh la la, non. -Comment tu voudrais être ?

Aude -Déjà, je voudrai décrocher complètement de la came. Dans dix ans, j'aimerai bien avoir un bébé, faire un enfant. Avoir un mec plutôt cool et avoir un taf qui me plait, toujours dans l'animation. En fait, je sais pas si je serai toujours dans l'anim', parce que peut être que plus tard, je retournerai dans le social. Je sais pas encore. Mais, de toutes façons, depuis toute petite, je me suis toujours dit que mon métier, ça sera d'aider les gens. Donc, peut être que je retournerai là dedans. Mais j'espère qu'à trente-quatre ans j'aurai un enfant. »

Cet élément est analysé selon deux niveaux. D'abord le refus de projection et sa suite, ce qui présente une analyse thématique verticale et horizontale car le contenu lui est propre au sens d'une synthèse de son parcours, de son discours et parce que la question intègre le thème du futur et induit donc une réponse qui pourra être comparée aux autres. L'exemple avec le discours de Julia :

- Un petit coup de futur ! Comment tu te vois dans dix ans ?

Julia -Euh... ça voudra dire que j'ai 35 ans. Je me vois avoir un travail, avoir réussi dans ce que je faisais, que j'arrive à gagner ma vie. Plus avoir de problèmes de sous, sans être plein aux as. Pouvoir vivre normalement, me faire plaisir. Je me vois dans une maison avec mon amoureux. Et peut-être que je me verrai avec une famille. Mais quand je me vois en train de travailler, je le vois positivement, quand je me vois plus tard. Ou alors ça serait que je serai plus avec mon amoureux.

On retrouve ici le thème et la synthèse de l'élément phare de son propos (l'amour). Il est entendu que ces choix méthodologiques laissent une grande place à l'interprétation. Nous ne pensons pas obtenir un résultat assez rationnel pour D. Demazière et C. Dubar, mais nous ne pensons pas non plus tomber dans l'écueil des sirènes romanesques. Notre point de vue est sans doute celui d'un néophyte, nous pensons que la restitution, qui conduit à une forme de sensiblerie qui oublierait la raison, rend accessible l'analyse, à condition d'en avoir précisé le cadre théorique, et donne de la valeur à la vie de ceux et celles qui nous en livrent quelques segments. Nous mesurons ici les limites de notre démarche, mais il reste après ces quelques mots, quelques autres pages qui permettront au lecteur de juger de la valeur heuristique et de la validité de notre recherche.

N

ous avons vu tout au long de cette recherche que l'insertion était un processus complexe et polymorphe qui ne pouvait s'entendre comme une unique intégration socio-professionnelle. Car il nous

faut bien entendre que cette insertion totale et univoque ne correspond plus au modèle de société dans lequel nous avons construit notre recherche. La notion de société du risque définie par U. Beck, bien que trop large pour être précise, permet de lire l'avenir comme un enjeu lié au risque. Il s'agit en fait de construire l'avenir à partir de la connaissance des risques. Une société qui en quelques sortes se limiterait désormais à une gestion des risques comme si plus rien ne pouvait changer. Pourtant en même temps que se construit cette « modernité réflexive »1, la déstandardisation des trajectoires familiales ouvre « pour l'ensemble des individus, à la fois tout et son contraire : à savoir un horizon de libertés et de possibles sans pour autant offrir la garantie pour tous de s'en saisir »2, ce qui provoque assurément au moins deux types de trajectoires que nous proposons ici d'illustrer au travers des parcours différenciés. Quelle que soit la définition que nous pourrions donner de ces trajectoires elles sont pour toutes entendues comme une nécessité de devenir un jour un adulte. La subjectivité de notre classement, de notre catégorisation n'est pas autrement justifiable que par cette même subjectivité. Elle est le rapprochement sous des titres qui peuvent apparaître éloquents. En nous référant encore à D. Demazière et C. Dubar, dans leur approche épistémologique de l'analyse des entretiens, nous ne souhaitons pas subordonner une catégorie à une autre. La valeur de la catégorie théorique (construites par le chercheur) n'est pas plus importante que la catégorie catégorie naturelle (construite par la production langagière des acteurs) ou que la catégorie officielle (administrative). Dans notre démarche, nous tentons de rendre accessible la catégorie naturelle et officielle au sein de catégories théoriques. Bien sûr cette catégorisation repose sur l'idée d'une finalité à l'insertion, d'un état final, nous ne prétendons cependant pas définir les chemins de l'insertion ou les rails de la désaffiliation. Nous rendons compte de segments issus de réalités. Ils portent en eux le sens et la fonction de l'insertion.

1 Chantal Nicole-Drancourt, Laurence Roulleau-Berger, L'insertion des jeunes, op. cit., p. 109

2 Ibid.

Chapitre 2
Sur les chemins de l'insertion,
les effets de la socialisation

« Il est souvent insupportable de lire des segments de vie en pensant à leur véracité. Car ils sont de ces toiles impressionnistes qui mettent en lumière une réalité bercée d'immédiateté, d'instantané. Bien que peu ou prou invités à « un déjeuner sur l'herbe », ils sont les témoins privilégiés de la politique sociale française, ils ne sont ni une catégorie officielle, naturelle ou théorique, ni un état, ils et elles sont l'avenir. »

Sine Nomine.

Dans ce chapitre nous privilégierons ceux et celles qui dans leur parcours sont proches de l'accession à l'emploi plus ou moins stable. Cette considération de l'accès repose sur le discours entendu et les démarches en cours. Cette nécessité qui leur est faite de définir à l'avance les modalités de leur insertion et la dextérité relative avec laquelle chacun prend son avenir en main nous laisse imaginer, certes de façon dialectique, qu'ils sont sur les chemins de l'insertion.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe