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L'accès de la société civile à  la justice internationale économique

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par Farouk El-Hosseny
Université de Montréal - LLM 2010
  

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236 Id., note 226, Paragraphe 15.

corporative237. Il s'agit bel et bien d'une illustration du virement dans la philosophie règlementaire traité plus haut, de la latitude et de l'accommodement dont bénéficient les multinationales pour règlementer les aspects non marchands découlant de leurs activités.

Les Principes directeurs de l'OCDE pour les entreprises multinationales (ciaprès les << Directives ») constituent un autre exemple desdits instruments de soft law. Elles représentent une illustration claire de l'approche auto-règlementaire et volontaire de soft law sur des questions telles que la RSE238. La non-conformité aux Directives peut entraîner une plainte par tout intéressé, il s'agit bien de << nonconformité » et non de << violation », de même qu'il s'agit d'une << plainte » et non d'un << recours » devant un organe juridictionnel. La question ou le sujet relié à la plainte est alors discuté dans le cadre de réunions et de dialogues organisés sous l'auspice de l'OCDE239. Cette différence dans les véhicules procéduraux est emblématique de la différence dans l'approche règlementaire entre soft law et hard law240. Un nombre important de multinationales se sont engagées envers les Directives. Leur engagement est subordonné à la condition que d'une part les Directives maintiennent leur caractère volontaire, qu'elles soient d'autre part révisées constamment et qu'elles évoluent enfin suite à des consultations avec elles241. Les multinationales ont d'ailleurs un statut privilégié au sein de l'OCDE où un Business and Industry Advisory Committee bénéficie d'un statut consultatif et où les

237 Id., note 47, p. 58.

238 Id., note 34, p.248.

239 Id., note 34, p.254.

240 Id., note 34, p.277.

241 S. TULLY, op. cit., note 47, p. 127.

interventions ainsi que les contributions des groupes corporatistes sont monnaies courantes242.

Le Pacte mondial de l'ONU est également un parfait exemple d'initiative internationale de soft law. Il édicte des normes et des standards internationaux auxquels ses participants doivent s'engager. Il constitue également un véritable modèle de partenariat entre l'ONU, la société civile, les multinationales, les institutions académiques, les syndicats ainsi que les associations commerciales et industrielles. Ces acteurs s'y rassemblent dans le but de protéger et de promouvoir les valeurs communes qu'ils partagent243. Chaque année les membres soumettent des exemples d'actions concrètes visant le respect d'un des principes de l'initiative. La CCI est une des entités les plus prestigieuses à soutenir cette initiative et les vertus de l'auto-réglementation qui y sont encouragées244.

De plus, les multinationales adoptent des codes de conduite pour règlementer leurs activités unilatéralement. Les codes leur permettent d'assurer elles-mêmes la conformité à des règles et des standards sélectivement choisis, ceux-ci allant parfois jusqu'à excéder la portée de la règlementation locale245. Les codes de conduite complètent et complémentent les initiatives internationales telles que le Pacte mondial, faiblement opposables ou contraignantes. Les codes de conduite sont considérés comme un remède aux critiques de la société civile. Ils pourraient offrir également une sorte de protection proactive contre les poursuites judiciaires ou contre

242 Id., note 47, p. 318.

243 Id., note 34, p.100; P. ROSIAK, op. cit., note 34, p.271; P. DE WARRT, op. cit., note 56, p.290; Id., note 47, p. 61.

244 Id., note 47, p. 62.

245 S. PICCIOTTO, op. cit., note 43, p. 185.

les campagnes publiques dénonçant leurs activités246. Leur contenu porte majoritairement sur la protection du consommateur, la lutte contre la corruption, l'environnement, les standards de travail et énonce un engagement et un respect envers la législation nationale ou locale247. Les codes de conduite sont basés à titre d'exemple sur les normes industrielles de l'Organisation internationale de normalisation (ISO)248, dont l'ISO 14000 - Environmental Standards for firms249. Une panoplie d'autres organisations internationales élabore de telles normes dans de nombreux domaines, dont ceux de la santé et de la télécommunication250. Les incidences environnementales sont internalisées et standardisées auprès d'autres problématiques courantes de l'administration de l'entreprise. Elles sont dès lors traitées dans un cadre d'optimisation, d'efficience et de transparence corporative251.

