2.3.2. La pêche : socle identitaire
En dehors de l'insularité, l'identité de la
population s'est construite autour de son activité principale : la
pêche. Elle rythme le quotidien de la majorité de la population
mais aussi les relations entre individus. Nous avons vu que les pratiques et
instruments de pêche faisaient partie de l'héritage transmis de
père en fils. C'est une des caractéristiques originales de
l'archipel puisqu'il s'agit du « seul endroit au Chili où les
repères ("marcas")58 sont une
propriété traditionnelle exclusive de chaque pêcheur. Cette
propriété peut être transmise selon les relations de
parenté, comme cela se fait généralement, ou par un acte
de vente (quand un pêcheur vend un bateau, généralement, il
vend ses repères). [...] Cette pratique crée un véritable
système permettant un fonctionnement ordonné et
systématique de l'activité, ce qui ailleurs est
généralement un problème. Grâce à ce
système, les pêcheurs ne se concurrencent pas les uns les autres,
ce qui rend l'activité plus soutenable. Si un pêcheur a une zone
de pêche réservée, il ne doit ni se dépêcher,
ni optimiser sa productivité parce qu'il sait que personne d'autre que
lui n'utilisera sa zone d'extraction. » (Brinck, 2005)
La pêche, la mer et les légendes de pirates et de
trésors sont omniprésentes dans le folklore et la mémoire
collective. D'autre part, l'histoire de l'installation humaine sur l'île
est liée à la pêche et à ce qui tourne autour
(monoproduction progressive, lutte des pêcheurs pour
l'indépendance, dépendance avec le continent, etc.).
2.4. Ambivalence du statut de protection de l'archipel
L'administration du parc par la CONAF a été
marquée par de profonds désaccords et des relations
problématiques entre les intérêts des habitants et ceux de
l'institution (conséquences des interdictions d'utiliser les ressources
de cet espace que la population de l'île considère comme lui
appartenant après un siècle d'occupation « libre »).
Parmi les oppositions et face à l'élimination
progressive du bétail surnuméraire, une petite partie de la
population s'est organisée et a constitué le Grupo Ganadero
(Groupe d'éleveurs). Ce groupe s'est formé en totale
opposition aux objectifs de la CONAF et continue obstinément
jusqu'à aujourd'hui à conserver du bétail en surnombre et
dans une situation sanitaire précaire.
Malgré ces minorités récalcitrantes, une
grande partie de la population a intégré les objectifs de
conservation incarnés par la CONAF et le statut de l'archipel.
Fondamentalement, les pratiques de la CONAF n'étaient pas
acceptées surtout parce qu'elles étaient imposées à
la population parfois subrepticement. Le dialogue avec la population n'a pas
réellement trouvé sa place dans ce contexte. Il existe en
conséquence des incompréhensions sur les objectifs de chaque
acteur et des conflits d'intérêt.
« Après que ce soit installé le SAG et la
CONAF, les choses se sont ordonnées. Au début, il y a eu un choc
parce qu'il n'y avait pas de contrôle et que, d'un coup, il y a eu une
autorité qui obligeait à ne pas faire ce que l'on voulait et en
plus, elle surveillait. Cela était très incommodant. [...] Il a
fallu beaucoup d'années pour se comprendre. A la longue, la
mentalité a changé à propos des objectifs poursuivis par
la CONAF (qui n'étaient pas d'ennuyer les gens, sinon de protéger
l'île pour l'intérêt de tous et des
générations futures aussi. [...] Des ateliers participatifs et
des activités par l'intermédiaire de l'école ont eu un
impact très positif. Par ces différentes informations, les
enfants et les adultes commencent à avoir une autre vision de leur terre
et de comment ils doivent la protéger. » (O. Chamorro dans Brinck,
2005)
58 Voir annexe 05
Ainsi, petit à petit, la CONAF, parmi d'autres,
amène de nouveaux intérêts dans les consciences des
habitants. Cette conscience est figurée dans la relation entre la
population et le santal endémique disparu depuis le début du XXe
siècle. Cet arbre est devenu presque mythique. La croyance populaire
veut croire qu'il en reste au moins un vivant quelque part dans le parc et
trouver un morceau de ce bois est un événement heureux (en
atteste la chanson `Sandalo que vive'). Ceux qui possèdent un
fragment de Santal le gardent précieusement comme un trésor. Cela
ne veut pas dire que désormais, la population vit dans un formidable
équilibre écologique. Si la conscience environnementale s'est
construite avec l'arrivée de la CONAF et suite aux divers projets
menés sur l'île59, le travail avec la population reste
central dans les difficultés écologiques auxquelles l'archipel
fait face.
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