En ce qui concerne la société civile, elle considère que de plus en plus d'États, dont surtout certains pays en développement, seraient inaptes à règlementer efficacement des aspects socio-environnementaux252. La société civile opère à ce titre à plusieurs niveaux afin de militer pour le respect des dispositions contenues dans les instruments de soft law qui couvrent des principes du développement durable et de la RSE. Elle soutient et encourage ce type d'initiatives et d'instruments de soft law en dépit de son militantisme pour l'adoption d'un traité contraignant opposable aux multinationales, ce qui semble être pour le moment invraisemblable253. Cela est dû au

246 S. TULLY, op. cit., note 47,. 139.

247 Id., note 47, p. 141.

248 Son objectif historique est de faciliter la coordination et l'unification internationales des normes industrielles. Depuis 1947, l'ISO a publié plus de 16 000 Normes internationales.

249 Les standards établissent des normes de gestions environnementales selon lesquels le certificat pourrait être obtenu par une entreprise suite à l'inspection d'experts indépendants et à l'assujettissement à un audit et un mécanisme de contrôle. Voir P.CHRISTMAN et G. TAYLOR, op. cit., note 216, p. 119.

250 Id., note 47, p. 137.

251 Id., note 47, p. 140.

252 P.CHRISTMAN et G. TAYLOR, op. cit., note 216, p. 122.

253 Id., note 47, p. 143; J. ZERK, op. cit., note 34, p.279; P. ROSIAK, op. cit., note 34, p.171.

fait que de nombreux gouvernements des pays développés et leurs entreprises considèrent que la RSE serait uniquement une activité volontaire254. Les acteurs de la société civile soutiennent tout de même les normes de soft law et ce, en dépit du scepticisme qui les entoure car elles ne seraient pas assez efficaces et contraignantes. Il importe de se pencher brièvement sur cette dernière question avant de conclure notre présentation sur le soutien des acteurs non étatiques aux instruments de soft law.

Nous pensons que la validité d'une norme ne devrait pas dépendre uniquement de ce seul critère d'effectivité. Il existerait ainsi un risque de disqualifier indûment toute norme ou tout système l'encadrant puisque le défaut d'effectivité d'une norme ne signifie pas pour autant qu'elle ne serait pas valide. Bien au contraire, les normes contenues à titre d'exemple dans les codes de conduite pourraient notamment établir des expectatives légitimes, une certaine opposabilité contractuelle et des engagements incidents sur la réputation corporative255. Ce constat est illustré dans l'affaire de Kukdong et Nike au Mexique où le code de conduite de Kukdong constitua des engagements moraux et contractuels qui ont lié l'entreprise. Les engagements stipulés par l'entreprise dans son code de conduite, dont le droit à la liberté d'association, ont servi en tant que fondement pour restaurer les postes des employés licenciés pour avoir justement revendiqué ce droit256. La société civile soutiendrait effectivement qu'il y a une expectative légitime de la part du consommateur à ce que les engagements contenus dans le code de conduite soient

254 J. ZERK, op. cit., note 34, p.37.

255 Id., note 34, p.35; S. PICCIOTTO, op. cit., note 43, p. 191.

256 Id., note 43, p. 191.

véridiques et respectés. La violation systématique de ces engagements entraînerait le fait de quasiment induire le consommateur en erreur257.

Plusieurs exemples d'instruments de soft law internationaux font preuve d'un caractère contraignant. Ces exemples se trouvent notamment dans la règlementation financière et bancaire internationale258. Une importante partie de cette règlementation dépend de ce genre d'instruments. Leur cadre normatif préconise une approche basée sur le risque plutôt que basée sur les règles (Risk based approach vs Rule based approach). Une telle approche consacre la prévention des violations aux règles de manière proactive, plutôt que de les sanctionner ultérieurement de manière réactive. Un exemple serait les recommandations du Groupe Worlsberg, les « Principes Worlsberg », basées elles-mêmes sur les recommandations du GAFI259. Le groupe rassemble les dix plus grandes institutions bancaires du monde et une ONG, Transparency International, dans le but de consolider et de répandre leur lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme260. Le respect de ces

257 Les codes de conduite non respectés pourraient constituer de la publicité fausse et trompeuse dans la mesure où lesdits codes sont publiés et distribués par les entreprises et qu'ils contiennent des réclamations non véridiques. Ce qui est souvent le cas car ils améliorent considérablement l'image et la réputation corporative. On pourrait imaginer un recours en droit québécois fondé sur l'article 219 de la Loi sur la protection du consommateur. Cet article interdit à un fabricant ou un commerçant de faire à un consommateur une représentation fausse et trompeuse.

258 Notons que ce type de règlementation est fort répandu dans le secteur bancaire et financier. Il suffit d'ailleurs de se tournait vers la question de la règlementation des fonds souverains, question tourmentée par des polémiques et des débats tumultueux, auxquels les États-Unis et le FMI veulent imposer un code de conduite, Voir Steven WEISMAN, « Overseas Funds Resist Calls for a Code of Conduct », New York Times, 9 février 2008, en ligne : http://www.nytimes.com/2008/02/09/business/09sovereign.html?scp=1&sq=weisman&st=nyt.

259 GAFI (Groupe d'Action Financière Internationale), organisme affilié à l'OCDE, les recommandations sont un bon exemple pour illustrer ce type d'initiatives internationales de soft law et la portée de leur opposabilité. Organisme intergouvernemental crée en 1989 à l'initiative du G7 au sommet de l'Arche à Paris. La mission principale du GAFI est de formuler quarante recommandations axées sur la prévention et la répression du blanchiment d'argent ainsi que neufs recommandations spéciales sur la lutte contre le financement du terrorisme. Celles-ci posent les principes d'une coopération juridique et administrative entre les États. L'organisme contrôle la mise en oeuvre par ses membres des recommandations où deux types de mesures ont été mises en place : une d'auto-évaluation et une d'évaluation mutuelle. Le premier volet implique l'envoi d'information sur la mise en oeuvre des recommandations au GAFI. Le deuxième implique un contrôle réciproque par les membres entre eux. Notons que c'est cette même procédure qui est utilisée dans le cadre des travaux du groupe de travail des crédits à l'exportation et des garanties de crédits (CGE) à l'OCDE, qui vise à mener la lutte contre la corruption pour les agences de crédits d'exportations des États membres. Ces procédures d'auto-évaluation et d'évaluation mutuelle sont extrêmement efficaces grâce à leur effet dissuasif et l'embarras qu'ils peuvent causer aux États qui ne respectent pas les normes. Voir « Paradis Fiscaux et opérations internationales: Mesures anti-évasion, Lutte contre le blanchiment, Pays et zones à fiscalité privilégiée », Paris, Éditions Francis Lefebvre, 2005, p.217-218; OCDE, « Lutte contre la corruption : Corruption et crédits à l'exportation », en ligne : http://www.oecd.org/topic/0,3373,fr_2649_34177 1 1 1 1 37447,00.html.

260 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 5, p. 329.

recommandations est la règle générale dans le domaine bancaire. Les accords et contrats bancaires internationaux contiennent d'une façon universelle des dispositions consacrées à l'engagement envers les Principes Worlsberg ou les recommandations du GAFI.

Que ce soit dans le domaine du blanchiment d'argent ou de la RSE, les problématiques de la globalisation des marchés appellent à des modèles normatifs qui vont au-delà d'un modèle purement horizontal (auto-régulation) ou purement vertical (gouvernemental). D'autres modèles mixtes sont requis, et qui seraient crées notamment à travers une coopération interétatique, une régulation par des autorités privées compétentes ou par des organes judiciaires supranationaux261. À ce titre, les multinationales et la société civile interviennent en tant que régulateurs symétriques, parfois sur un pied d'égalité avec les États. L'interaction entre la société civile et les multinationales, que ce soit au niveau national ou sous l'égide d'institutions internationales, pourrait bien constituer les débuts d'un développement de nouveaux régimes règlementaires internationaux262. En bref, nous pouvons tout de même conclure que ces deux acteurs mènent des chemins parallèles quant au soutien et à la propagation des instruments de soft law. Ce qui nous amène à traiter d'un autre thème où leurs intérêts se croisent, soit la règle de droit internationale.

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